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— Je vais au bungalow.

Elle s’éloigna et il crut que « Hulk » allait décoller de sa chaise pour la courser.

— O.K., conclut-il, je vais rendre compte. Je vous rappelle très vite.

L’interception des pirates n’allait pas être une partie de plaisir.

* * *

Amin Osman Said fut arraché à sa torpeur par la porte qui s’ouvrait brutalement. Mohammad, le jeune Shebab qui s’occupait de lui, venait de pénétrer dans la chambre, visiblement très excité.

Il tendit à Arnin le portable qu’il avait à la main, et lança :

— Vite, mon frère ! C’est notre ami de Bahrein. Donne-lui le code.

— Le code ? Quel code ?

Abruti de douleur, Amin ne tenait le coup qu’en mâchant du khat toute la journée. Le seul médicament disponible à Harardere. Il ne bougeait plus de son lit.

— Wadajir, lança Muhammad. Dis-lui que tu es Wadajir.

Asmin Osman Said prit l’appareil et lança le mot code. Aussitôt, son interlocuteur annonça en mauvais anglais :

— Le navire s’appelle Venus Star. Il bat pavillon libérien. Il est très gros, avec un équipage de 26 hommes. Il doit appareiller de Bahrein dans quarante-huit heures, à destination de Rotterdam, en passant par le Cap de Bonne Espérance. Il est trop gros pour franchir le canal de Suez. Il navigue à 14 nœuds.

Tu as compris ? Répète.

Amin Osman Said répéta à haute voix, en détachant bien les mots. En face de lui, Mohammad était tellement excité qu’il dansait littéralement de joie.

Soudain, la communication fut coupée et Amin Osman Said tendit le portable à Mohammad avant de retomber sur son lit. Le jeune Shebab se ruait déjà hors de la pièce.

Dans un état second, Amin se dit que son calvaire allait peut-être prendre fin. Désormais, les Shebabs n’avaient plus aucune raison de le retenir. Il allait enfin pouvoir se faire soigner dans un vrai hôpital où il ne fallait pas amener ses médicaments... Il ne pensait même pas, en cette seconde, à la précieuse information à transmettre aux Américains, tant il souffrait.

* * *

Le petit groupe de Shebabs entourant Cheikh Robow était penché sur une grande carte de l’Océan Indien et du Golfe Persique qu’ils avaient sortie de sa cachette. En effet, sur ce document étaient indiquées les zones de travail des « motherships » des pirates. Jour après jour, grâce à la radio et aux téléphones satellites, ils suivaient leur position. Un surtout les intéressait : le Buruh Océan, qui devait mener l’opération mixte pirates-Shebabs. En ce moment, il tournait en rond dans l’océan Indien, à la latitude des Maldives, à près de 600 miles nautiques de la côte somalienne. Traînant derrière lui ses deux barques d’assaut munies de moteurs de 75 chevaux leur permettant d’atteindre 30 nœuds.

Cheikh Robow se pencha sur la carte, posant l’index sur un point tout près de l’Arabie Saoudite : le port de Manama, dans l’île de Bahrein. Au beau milieu du golfe persique, à mi-chemin entre Koweit et le détroit d’Ormouz.

En appareillant de Manama, le Venus Star allait probablement plein est pendant 300 miles environ, jusqu’au détroit d’Ormouz. Après l’avoir franchi, il piquerait alors vers le sud, très au large des côtes africaines pour contourner d’abord Madagascar, puis ensuite l’Afrique du Sud.

Il ne restait plus qu’à calculer sa course et à transmettre les éléments aux pirates qui attendaient de l’intercepter. Tant qu’il se trouvait à l’intérieur du Golfe Persique, il n’y avait rien à faire : les navires de guerre américains, saoudiens, iraniens, y pullulaient. Ensuite, la zone était encore infestée d’ennemis, à cause de la surveillance étroite que les Américains exerçaient sur les côtes iraniennes.

Après, c’était plus cool. La Task Force 150 se trouvait beaucoup plus au nord, vers Aden, et, seules quelques grosses unités américaines patrouillaient cette zone de l’océan Indien, arraisonnant les navires qui leur paraissaient suspects. Seulement, la zone était immense et, sans renseignements précis, ils n’étaient guère dangereux pour les pirates. Le Cheikh Robow se redressa, le regard brillant.

— Inch Allah, lança-t-il, nous allons servir la cause d’Allah, le Tout Puissant et le Miséricordieux.

Et aussi, celle des Shebabs, que personne ne prenait au sérieux, décimés par les chars éthiopiens, obligés de s’enfuir des villes. Ils allaient prendre leur revanche.

Muhammad se pencha vers son,chef.

— Le frère Amin souffre beaucoup. Peut-il rejoindre son clan à Hobyo ? Ils doivent le transporter à Mombasa.

— Oui, approuva le Cheikh. Nous avons toutes les informations nécessaires.

* * *

Le visage d’Amin Osman Said était couvert de sueur lorsque Muhammad retourna auprès de lui. Lorsque le jeune Somalien ouvrit les yeux, Muham-mad réalisa à quel point il souffrait.

— Le Cheikh est d’accord pour que tu partes, dit-il.

— Il faut me transporter à Hobyo, souffla Amin. Hobyo se trouvait à trois heures de route de Harardere, par une piste effroyable, mais il n’y avait pas d’autre moyen d’y arriver. Amin Osman Said se dit que le parcours allait être un véritable supplice. Sa dernière épreuve.

— Tu partiras demain matin, annonça Muhammad.

Amin leva vers lui un visage ravagé par la douleur.

— J’ai mal, mon frère, on ne peut pas partir aujourd’hui ? Je n’en peux plus.

— Je vais voir s’il y a un véhicule pour t’emmener, promit le Shebab en sortant de la pièce.

De Hobyo à Mombasa, il y avait environ 400 miles nautiques. Les dhows de pêche filaient au maximum à 12 nœuds. Cela représentait plus de trente heures de mer.

* * *

Malko mit la clef dans la serrure du bungalow. Après le départ des Blackwaters, il avait eu une longue conversation téléphonique cryptée avec Mark Roll, expliquant les difficultés de leur projet. Il était plus prudent, dès qu’ils auraient obtenu le renseignement essentiel, de le transmettre à l’US Navy. La Ve Flotte avait des moyens d’intervention infiniment supérieurs à ceux de la CIA.

Le chef de Station avait bondi au plafond.

— Jamais ! C’est une affaire que nous traitons. Nous le ferons jusqu’au bout.

— Et si cela cause une catastrophe, à cause des délais trop courts ?

— À vous de faire que cela ne se produise pas ! avait tranché Mark Roll.

* * *

Le dhow était parti de Hobyo avec la marée. Cap au sud. Une petite embarcation de douze mètres, utilisée pour la pêche. Six hommes d’équipage. Amin Osman Said avait été installé sur une toile, à l’arrière, à côté de l’homme de barre, avec de l’eau, du khat et du riz. Les trépidations du diesel semblaient se répercuter directement dans son genou. Heureusement, la mer était calme et la houle supportable. Aucun pavillon, un seul feu en haut du mât, pas de nom ni de port d’attache. L’équipage dormait, à l’exception de l’homme de barre.

À une trentaine de miles de la côte somalienne, se dirigeant au GPS, invisibles pour les radars, ils ne risquaient aucune interception.

L’arrivée à Mombasa ne poserait aucun problème.. Tous les jours, ou presque, des dhows similaires y relâchaient pour y vendre leur poisson, repartant ensuite avec des marchandises de contrebande. Pour quelques centaines de shillings kenyans, les douaniers fermaient les yeux.