Encadré comme un chef d’État par quatre miliciens, il pénétra dans le petit hall sombre du Ramada. Un homme barbu, en turban, le torse ceint de cartouchières, l’attendait dans un des vieux fauteuils de rotin du hall. Il vint à sa rencontre et prit sa main dans les siennes. Darwish, le responsable de la sécurité du Président Youssouf, l’homme qui avait aussi organisé la sienne. Malko se dit qu’il venait probablement pour réclamer un peu plus d’argent et s’assit avec lui.
Le Somalien commanda du thé et des fruits, puis se pencha vers Malko.
— I am very sorry fit-il à voix basse.
— De quoi ? demanda Malko surpris. Darwish eut un sourire féroce et embarrassé.
— hast night. Boum...
L’attentat qui aurait dû transformer Malko en chaleur et en lumière... Celui-ci, qui avait du mal à comprendre l’anglais haché et cotonneux de l’ancien conducteur de Fenwick, aggravé par un horrible accent cockney appris en Angleterre, posa sa main à plat sur sa poitrine.
— I promise to my friend Omar to keep you alive.
— I am ashamed.
Il enchaîna sur des explications confuses tendant à prouver que, pour 3 dollars par jour, les miliciens n’étaient plus ce qu’ils étaient. Il avait viré les deux qui se trouvaient de garde ce soir-là, et ils ne retravailleraient plus jamais pour lui.
Malko le remercia pour ce beau geste et allait se lever lorsque Darwish se pencha au-dessus de la table, collant presque sa grosse moustache noire au visage de Malko.
— J’ai fait enquêter, souffla-t-il. Je sais qui a voulu vous tuer.
Du coup, Malko n’avait plus envie de se lever.
— Qui ? demanda-t-il.
Le Somalien sortit un papier de sa poche et le lui tendit. Il était couvert d’inscriptions en arabe avec deux mots écrits en capitales en caractères romains : Ibrahim Muse.
— That’s him,chuchota-t-il.
Le nom ne disait absolument rien à Malko qui leva sur lui un regard interrogateur.
— Qui est-ce ?
Darwish baissa encore la voix.
— Un Majarteen. Il distribue du khat qu’il va chercher tous les jours à l’aéroport. C’est pour cela qu’il a pu entrer à l’hôtel. Tout le monde le connaît... Malko ne dissimula pas son étonnement.
— Pourquoi a-t-il tenté de me tuer ?
Le Somalien frotta son pouce contre son index avec un sourire entendu.
— Money...
— Il travaille avec les Shebabs ? Le Somalien secoua la tête.
— Il ne travaille avec personne et il vend à tout le monde. J’ai trouvé où il habite. Il est à Bakara market, j’ai l’adresse. Lui seul sait qui lui a donné l’ordre de déposer cette bombe.
— Il ne le dira peut-être pas, remarqua Malko, qui connaissait la nature humaine.
Sourire féroce de Darwish.
— Nous allons le surprendre avec mes hommes et ensuite, on le fera parler. Seulement, il faut faire attention : à Bakara market, il y a beaucoup de miliciens...
Malko écoutait, sans trop s’engager. Il n’avait pas envie de se lancer dans une vendetta douteuse, au cœur du quartier le plus dangereux de Mogadiscio. D’autant qu’une idée venait de se faire jour dans son esprit.
— Vous me dites qu’il travaille avec Nairobi. Vous savez avec qui ?
Darwish baissa encore la voix et souffla, dans une haleine amère de khat.
— Il représente un homme très riche et très puissant : Hadj Aidid Ziwani, qui vend beaucoup de khat en Somalie. Vous le connaissez ?
— Non, jura Malko.
Il avait la réponse à sa question. Et une nouvelle interrogation. Pourquoi le trafiquant de khat, qui avait failli le kidnapper, le poursuivait-il de sa rancœur, jusqu’à le faire assassiner à Mogadiscio ?
Pour le moment, ce n’était pas très important. Il adressa un sourire reconnaissant à Darwish.
— Vous avez bien travaillé. J’ai encore beaucoup de choses à faire à Mogadiscio en peu de temps. Si je le peux, nous irons à Bakara market essayer de retrouver cet homme.
— Please, fit d’une voix pressante Darwish, avec un bon sourire dégoulinant de cruauté. Il m’a fait perdre la face, je veux lui couper la gorge moi-même.
Une telle conscience professionnelle, de nos jours, était admirable.
Malko se leva et, après plusieurs embrassades, parvint à se débarrasser du Somalien. En montant l’escalier, il jeta un coup d’œil à sa Breitling. Se demandant où était Hawo.
À peine dans sa chambre, il essaya le Blackberry avec une puce locale. Impossible de sortir. Il passa au Thuraya et dut s’approcher de la fenêtre pour attraper un satellite. Et, enfin, cela sonna.
— Allô ?
La voix chaude de « Wild Harry » lui fit du bien. Il essaya de ne pas repenser à ce qui s’était passé la veille au soir entre sa fiancée et lui... Il n’avait même pas eu le temps d’interroger Hawo sur sa véritable relation avec le vieil Américain.
— Comment se passent les choses ? demanda celui-ci.
Malko le lui expliqua. La conversation dura près de vingt minutes. « Wild Harry » était stupéfait que son agent, Amin Osman Said, ait changé de camp.
— C’est incroyable ! fit-il, sûrement une fausse rumeur. Je le connais bien : c’est un type évolué, laïc, pas religieux pour un sou, très attiré par l’Occident. Bien sûr, vivant en Somalie, il est tenu au service minimum. Mais il n’a qu’une seule femme et n’a jamais été attiré par les thèses de Bin Laden ou des Wahabites.
— J’espère en savoir plus, très vite, conclut Malko. Quelquefois, les gens changent sous la pression des événements. J’ai l’impression que l’emprise des Shebabs se fait de plus en plus forte.
— Amin m’a aidé à capturer plusieurs des lieutenants de Robow, rétorqua « Wild Harry ». Sans aucun état d’âme. U n’a pas pu changer à ce point, car il ne le faisait pas seulement pour l’argent, mais il pensait que ces islamistes avaient une influence néfaste pour son pays.
— On va savoir très vite la vérité, conclut Malko. À propos, Hadj Aidid Ziwani a voulu me faire assassiner.
— No kidding !
Lorsqu’il eut raconté l’attentat, « Wild Harry » émit un ricanement inquiétant.
— Quand vous serez revenu, on ira lui rendre visite dans sa belle maison de Nyali, promit-il.
Malko regardait d’un œil la présentrice de Hornafrica lorsque la porte s’ouvrit sur Hawo. La jeune Somalienne semblait épuisée et elle se précipita sur une bouteille d’eau minérale. Malko la laissa se désaltérer, puis demanda, anxieusement.
— Vous l’avez trouvé ? .
La jeune Somalienne s’assit sur le lit, à côté de lui. Son bafto était maculé de taches de transpiration.
— Oui ! fit-elle.
Avant de continuer, elle se pencha et ses lèvres effleurèrent celles de Malko, comme un rappel de ce qui s’était passé entre eux.
— Comment avez-vous fait ? demanda Malko.
Hawo sourit.
— J’ai cherché dans tout l’hôpital. Heureusement que j’y ai été, il sort aujourd’hui.
— Il est guéri ?
— Non, mais ils n’ont rien pour le soigner. Son genou est très abîmé et il faudrait une opération sophistiquée, qu’ils sont bien incapables de faire.
Malko posa la question qui lui brûlait les lèvres.
— Vous lui avez parlé de « Harry » ?
— Bien sûr ! Il était fou de joie d’avoir de ses nouvelles. Il pensait qu’il était retourné aux États-Unis.
Malko fronça les sourcils.