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Malko la regarda composer le premier numéro. S’interrompant aussitôt.

— Disconnected, annonça-t-elle, après avoir recommencé trois fois.

Ensuite, ce fut le réseau Hiran, commençant par le préfixe 736.

Même résultat.

Une demi-heure plus tard, Malko avait le moral dans les chaussettes. Aucun des numéros ne répondait. Tous hors service, sauf un qui avait été attribué à une inconnue... Ils se regardèrent. Malko était atterré.

— Qu’est-ce qu’on peut faire ? demanda-t-il. Bien entendu, il n’y a pas d’annuaire, à Mogadiscio.

Hawo sourit.

— Non, bien sûr. Je ne vois qu’une solution. Harry m’a expliqué où habitait Amin Osman Said. Tout au nord de Lenin road, entre la base éthiopienne de l’ancien Digfer Hospital et Bakara Market. Une zone relativement calme. Harry m’a dit que sa maison se trouvait juste avant une station-service détruite, il n’y en a pas beaucoup dans le coin.

— Vous croyez qu’on peut aller là-bas ?

Hawo sourit.

— Moi, oui. Vous, non. Vous êtes un gaal, un infidèle. Moi, je suis somalienne. Je peux dire que je cherche mon mari et avec l’escorte, je ne risque pas grand chose.

— C’est loin ?

— Cinq ou six kilomètres.

— Il y a qui dans cette zone ?

— Personne de précis, expliqua-t-elle. La Médina plus à l’ouest — le quartier de Wadajir — est tenue par le clan Glubal. Le warlord Inda Addé contrôle Bakara Market mais il deale avec les Shebabs qui ont besoin de lui pour leur ravitaillement. C’est la zone la plus active de la ville avec le grand marché à bestiaux, dans l’est, qui s’étend le long de la route de Baidoa.

Malko était partagé. D’un côté, c’était idiot de repartir les mains vides, avec le mal qu’ils avaient eu pour organiser ce voyage. Mais il répugnait à faire courir des risques à la ravissante Hawo. Comme si elle avait deviné ses pensées, la Somalienne effleura son abaya, plongea la main dans une fente invisible et la ressortit, tenant un petit pistolet automatique.

— Il est fixé à ma cuisse par un élastique, expliqua-t-elle. Beaucoup de femmes font la même chose. Même sans garde de sécurité, je peux me défendre. Et puis, c’est mon pays. Je connais la ville. Si vous veniez avec moi, vous me feriez courir des risques. Ou alors, il faudrait vous déguiser en Somalien et vous n’avez pas vraiment le type.

Une espèce de tendresse flottait dans son regard et Malko ne put s’empêcher de demander.

— C’est Harry qui vous a demandé de venir ?

Elle secoua la tête.

— Non, je le lui ai proposé. Je savais que seul, c’était très dangereux pour vous, même avec la protection de Darwish. Je ne voulais pas qu’il vous arrive quelque chose.

Leurs regards se croisèrent et demeurèrent accrochés. Il se rappela soudain la façon dont ils avaient dansé ensemble au Carnivore. Hawo avait écrit sur son front en lettres de feu : baisez-moi.

S’il n’y avait pas eu « Wild Harry », il l’aurait immédiatement prise dans ses bras, mais il chercha à gagner du temps.

— Quand voulez-vous aller là-bas ? demanda-t-il.

— Demain matin.

— Et que va-t-on faire d’ici là ?

— Vous ne pouvez pas vous promener dans les rues. D’ailleurs, pour aller où : la cathédrale n’est plus qu’un tas de pierres que deux warlords se disputent, au cas où. La ville grouille de miliciens prêts à tout pour gagner quelques dollars. Le shilling somalien ne vaut pratiquement plus rien.

— Il a encore cours ?

Elle haussa les épaules.

— Il faut 30 000 shillings pour un dollar ! Youssouf en a fait imprimer des tonnes pour payer ses miliciens. Les gens s’en servent encore pour leurs petits achats.

— Il y a un restaurant, dans le coin ?

— Dans l’hôtel, mais cela ne doit pas être fameux. De toute façon, dans une heure, il fait nuit. Le mieux, c’est de manger quelque chose ici. Je vais aller me renseigner et donner des consignes à Darwish pour demain matin.

Elle s’éclipsa et il fonça sous la douche. La chaleur était effroyable et le climatiseur ne laissait passer qu’un filet d’air tiède. Il ressortit et s’étendit sur le lit étroit, enroulé dans une serviette grisâtre. Ici, on n’entendait pas grand-chose des bruits de la ville.

Pour se distraire, il mit la télé. Surprise : elle marchait, et il y avait même trois chaînes ! Il se cala sur Hornafrica, une chaîne en anglais et somalien sans grand intérêt. Tombant sur un reportage sur le nouveau port de Mogadiscio, tenu par l’armée éthiopienne, ayant remplacé le vieux port, totalement détruit. Il y avait une animation incroyable. Un petit pétrolier déchargeait sa cargaison, grâce à une manche souple, directement dans des camions citernes qui se relayaient en une noria incessante. Des barges amenaient des marchandises. C’était presque la vie normale.

* * *

Ibrahim Muse avait pris un taxi pour suivre le convoi qui avait emmené l’homme que Hadj Aidid Ziwani lui avait demandé de « traiter ». Bien avant l’arrivée du vol de Nairobi, le Somalien savait tout sur son crient et surtout qu’il voyageait avec une Somalienne. De toute façon, il n’aurait pas pu le rater : c’était le seul passager étranger du vol... À bonne distance des quatre Land-Rover, il avait pu pénétrer, lui aussi, dans la « green zone » de la Villa Somalia. Il y était connu comme le loup blanc grâce à ses livraisons quotidiennes de khat. Comme il en donnait aux gardes, ceux-ci ne vérifiaient même pas sa voiture.

Il était sacré : c’était lui qui apportait le rêve tous les jours, vers quatorze heures.

Il s’était arrêté ensuite à bonne distance de l’hôtel Ramada. Il en savait assez pour le moment. Il ne lui restait plus qu’à se procurer le matériel pour accomplir les désirs de son patron : faire en sorte que cet étranger ne reparte pas vivant de Mogadiscio. Là, où il regagna son taxi et prit la direction de Bakara Market. C’est là qu’il allait se procurer ce dont il avait besoin. Il connaissait les employés du Ramada et savait n’avoir aucune difficulté à pénétrer dans l’hôtel sans être fouillé. Eux aussi broutaient le khat.

CHAPITRE XVII

Malko avait étalé sur le lit la carte satellite de Mogadiscio établie par les Nations-Unies, répertoriant les zones les plus dangereuses, piquetée de points colorés signalant les « incidents », c’est-à-dire les attentats, les tirs de mortiers, les combats spora-diques entre milices. C’était assez effrayant : en gros, Mogadiscio s’étendait sur un rectangle de quinze kilomètres sur dix, le long de la mer. Tout ce qui avait constitué le centre de cette ancienne colonie italienne avait été réduit en poussière par les combats depuis 1991. L’ancien port, la cathédrale, la grande mosquée, les villas élégantes et les restaurants.

Quelque chose lui sauta aux yeux, après une courte observation. L’endroit où était censé habiter Amin Osman Said, le « contact » de « Wild Harry », sur qui la CIA mettait tous ses espoirs, se trouvait situé juste entre les deux quartiers les plus dangereux de la ville ! À l’ouest, Houdan où était installée une des grandes bases éthiopiennes et, à l’est, Hawl-Wadag où se trouvait le Bakara market, le centre commerçant de la ville où s’entassaient 300 000 personnes au minimum.

Envoyer Hawo là-bas revenait à lui faire prendre des risques insensés. À vol d’oiseau, ce n’était qu’à six ou sept kilomètres, mais, entre deux points d’appuis éthiopiens, c’était une jungle féroce où tout le monde s’entre-tuait...