— Moi non plus ! avoua Malko. Vous pensez qu’Anna Litz savait pour les faux billets ?
« Wild Harry » eut un geste évasif.
— Il faudrait lui demander. Mais c’est du passé.
De toute façon, Malko n’avait même pas son numéro de téléphone...
La chanteuse avait commencé son numéro et il se pencha au dessus de la table pour demander.
— Quel est votre plan, maintenant ?
« Wild Harry » aspira un peu de Pimm’s avant de répondre.
— D’abord mettre la main sur cet enfoiré de Ahmed Mohammed Omar.
— Il est à Nairobi ?
— Oui. Mais il se planque. Il a fait tellement d’embrouilles. On va s’y mettre demain matin.
— Et une fois qu’on l’aura trouvé ?
— Il vous organise votre voyage à Mogadiscio. Il est copain avec le chef de la sécurité du président Abdullahi Youssouf. Donc, il a de la main d’œuvre sur place.
— C’est indispensable ?
« Wild Harry » lui jeta un regard de commisération.
— Je vais vous expliquer. A Mogadiscio, maintenant, il y a trois « green zones ». Celle où se trouve l’aéroport, tenue par les Forces de l’Union Africaine, l’AMISOM. La plus grande où séjourne le président Youssouf, à la Villa Somalia, entourée par sept ou huit cents types de son clan, et enfin, celle du port, contrôlée par les troupes éthiopiennes. Celle-là ne nous intéresse pas. Le hic, c’est que mon gars, Amin Osman Said, est en dehors de ces zones, soit dans le quartier de Baraka, soit ailleurs. Et qu’un Blanc seul tient cinq minutes en dehors des « green zones ». Je vais demander à Omar de vous organiser une escorte pour vous accompagner où vous devrez aller. Sans, bien sûr, lui dire qui vous devez rencontrer.
— Et si cet Amin Said Osman est mort ?
— Vous aurez fait le voyage pour rien... Mais c’est l’unique moyen de réactiver un réseau d’infos sur les Shebabs.
La chanteuse interprétait « Night and Day ». On aurait pu se croire ailleurs, dans le temps et dans l’espace. Malko regarda « Wild Harry » à court de Pimm’s, qui agitait le bras pour appeler le garçon.
— Vous m’avez sauvé la vie, dit-il.
Le gros Américain haussa les épaules et laissa tomber.
— Mark est un gentil enculé. D’abord, il voulait vous envoyer à Moga comme si c’était le Club Med et, quand ça a merdé, avec les faux billets, il a paniqué. Heureusement, je connais un peu ce putain de pays. Il regarda sa montre. Demain matin, il va falloir que je donne un coup de main à Hawo pour les expéditions de fleurs... Je ne serai libre que vers midi.
— C’est sérieux, votre affaire de roses ?
L’Américain éclata de rire.
— Bien sûr ! Quand j’ai pris ma retraite, il y a dix-huit mois, je m’étais dit que j’allais retourner aux États-Unis. J’y ai fait un saut. Pour régler la succession de ma mère et prendre un peu de sous... Je suis veuf, mes enfants sont grands, dispersés un peu partout. Je me demandais ce que j’allais devenir quand Hawo m’a donné un coup de fil. Je l’avais exfiltrée de Mogadiscio sur le Kenya et obtenu des autorités de Nairobi un visa de longue durée. Elle voulait monter un petit business de fleurs mais elle n’avait pas assez d’argent, malgré sa « prime de démobilisation ».
Moi, j’en avais et, sans elle, je ne serais jamais revenu de Somalie. Alors, je lui ai dit que j’arrivais avec mes sous. On s’est associés. Puis, un soir où je manquais de Pimm’s, on a fait l’amour. En Somalie, on n’y avait pas pensé. Trop tendus. Là, je me suis dit que j’étais con de vouloir quitter l’Afrique. Alors, on a pris un appartement et on s’est lancés dans les fleurs. Tout allait bien jusqu’au mois dernier. Un type de Langley a fait le voyage avec une moustiquaire pour me demander de reprendre du service. Comme « consultant », à cinq fois mon ancien salaire...
— Ils n’ont personne ?
— Si, des bras cassés... Il y avait peu de monde sur mon programme. Et ceux qui y étaient ne veulent plus entendre parler de Somalie... Vous avez vu le film « Black Hawk down » ?
— Oui, bien sûr.
— C’était ça tous les jours... La Somalie est devenue une contrée sans loi, sans autorités, avec des gens qui passent leur temps à s’entretuer, mais dont le plaisir favori est de kidnapper ou d’égorger un étranger.
— Même à Mogadiscio ?
— À part les « green zones », tout le reste est une jungle. De plus en plus périlleuse.
Il bâilla, vida son nouveau Pimm’s d’un coup. Son portable sonna. Il dit quelques mots et se leva.
— Paul est revenu nous chercher. On va au Royal Castle. Demain, on se lève tôt.
Il restait un peu de Champagne Taittinger et Malko décida de ne pas en faire cadeau au Tamarind. Cela ne les retarda que de quelques minutes.
Les chambres du Royal Castle n’avaient pas dû être refaites depuis la fin de la colonisation. Malko, épuisé, s’allongea tout habillé et s’endormit instantanément.
En se posant à Nairobi, Malko avait l’impression de revenir d’un très long voyage. Surprise : Hawo les attendait dans l’aérogare. Elle étreignit « Wild Harry » et ensuite Malko, avec presque autant de chaleur.
Toujours en pantalon, elle portait un fin pull de cachemire qui moulait ses seins aigus. Malko eut du mal à en détacher les yeux. Après avoir frôlé la mort, il éprouvait comme d’habitude, une puissante pulsion sexuelle.
— Je vous dépose au Serena, annonça « Wild Harry ». Vous avez besoin d’une douche...
C’était un understatement. Malko avait l’impression d’être un clochard.
Quand il claqua la portière du 4x4, la glace descendit et refusa obstinément de remonter. Philosophe, « Wild Harry » remarqua.
— La piste, c’est pas bon pour les bagnoles.
Il conduisait très vite, frôlant les trottoirs, comme s’il n’était pas habitué à la conduite à gauche. Lui non plus ne s’était pas rasé, et cela le vieillissait. À la barrière du Serena, le vigile promena longuement son miroir sous la voiture, sans quitter des yeux les seins de Hawo, ce qui diminuait beaucoup l’efficacité de son contrôle.
— Je vais donner quelques coups de fil avant de repartir, annonça « Wild Harry ».
Ils se retrouvèrent au bar, sous l’œil furibond de deux superbes putes qui jetaient des regards meurtriers à Hawo, la prenant pour une concurrente.
Deux Pimm’s et quelques coups de fil plus tard, « Wild Harry » lança à Malko.
— O.K. On commence par le « 680 ».
Un hôtel étrange, plutôt mal fréquenté, connu de toute la faune de Nairobi.
— Il existe toujours ?
Gros rire.
— Plus que jamais ! En plus des Zaïrois, des Congolais et de tous les « résistants » d’Afrique, il y a les Somaliens maintenant ! Je vais bien trouver une info là-bas, ou un mec qui a croisé Omar. OK. On se retrouve là-bas dans une heure.
Au beau milieu de l’avenue Mouindi-Mbingo, l’hôtel « 680 » ne payait pas de mine. On n’y voyait guère de Blancs, mais c’était un des « must » de Nairobi. Une institution.
Rasé, douché, Malko se sentait nettement mieux. « Wild Harry », lui, ne s’était pas rasé. Après avoir grimpé le perron menant au lobby surélevé par rapport à la rue, ils s’immobilisèrent, observant le spectacle. À gauche, se trouvait une cafétéria, avec de très hauts tabourets, tous occupés. Un peu plus loin, s’ouvrait l’entrée de la salle de bingo du « Babylon Casino ». Des gens étaient assis sur des bagages, en instance de départ ou attendant d’accéder à la réception, tout au fond, en face des ascenseurs.