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Le convoi fonçait en klaxonnant, zigzaguant entre les piétons, les carcasses de véhicules, les charrettes. À certains endroits, la vie semblait presque normale, puis on trouvait des quartiers inhabités aux maisons détruites, dont peu avaient plus de 1 m 50 de hauteur. Des gosses et des femmes étaient accroupis au bord de la route, devant des éventaires squelettiques. Parfois, ils passaient devant un homme seul, la Kalach sur les genoux, bâillant aux corneilles.

Le convoi ne ralentissait jamais, même en longeant les murs de l’ancien stade transformé par les miliciens en école de conduite. Du coin de l’œil, Malko repéra même une enseigne totalement irréaliste « Travel Agency », surmontée d’un Boeing 747 grossièrement dessiné au pastel. Dans ce pays, sans gouvernement, sans monnaie, sans douane, sans impôt, sans administration et, surtout, sans touristes. Et où la tête du moindre étranger étant mise à prix à un million de dollars...

Ils coupèrent par un chemin poussiéreux bordé d’épineux, doublant des piétons, surtout des femmes et des enfants, pour déboucher dans Maka Al Muka-bara road. En arrivant à Tribunka Square, le km 4, le véhicule ralentit à la grande surprise de Malko, les miliciens sortirent les canons de leurs armes, visant le ciel.

— Qu’est-ce qu’ils font ? demanda-t-il.

Hawo désigna plusieurs cocotiers, plantés le long de la voie.

— Ils vérifient s’il n’y a pas de types planqués dans les arbres pour déclencher une charge explosive.

Comme ici, le terrain est très plat, ils se mettent là.

Il n’y avait pas de malfaisants dans les cocotiers et ils s’engagèrent dans la Via Lénine montant vers le nord. Bordée surtout de ruines et de terrains vagues avec quelques maisons blanches et des petits marchés.

Au bout de dix minutes, ils aperçurent un hôpital sur la gauche et Hawo annonça.

— Ce n’est pas loin.

Effectivement, cinq cents mètres plus loin, la route se scindait en deux et Malko aperçut une station-service explosée, au toit de guingois. Hawo lança quelques mots au conducteur qui bifurqua et se dirigea vers un groupe de maisons de l’autre côté de la route, dans la direction de Bakara Market. Hawo se retourna vers Malko.

— Restez là, je vais me renseigner.

Elle sauta à terre et s’éloigna, escortée par un des miliciens. Juste au moment où une traînée rouge montait dans le ciel du côté de Bakara Market. Dans le lointain, on entendait un grondement d’artillerie. Malko croisa les doigts, priant pour que Amin Osman Said soit encore dans les parages.

Sinon, ils auraient risqué leur vie pour rien.

* * *

Plus d’une demi-heure s’était écoulée. De la Land-Rover, Malko observait Hawo en train de faire son enquête, allant d’une maison à l’autre, traversant Lénine road, revenant. À côté de lui, les miliciens mâchonnaient leur khat comme des bovins heureux, serrant quand même leur Kalach de près quand un véhicule s’approchait.

Un 4x4 plein d’hommes en keffiehs roses passa à toute vitesse. Vraisemblablement des Shebabs. Et puis, des tas de mataton, taxis collectifs, pleins comme des huîtres, avec des monceaux de bagages sur le toit.

Il ne voyait presque plus Hawo qui se trouvait désormais à un kilomètre.

Enfin, il la vit revenir et elle rejoignit la Land-Rover. Le visage couvert de sueur, les yeux cernés, mais souriant courageusement.

Dès qu’elle fut remontée dans le 4x4, elle se retourna vers Malko.

— J’ai trouvé sa maison !

Il sentit sa poitrine se dilater de joie.

— Il y est ?

— Non, elle est fermée, on dirait qu’elle est abandonnée.

— Il est parti ?

Elle eut un sourire de triomphe.

— J’ai retrouvé sa trace, par un voisin. Amin Osman Said est toujours vivant. Seulement, il a eu des problèmes...

— Lesquels ?

— D’abord, des gens lui veulent du mal, alors il a été obligé de quitter sa maison et d’envoyer sa famille à Baidoa. Sinon, ils auraient tous été assassinés. Il a chargé le voisin que j’ai vu de veiller dessus. Ce dernier a creusé une tranchée devant et, la nuit, il planque dedans pour empêcher les pillards de venir. Il y a beaucoup de pauvres à Mogadiscio.

— Et lui, Amin Osman Said ?

— Il a eu un accident de moto et il est à l’hôpital Médina. Avec le genou très abîmé.

— Vous savez où est l’hôpital Médina ?

— Bien sûr.

— Il faut y aller.

Hawo ne répondit pas tout de suite et Malko sentit qu’il y avait un loup...

— L’homme qui m’a renseignée m’a donné une information importante, dit la jeune femme. D’après lui, Amin Osman Said travaillerait avec Moktar Robow...

Malko crut avoir mal entendu. Moktar Robow était le chef « historique » des Shebabs, l’homme dont les Américains avaient mis la tête à prix, un des rares Islamistes à avoir échappé à la campagne de « nettoyage » de « Wild Harry ».

— Vous voulez dire qu’il a changé de camp ?

Hawo eut un sourire résigné.

— Ici, c’est courant. La question est de savoir si vous voulez toujours entrer en contact avec lui. Cela peut se révéler extrêmement dangereux.

Pas besoin de faire un dessin. Même avec les miliciens de Darwish, si Malko se trouvait avec les Shebabs à ses trousses, il ne reprendrait jamais l’avion. L’idée l’effleura un instant que l’attentat de la veille au soir était peut-être lié à ce changement de camp.

Mais comment Amin Osman Said aurait-il pu savoir qu’on venait le voir ? Il ne fallait pas devenir parano.

Un bus surchargé passa dans un nuage de gas-oil. Malko regarda la masse indistincte et blanchâtre de la Médina sur sa droite. Dans cette ville plate comme la main, on se voyait de loin. Sa décision fut vite prise.

— On va prendre le risque, dit-il. On ne peut pas être venus pour rien.

Un nouveau coup de roulette russe. Presque de la roulette belge où il y a une cartouche dans chaque alvéole du barillet, vu les circonstances.

CHAPITRE XVIII

Hawo regarda longuement Malko. Comme pour sonder ses véritables intentions.

— Pour moi, dit-elle, ce n’est pas très dangereux de me rendre au Médina Hospital et de tenter de trouver Amin. Mais il est hors de question que vous veniez. Je vais garder une seule voiture et vous allez retourner au Ramada avec les autres. Il ne faut pas trop nous attarder ici. On risquerait d’avoir un incident...

— D’accord, admit Malko. Une question : Amin vous connaît-il ?

— Non.

— Comment allez-vous l’aborder, dans ce cas ?

— Je vais lui dire que, sachant que je venais à Mogadiscio retrouver des membres de ma famille, Harry avec qui je suis associée pour un commerce de fleurs, m’a demandé de voir ce qu’il était devenu. De cette façon, c’est complètement neutre. J’essaierai évidemment d’en savoir plus sur sa vie actuelle. Quitte à ne pas trop insister.

— Faisons comme cela, conclut Malko.

Hawo lança des instructions aux miliciens et il changea de voiture, repartant vers le sud. Il suivit des yeux la Land-Rover filant au milieu du no man’s land vers le quartier de Wadajir. L’hôpital Médina se trouvait en lisière de la ville indigène, à deux ou trois kilomètres.

Très vite, il ne pensa plus qu’à éviter de jouer au punching bail avec ses voisins : le chauffeur conduisait pied au plancher, écartant les taxis collectifs à grands coups de klaxon, comme s’il disputait un rallye... ils mirent moins d’une demi-heure à regagner l’hôtel.

Il était temps pour Malko de faire le point avec Nairobi. « Wild Harry » lui avait remis un Blackberry crypté et un Thuraya.