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La Somalienne le fixait avec un drôle de sourire.

— Ça vous ennuie ? demanda-t-elle. Je ne vous causerai pas de problème, vous savez.

Sauf celui de trahir un ami, éventuellement... Heureusement, la viande arrivait.

— Et votre ami Ahmed, il ne vient pas ?

— Si, bien sûr, lui part demain. Voici ce qu’il m’a proposé : il connaît bien le chef de la garde personnelle du président Youssouf. Abdulkhadir Kalif. Pour 2 000 dollars par jour, ce dernier va mettre à votre disposition une escorte qui viendra vous chercher dans la « green zone » de l’aéroport et vous emmènera où vous voulez. Quatre Land-Rover et une vingtaine d’hommes du clan Youssouf. Ça ne vous met pas à l’abri de tous les problèmes, mais c’est ce qu’on peut trouver de mieux.

— Ahmed nous accompagnera ?

— Non, il repartira le soir de votre arrivée. C’est pour cela que la présence de Hawo est très utile.

— Et cette escorte, ils sont fiables ?

— Ils sont fiables, affirma « Wild Harry » avec un sourire en coin. Notre ami Ahmed s’en porte garant. Il sait ce que cela lui coûterait en cas de pépin.

Un ange passa. Sous son air de gros nounours, « Wild Harry » savait inspirer une sainte terreur aux malfaisants. On apportait les desserts. Malko qui avait commandé une banane flambée regarda l’étrange chose qui se trouvait dans son assiette et demanda au garçon.

— C’est une banane flambée ?

— Non, Bwana, fit le Noir avec un sourire désarmant. C’est un crumble à la rhubarbe.

Pour lui, cela ne faisait aucune différence. Docile, il repartit faire l’échange. « Wild Harry » bâilla.

— OK, demain matin, Hawo vient vous chercher pour prendre le visa au consulat somalien.

Malko faillit en faire tomber sa fourchette.

— Il faut un visa ?

Pour entrer dans un pays qui n’existait pas, c’était inattendu.

— C’est 30 dollars, laissa tomber « Wild Harry ». Il faut bien que le consul mange à sa faim. Mogadiscio ne lui envoie pas d’argent.

En quittant le « Moonflower », Malko ne put s’empêcher de suivre du regard la silhouette gracieuse de Hawo. « Wild Harry » était-il totalement détaché des choses de la chair ou jouait-il, lui aussi, à la roulette russe ?

* * *

Hadj Aidid Ziwani était en train de regarder les manifestes de ses vols de maraa à destination de Mogadiscio lorsque son secrétaire vint chuchoter à son oreille.

— Honorable, Andrew Mboya vient vous voir. Je lui ai dit que vous n’étiez pas là, mais il ne m’a pas cru.

— Mets le dans le salon vert, ordonna le Kenyan, pressentant un problème. Lorsque Andrew Mboya, trois jours plus tôt, était venu chercher son « colis », il lui avait livré sa version de la disparition de l’otage. Prétendant l’avoir jeté par-dessus bord, au dessus d’une zone déserte.

Son interlocuteur avait semblé accepter cette version et s’était retiré sans commentaires. Comme les pêcheurs étaient censés repartir la nuit même vers la Somalie, Hadj Aidid Ziwani avait considéré le problème réglé. Apparemment, ce n’était pas le cas...

Il se drapa dans sa dignité et descendit. Trois hommes s’étaient installés sur les chaises tendues de vert du salon. L’un d’eux était Andrew Mboya, accompagné de deux Somaliens à la peau sombre.

— Que se passe-t-il ? demanda le milliardaire.

Andrew Mboya le fixa droit dans les yeux.

— Honorable, tu nous as menti !

— De quoi parles-tu ?

— Tu n’as pas jeté cet homme de ton hélicoptère, continua Andrew Mboya. Nous le savons.

— Comment ! s’indigna Hadj Aidid Ziwani. Je le jure sur le Coran.

— Ne blasphème pas, répliqua Andrew Mboya, qui n’était pas pratiquant. Nous avons interrogé ton ascari. Il nous a dit que tu as reçu la visite d’un muzungu avec des Africains, juste avant la nôtre. Et qu’ils sont repartis avec un autre muzungu. Celui que tu as amené dans ton hélicoptère.

Hadj Aidid Ziwani ravala sa fureur. Il aurait dû penser au vigile ! Muet, il entendit comme dans un cauchemar Andrew Mboya continuer.

— Tout le monde peut commettre une erreur, mon frère, mais si tu veux conserver notre confiance, il faut que tu répares la tienne. D’abord, pourquoi as-tu épargné cet homme ?

— Ils ont débarqué chez moi, avoua le Kenyan. Des gens dangereux. Un Américain. L’imbécile qui vous a parlé leur avait parlé aussi : ils savaient que je l’avais ramené de Nairobi. Ils m’ont menacé. Ils étaient armés. Après, j’ai eu honte de vous dire la vérité.

Le Somalien le fixa longuement.

— Tu as deux choses à faire. D’abord, cet homme valait trois millions de dollars. Tu dois nous les donner, très vite.

— Je le ferai, promit Hadj Aidid Ziwani. Trop heureux de s’en tirer à si bon compte. Il lui suffisait d’augmenter un peu le prix de la maraa...

— Demain, tu dois apporter cet argent à la Bank of Dubai, précisa son interlocuteur. Sur N’Krumah road. À midi. Ensuite, tu dois retrouver cet homme et le tuer.

Hadj Aidid Ziwani sentit ses jambes se dérober sous lui.

— Mais je ne sais pas où il est ! protesta-t-il. C’est vous qui l’avez kidnappé. Il est sûrement retourné à Nairobi.

— Nous t’aiderons, promit le Somalien. Mais c’est toi qui dois en prendre soin. Si j’étais toi, après nous avoir remis l’argent, je partirais pour Nairobi. Nous savons où habite cet agent américain et nous te donnerons tous les détails nécessaires.

Hadj Aidid Ziwani n’osa pas protester. Se souvenant de ce qui était arrivé à Ali Moussa. Mais d’un autre côté, s’attaquer à un agent de la CIA, était suicidaire.

Déjà, ses visiteurs battaient en retraite. Il maudit sa lâcheté. Il aurait dû les tuer, mais il était trop riche désormais pour se lancer dans ce genre d’aventure. Il valait mieux payer... Et, à Nairobi, il pouvait facilement recruter des tueurs qui lui obéiraient.

* * *

Hawo gara le vieux 4x4 en face d’un portail bleu dans Jawabu road, une petite voie tranquille de l’ouest de Nairobi.

— C’est là ! annonça-t-elle à Malko.

Elle sauta avec grâce du véhicule. Plus sexy que jamais, dans un bafto, la robe traditionnelle éthiopienne en coton blanc, qui moulait son corps longiligne dans les moindres détails.

Ils poussèrent le portail, découvrant une pelouse pelée au milieu de laquelle s’élevait un pylône métallique de télécommunication. Au fond, se trouvait une piscine, désespérément vide. Le consulat était un petit bungalow avec une véranda, où une femme hurlait dans un portable. Une jeune fille au visage doux trônait à la réception et les installa dans une sorte de salon moisi, à droite du hall. Ils y furent rejoints par une Somalienne filiforme, la tête couverte d’une hijab, qui se lança dans une longue conversation avec Hawo.

Celle-ci annonça à Malko.

— Donnez-lui votre passeport et 30 dollars, elle va vous faire le visa tout de suite.

Malko obtempéra : c’était surréaliste : obtenir un visa pour un pays qui n’existait plus, n’avait plus ni gouvernement, ni monnaie, ni quoi que ce soit. Juste le Gouvernement Provisoire de Transition, qui ne tenait que quelques kilomètres carrés de Mogadiscio.

L’employée du consulat revint quelques instants plus tard avec le passeport, où toute une page était occupée par un visa donnant droit à l’entrée en Somalie. Sans préciser où...