Hawo sourit. En dépit de son vêtement extrêmement pudique, elle dégageait une sensualité que Malko avait beaucoup de mal à ignorer. Il ne put s’empêcher de remarquer.
— Vous êtes superbe dans cette robe ! La jeune Somalienne sourit.
— Oh, c’est pourtant très simple. Du coton.
Qui découpait ses seins comme au scalpel et laissai deviner les contours d’un slip taille basse. Elle se hissa dans le 4 x 4 et lança :
— Je vous ramène au Serena. N’oubliez pas de prendre pas mal d’argent liquide. Là-bas, c’est le seul moyen de paiement. Je viendrai vous chercher avec Harry vers sept heures au Serena.
— Vous n’avez pas peur ? ne put s’empêcher de questionner Malko. Ce n’est pas un voyage de tout repos.
Hawo lui adressa un sourire apaisant.
— Vous savez, lorsque je travaillais avec Harry, tous les matins, on se demandait si on verrait le soleil se coucher... Alors...
Hadj Aidid Ziwani broyait du noir. Certes, c’était un tout petit geste d’apposer sa signature au bas d’un ordre de transfert de trois millions de dollars, de banque à banque. Mais, quand même, il avait eu l’impression de se plonger un poignard dans le cœur. Son hélicoptère venait de le déposer en face du Panari. Il aurait préféré s’installer au Safari Park, mais le bungalow N° 20 était toujours sous scellés.
En pénétrant dans le hall de l’hôtel, il sentit son cœur se contracter. Hassan Timir, le « contact » des pirates à Nairobi, était installé dans un des fauteuils du hall. Dès qu’il le vit, il se leva vivement et vint le saluer en s’inclinant profondément.
— Honorable, avez-vous fait bon voyage ? demanda-t-il poliment.
Hadj Aidid Ziwani marmonna une réponse inintelligible. S’il avait pu transformer l’autre en poussière, il l’aurait fait sans hésiter.
— Je suis un peu fatigué, prétendit-il. Pouvons-nous discuter un peu plus tard ?
— Je n’en ai pas pour longtemps, assura Hassan Timir. Je viens vous apporter des informations précieuses. Cet agent de la CIA part demain matin pour Mogadiscio.
— Pour Mogadiscio ? répéta Hadj Aidid Ziwani. Mais aucun muzungu ne va là-bas...
— Ce n’est pas un muzungu comme les autres. J’ai appris cela par quelqu’un au consulat. Il semble qu’il ait des amis dans l’entourage du président Youssouf. Tout ce que je sais c’est qu’il arrivera par le vol de Dalo Airlines et qu’il ira d’abord au compound des Nations-Unies. Vous avez des gens à Mogadiscio ?
— Oui, bien sûr.
— Eh bien, il faut les alerter. Et faire en sorte qu’il ne revienne pas de là-bas. Vous avez de la chance, Honorable, à Mogadiscio, c’est beaucoup plus facile d’agir qu’ici à Nairobi. Voilà, je compte sur vous.
Il s’inclina de nouveau, et Hadj Aidid Ziwani réussit à lui sourire, alors qu’il aurait adorer l’étrangler.
Malko avait dîné avec Mark Roll dans un restaurant italien où le chef de station de la CIA lui avait remis discrètement une enveloppe contenant 20000 dollars.
Il semblait soucieux, en dépit du départ de Malko pour Mogadiscio.
— La station de Camp Lemonnier à Djibouti a intercepté ces derniers jours des communications entre les shebabs qui se trouvent à Harardhère et le clan des pirates de Hobyo. Ils parlent un dialecte somalien difficile à décrypter, mais nous avons quand même compris qu’ils mentionnaient une très grosse opération d’abordage.
— Ce n’est pas nouveau, objecta Malko.
— Ce qui est nouveau, c’est que cela semble une « joint venture » entre le clan d’Hobyo et les Shebabs. Il faut absolument découvrir de quoi il s’agit.
— C’est pour cela que je vais à Mogadiscio...
— Faites attention...
Malko retint un sourire.
Cela revenait à conseiller à quelqu’un qui met sa tête dans la gueule d’un lion de le faire avec précautions.
Le chef de la CIA arrêta sa Buick blindée devant le Serena et dit soudain.
— Allez, on va prendre un verre au bar ! Je n’ai pas envie de me coucher.
En pénétrant dans le lobby, ils entendirent de la musique : il y avait encore du monde au bar, en face du léopard empaillé collé au mur. Brutalement, Malko n’avait plus envie de se coucher tout de suite. Quelques expats, affalés dans les fauteuils du bar résistaient courageusement aux attaques en piqué d’une demi-douzaine de putes souriantes et résignées qui, du haut de leurs tabourets, croisaient leurs jambes de plus en plus haut pour éveiller leur libido... Un petit orchestre jouait au bord de la piscine et quelques couples dansaient. Dont une grande Noire dont le déhanchement aurait fait fondre un iceberg.
Au moment où il allait commander une vodka, une bouteille de Taittinger Brut Millésimé surgit sur le comptoir.
— On va arroser votre départ ! lança Mark Roll.
Comme à chaque fois qu’il allait affronter une situation difficile, Malko essayait de penser à quelque chose d’agréable. Mogadiscio, c’était la plongée en enfer et pourtant, il avait hâte de partir, en repensant au regard impénétrable de Hawo.
CHAPITRE XVI
On avait l’impression de se poser sur l’eau. L’lyouchine 19 plein comme un œuf, qui avait quitté Nairobi trois heures plus tôt, avait commencé son approche finale en tournant au dessus de l’océan Indien, pour perdre de l’altitude, assez loin de la côte, à cause du risque toujours possible d’un missile sol-air, avant de virer à 180° pour se rapprocher de la piste parallèle au rivage.
Assis en face d’un hublot à la gauche de l’appareil, Malko retrouvait Mogadiscio avec une certaine émotion. C’était toujours la même ville plate, aux maisons blanchâtres perdues au milieu d’îlots de verdure, avec çà et là, les innombrables ruines de, pratiquement, tous les bâtiments officiels. Dans le lointain, vers le nord, il distingua les maisons serrées les unes contre les autres de la médina, l’immense bidonville indigène où plus aucun Blanc ne mettait les pieds depuis 1993.
Un quadrillage de rues étroites se coupant à angle droit, animé comme un souk mais aussi inaccessible que s’il se trouvait sur une autre planète...
Hawo se pencha vers lui pour apercevoir le paysage. Sur son bafto de coton blanc, elle portait une abaya bleue qui l’enveloppait complètement, ne laissant libre que l’ovale du visage.
— Qu’est-ce que vous voyez ? demanda-t-elle.
— Pas grand-chose, fit Malko. Quelque chose brûle, au nord de Bakara market.
Une grande colonne de fumée noire s’élevait, en effet, dans le lointain. Rien d’étonnant dans cette ville où on se battait sans arrêt.
Un silence de plomb régnait dans l’Ilyouchine 19. Tout le monde retenait son souffle pour l’atterrissage.
Malko aperçut des bâtiments en ruines. Deux espèces de bunkers dont l’un portait en lettres énormes le sigle ONU, la peinture presque effacée, quelques cratères d’obus, puis les roues touchèrent la piste et les hurlements des turbo-props passés en inverseurs firent trembler tout le vieil avion.
Ils étaient à Mogadiscio.
Dans la « green zone » N° 1, environ un kilomètre sur deux, abritant ce qui restait du personnel des Nations-Unies et l’AMISOM le contingent ougandais chargé de garder l’aéroport. Des barbelés, des mitrailleuses lourdes, des mortiers. L’avion tourna en bout de piste pour revenir vers l’aérogare, passant devant un bâtiment totalement détruit.
À part eux, rien sur le tarmac.