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— Inch Allah, mon frère ! annonça le pirate, nous allons accomplir la volonté de Dieu.

Le jeune shebab s’ébroua, écartant la couverture. Il portait une longue tunique blanche avec un pantalon traditionnel, très large, et son torse disparaissait sous les étuis de toile des chargeurs d’AK 47. S’il dormait sur le pont, c’est qu’il souffrait du mal de mer et ne supportait pas de rester dans un espace confiné. Il ramassa sa Kalach, vérifia le pistolet glissé dans sa ceinture et demanda :

— C’est bien le Faina ?

— Viens voir toi-même. C’est affiché sur l’écran.

Spontanément, le shebab étreignit Garda Abdi.

— Tu vois que tu as bien fait de suivre mes conseils ! remarqua-t-il.

— C’est vrai ! reconnut Garda Abdi.

Depuis le début de la piraterie, c’était la première opération « mixte », entre shebabs et pirates. Au départ, les shebabs, dans leur intégrisme, avaient déclaré que la piraterie était un crime contre l’Islam et qu’ils la désapprouvaient. Tout en ne se mêlant pas des opérations menées au Puntland et à Hobyo.

Les pirates établis à Hobyo n’avaient que peu de contacts avec les shebabs, ceux-ci se trouvant beaucoup plus au sud, vers Mogadiscio, à une exception près. À Haradhère, 410 kilomètres au nord de Mogadiscio, et à une centaine de kilomètres au sud d’Hobyo, les shebabs avaient installé une tête de pont et se rendaient fréquemment à Hobyo. C’est ainsi que Garda Abdi et Hashi Farah s’étaient retrouvés. Tous deux membres du clan Darod et de son sous-clan, les Majarteen, ils étaient, en plus, vaguement cousins.

C’est lui qui, un jour, avait fait une proposition à Garda Abdi.

— Nous avons appris qu’un bateau chargé d’armes doit arriver à Mombasa, avait-il expliqué. Grâce à nos contacts à Mombasa, nous sommes en mesure de connaître sa date d’arrivée.

— D’où vient-il ?

— D’Europe. D’Ukraine. Nous aimerions nous emparer des armes légères et des munitions qu’il transporte. Ensuite, vous ferez ce que vous voulez avec le bateau et l’équipage.

Garda Abdi avait réuni ses amis et leur avait soumis la proposition du shebab. Sans beaucoup d’hésitations, ils avaient accepté : même sans sa cargaison, un navire de la taille du Faina pouvait rapporter une très grosse rançon.

Tout le monde était gagnant...

En plus, grâce à l’information donnée par les Shebabs, ils ne perdraient pas de temps.

Voilà comment Hashi Farah et deux de ses hommes s’étaient retrouvés sur le Buruh Océan.

— Viens dans la passerelle, conseilla Garda Abdi. Mes hommes se préparent. Pour le moment, il n’y a rien à faire.

Ils se retrouvèrent quelques instants plus tard devant les écrans de TAIS. Désormais, le Buruh Océan et le MV Faina étaient matérialisés par deux petits triangles qui se rapprochaient l’un de l’autre. En poussant ses machines, le chalutier russe pouvait atteindre vingt nœuds.

Sur le pont, les pirates attendaient, après avoir vérifié leurs armes et leur équipement.

Rien ne se passa pendant plus d’une heure, puis Garda Abdi montra au shebab un point lumineux droit devant eux.

— C’est le Faina ! annonça-t-il. Il ne se trouve plus qu’à cinq miles environ.

Il sortit de la dunette et lança un ordre à ses hommes. Ceux-ci se mirent à haler les deux barques attachées à l’arrière du chalutier, de façon à les mettre à couple avec le Buruh Océan. Ensuite, en utilisant des échelles lancées le long de la coque, la première équipe, avec ses armes et son matériel, prit place dans la première embarcation.

Dès qu’elle fut pleine, elle largua son amarre et s’éloigna, tandis que les derniers hommes commençaient à descendre l’échelle pour s’installer dans la seconde barque.

— Allons-y, mon frère ! lança Garda Abdi à Hashi Farah.

Normalement, il aurait dû partir avec la première barque, mais, connaissant l’aversion du shebab pour l’élément marin, il était resté avec lui.

Courageusement, Hashi Farah enjamba le bastingage et commença à descendre maladroitement le long de l’échelle. Ceux qui étaient déjà installés dans la barque l’aidèrent à y atterrir. La partie la plus délicate : il suffisait d’un coup de houle pour se casser une cheville.

Dès que Garda Abdi fut descendu à son tour, la seconde embarcation se décolla à son tour du Buruh Océan.

Les deux mirent ensuite le cap sur le Faina dont on apercevait les feux de position. À 35 nœuds, ils l’auraient rejoint en un quart d’heure.

L’abordage réussi, le « mothership » repartirait vers la côte, tandis que les pirates emmèneraient leur « prise » en face d’Hobyo pour y commencer les négociations.

Heureusement, la mer était calme, la lune pleine et la nuit plutôt claire. Debout, à l’avant, se retenant à un bout, Garda Abdi regardait les lumières du Faina se rapprocher.

Assis derrière lui, Hashi Farah essayait de faire bonne figure. Lui qui avait connu les combats d’Afghanistan et les bombardements éthiopiens, se sentait mal à l’aise sur cette étendue noire et mouvante.

La barque tanguait violemment et, de nouveau, il se sentit mal, mais, pour rien au monde, il n’aurait avoué sa faiblesse. L’odeur de l’essence lui donnait la nausée. Pour se changer les idées, il décida de ne plus quitter des yeux les lumières du Faina.

Si tout se passait bien,dans quelques minutes, ils seraient à bord.

Viktor Nikolski, le commandant en second du MV Faina, vracquier ukrainien battant pavillon de Bélize, parcourait distraitement un vieil exemplaire de « Kommerçant » dans le poste de commandement, à côté de l’homme de barre, Piotr, un Letton barbu aux yeux bleus, silencieux comme un sphinx.

Il abandonna son journal pour aller se pencher sur la table des cartes, afin de vérifier la position du navire. Ils longeaient la côte somalienne, à environ 200 miles nautiques après avoir franchi le détroit d’Aden. Viktor Nikolski calcula qu’ils avaient encore environ cinquante trois heures de mer avant d’arriver à Mombasa, au Kenya, leur destination finale. Le MV Faina ne dépassait guère quinze nœuds en croisière.

Un long voyage depuis Sebastopol où le vracquier naviguant pour le compte de Kaabyle Shipping, un armateur enregistré au Belize pour des raisons fiscales, avait chargé 3200 tonnes d’armements divers, dont trente-trois chars lourds T.72, des blindés légers sur roues BRB, des mitrailleuses, des explosifs, des munitions. Une commande de l’État kenyan.

Viktor Nikolski retourna s’asseoir. Le calme était absolu sur le vracquier. À part lui, l’homme de barre, l’officier de permanence aux machines, les autres membres d’équipage, tous ukrainiens, sauf trois Russes et Piotr le Letton, dormaient dans leurs couchettes. L’Océan Indien était relativement calme, le vent faible et la nuit plutôt claire.

L’itinéraire qu’ils suivaient était le « rail » emprunté par des centaines de navires contournant la Corne de l’Afrique et descendant ensuite vers le sud. Avec son énorme château arrière flanqué de deux hautes cheminées bleues, le MV Faina n’était pas très beau. Ce château occupait presque le tiers du pont, ce qui lui donnait une silhouette particulière. Après trois jours à Mombasa, ils repartiraient vers une autre destination, selon les ordres de leur armateur.

Le commandant en second reprit son journal, luttant pour ne pas céder au sommeil. Encore trois heures avant le changement de quart prévu à six heures du matin.

* * *

De la surface de l’océan agité par une houle légère, la coque du MV Faina ressemblait à un impressionnant mur noir et luisant de quinze mètres de haut. Un immeuble de cinq étages.