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Si les Américains n’avaient pas oublié le sinistre épisode de 1993 où les miliciens somaliens avaient abattu deux hélicoptères US, massacrant ensuite sauvagement dix-huit Rangers, les Somaliens avaient toujours gardé en mémoire la riposte américaine qui avait fait 4000 morts somaliens. civils compris.

« Black Hawk Down » avait traumatisé les Américains, qui considéraient la Somalie comme une terre où il était suicidaire d’aller, mais les Somaliens nourrissaient à leur égard une haine qui ne cessait de grandir. Si les Shebabs arrivaient à capitaliser sur cette haine, ils risquaient de créer la base djihadiste la plus dangereuse du monde.

Donc, il fallait coûte que coûte faire quelque chose. Mark Roll se demanda comment ses chefs allaient résoudre la quadrature du cercle. Envoyer un « case-officer » dans un pays en plein chaos, sans autorité ni vrai gouvernement, avec une sécurité bien en dessous de zéro et pas la moindre structure locale d’appui. Sauf à emprunter un kamikaze aux islamistes, il ne voyait pas la solution.

CHAPITRE IV

La chaleur poisseuse de Nairobi, après le froid humide de l’Autriche, créait une sorte de cocon tiède, amollissant, engourdissant, contrastant avec le froid glacial régnant dans la Buick envoyée à l’hôtel Serena par le chef de Station de la CIA de Nairobi, Mark Roll. D’un œil distrait, Malko regardait défiler les propriétés magnifiques de Muthansa road, des villas cossues entourées de végétation luxuriante, refuge de tous les ambassadeurs un peu argentés et de quelques autres qui l’étaient moins. On se serait cru en pleine jungle alors qu’on n’était qu’à la périphérie chic de Nairobi. Il aperçut au passage un drapeau américain planté au centre d’une immense pelouse : la résidence de l’ambassadeur. Et, un peu plus loin, un drapeau grec : c’est là qu’il avait récupéré, quelques années plus tôt, Àbdullah Ocalan, le leader kurde du PKK, qui pourrissait désormais dans une île-prison turque.

Grâce à la rapacité des Services kenyans...

La limousine tourna à droite, découvrant les hideux bâtiments des Nations-Unies, et, en face, un majestueux building blanc planté au milieu d’une immense pelouse et séparé de la route par de hautes grilles noires : la nouvelle ambassade américaine, isolée dans ce quartier résidentiel. Les Américains avaient de bonnes raisons d’être prudents : la précédente, érigée en pleine ville, avenue Jomo Kenyatta, avait été transformée en un tas de gravats par une puissante explosion en 1998, entraînant la mort de deux cent quatre-vingt-dix Kenyans et de onze Américains. Un des premiers attentats d’Al Qaida.

Lorsque Malko s’était rendu pour l’affaire Ocalan à Nairobi, les diplomates américains s’étaient réfugiés dans deux immeubles jumeaux en brique rouge de Crescent street, où ils étaient entassés comme des sardines. Désormais, avec ce bunker ultramoderne, tout était rentré dans l’ordre.

La Buick, après avoir franchi trois portiques, une barrière escamotable et avoir été inspectée par un vigile qui avait passé un miroir sous la carrosserie, s’était enfin arrêtée devant le bâtiment principal, face à celui de l’US AID. Malko dut encore passer sous un portique magnétique surveillé par une Noire superbe, sanglée dans un uniforme impeccable. Tout y passa : ceinture, chevalière, montre, stylo. Si Mark Roll n’était pas arrivé, elle l’aurait probablement déshabillé...

Mince, de petite taille, un petit bouc noir bien taillé, le chef de Station de la CIA ressemblait à un instituteur, il s’excusa d’emblée.

— J’aurais dû venir vous chercher hier soir à Jomo Kenyatta, mais je suis resté coincé dans les embouteillages... Ici, c’est épouvantable : les rues sont défoncées et il y a de plus en plus de voitures. Heureusement, il n’y a presque plus de touristes depuis les troubles de l’année dernière...

À la suite d’une élection présidentielle, les Kenyans avaient contesté les résultats à l’africaine, en se massacrant joyeusement...

— La grand-mère de Barack Obama n’attire pas les touristes ? demanda ironiquement Malko.

— Même pas, laissa tomber l’Américain. En plus, elle habite au diable. Depuis qu’Obama a été élu, les Kenyans la considèrent comme une icône. C’est elle, la seconde épouse de son grand-père, qui l’a élevé. Pourtant, il ne s’en occupe pas beaucoup. Il n’a même pas prévu de venir au Kenya. Il faut dire que cette grosse Noire, en boubou multicolore, ferait désordre à la Maison Blanche.

Malko ne fit aucun commentaire. Mark Roll avait dû voter Mac Cain... Ils venaient d’arriver à son bureau, au quatrième étage, dont les baies donnaient sur une mer de verdure. Des murs nus, à part la photo de Georges W. Bush et une grande carte du Kenya.

L’habituel café abominable les attendait. Mark Roll tira soigneusement sur le pli de son pantalon et laissa tomber.

— Je crois que vous connaissez bien le Kenya.

— Un peu, reconnut Malko. Du temps des Britanniques, c’était un beau pays...

Mark Roll ne releva pas cette remarque politiquement incorrecte et se versa un Coca.

— Moi, je n’y suis que depuis six mois, avoua-t-il, et ma femme s’y ennuie beaucoup. Une fois qu’on a fait le tour de tous les parcs d’animaux, il n’y a pas grand-chose à faire. Moi encore, j’ai du boulot... D’ici, je « traite » aussi la Somalie.

— Vous y allez ? demanda innocemment Malko. L’Américain eut un sursaut horrifié.

— Of course, no ! Aller là-bas, c’est suicidaire.

— Ah bon ! fit Malko, sans commentaires...

C’est justement pour s’occuper de la Somalie que la Station de la CIA de Vienne lui avait demandé de s’envoler pour le Kenya. Apparemment, ce n’était pas suicidaire pour tout le monde... Mark Rou regarda sa montre.

— On va y aller. On a rendez-vous avec quelqu’un qui connaît la Somalie beaucoup mieux que moi. Vous connaissez le restaurant « Tamarind » ?

— J’y ai été.

— C’est le meilleur de la ville, affirma avec enthousiasme le chef de station de la CIA, en enfilant sa veste.

Accroché à sa ceinture, Malko remarqua l’étui d’un petit « deux pouces ». En principe, dans un pays ami, les agents de la CIA n’étaient pas armés. Après tout, peut-être que le Kenya n’était pas ami à 100%...

Tandis qu’ils roulaient vers le centre, Malko se permit de demander.

— On m’a dit à Vienne que je devais m’occuper de la Somalie. C’est exact ?

— Tout à fait ! confirma Mark Roll. C’est pour cela que nous allons déjeuner avec « Wild Harry ».

— Pourquoi « wild » ?

— Il a passé sa vie à faire des trucs de folie. Sa dernière mission, c’était la Somalie. Il est parti en retraite, il y a presque un an. Seulement, Langley l’a repris sous contrat pour six mois.

— Ah bon ? fit Malko, surpris.

Ce n’était pas dans les habitudes de la CIA. Sauf, après le 11 septembre, lorsqu’on avait battu le rappel de tous les anciens d’Afghanistan et du Pakistan, ceux qui avaient vu des terroristes ailleurs qu’à la télévision.

— Vous n’avez pas assez de monde à Nairobi ? demanda Malko.

— Oh, si ! affirma Mark Roll. Seulement, « Wild Harry » est « spécial »...

— « Spécial » ?

L’Américain baissa la voix, comme pour avouer un secret honteux.

— « Wild Harry » est resté deux ans à Mogadiscio entre 2005 et 2006. Comme N.O.C.