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— Un arbre l’a écrasé.

— Et tu es revenu ici tout seul ?

— C’est lui qui me l’a demandé. Il m’a dit de venir te voir.

— Rien d’autre à propos d’un ou deux petits meurtres d’enfant à commettre en cours de route ? »

Rigg hésita à lui parler de l’homme sorti de l’au-delà, peut-être mort lui aussi. Mais cela signifierait lui parler également de ses dons de vision ; les choses étaient déjà suffisamment compliquées comme ça. Elle risquait de le prendre pour un fou et de remettre en question son innocence. Il passa à autre chose. « Il m’a affirmé que tu me dirais où étaient ma sœur et ma mère.

— Il ne pouvait pas te le dire lui-même ?

— Pourquoi, il aurait pu ?

— Non, bien sûr. Me laisser le sale boulot, ça lui ressemble plus.

— Toute ma vie, tu as su que ma mère était vivante, et tu ne me l’as jamais révélé ?

— Je l’ai appris lors de votre dernier passage, rectifia-t-elle. Il m’a prise à part et m’a donné des noms et une adresse à apprendre par cœur, en m’affirmant que je saurais quoi en faire le moment venu.

— Le moment est venu, dit Rigg.

— Pour ce que ça va te servir, continua Nox, avec tous ces hommes autour de la maison.

— Je préfère savoir avant de mourir.

— Commence par me dire comment l’enfant est mort. »

Rigg raconta tout mais ne parla pas de l’homme d’un autre temps qui avait fait rater le sauvetage. Il sentit que Nox flairait l’histoire un peu courte, mais préféra ça à des confidences sur ses talents un peu particuliers.

Nox finit par sembler convaincue. « M’étonne pas de cet idiot d’Umbo d’accuser sans savoir. Toutes tes fourrures sont perdues ?

— Pas vraiment perdues, puisque je sais où elles sont, répondit Rigg. Elles flottent quelque part sur la rivière.

— Oh, tu ne manques pas d’humour, dis-moi. Ça fait plaisir à entendre.

— Mieux vaut en rire qu’en pleurer.

— Tu peux pleurer aussi. Tu dois bien cela au vieil homme. »

Une seconde, Rigg pensa qu’elle parlait du vieil homme en haut des chutes. Elle parlait de Père, bien sûr. « Il n’était pas si vieux.

— Qui sait ? Je n’étais qu’une enfant qu’il venait déjà dans cette maison. À l’époque, on ne lui donnait déjà pas d’âge.

— Tu vas me dire où aller maintenant ?

— Je vais te le dire, comme ça tu connaîtras l’adresse du lieu que tu n’auras jamais atteint. Personne ne te laissera sortir du village vivant, ni aujourd’hui ni demain.

— Les noms, insista Rigg.

— Tu as faim ?

— C’est la chair encore chaude de la maîtresse de ces lieux que je vais dévorer si elle continue.

— Des menaces ? Tut tut. Vilain garçon. Et mal éduqué, en plus.

— Exactement, confirma Rigg. Mais plus qu’entraîné à tuer des créatures de deux fois sa taille.

— Ça me revient, dit Nox. Quel petit futé, dis donc. Ta mère s’appelait, enfin s’appelle, Hagia Sessamin. Elle vit à Aressa Sessamo.

— L’ancienne capitale de l’Empire Sessamoto ?

— Tout à fait, acquiesça Nox.

— Et son adresse ? » demanda Rigg.

Nox soupira. « Il faut apprendre à écouter, mon garçon. Ton père répétait toujours : “Si seulement je pouvais le faire écouter.” »

Rigg n’avait pas l’intention de lâcher le morceau. « L’adresse.

— Je te l’ai dit, elle s’appelle Hagia Sessamin.

— Ce n’est pas une adresse, ça.

— Ah, s’étonna-t-elle, on dirait que ton père a omis de te parler de la vie politique à Sessamoto. Ce qui n’a rien de surprenant, après tout. Si tu sors de Gué-de-la-Chute vivant, rends-toi à Aressa Sessamo et demande la maison de “la Sessamin”. Tout le monde sait où elle est.

— Je descends d’une famille royale ?

— Tu es un mâle, répondit Nox. Ce qui veut dire que tu pourrais te vider de ton sang royal par les oreilles que ça n’émouvrait personne, là-bas. C’était un empire dirigé par les femmes. Une très bonne chose, mais qui ne dura pas. Ce qui ne signifie pas que la plupart des villes, des nations et des empires ne sont pas dirigés par des femmes, d’une manière ou d’une autre. » Elle s’arrêta pour le dévisager. « Qu’est-ce que tu me caches ? »

Rigg sortit la première chose qui lui passa par la tête. « Je n’ai pas d’argent pour le voyage. J’ai tout perdu avec les fourrures.

— Serais-tu en train de supplier une vieille femme de soulager son bas de laine de quelques pièces ?

— Non, se défendit Rigg. Si tu n’as rien… Mais si tu as un peu, je le prends volontiers. Même si je ne sais pas quand je te le rendrai, ni si je pourrai te le rendre un jour.

— Sache que je ne vais ni t’avancer ni te donner ni même te prêter quoi que ce soit. Mais te demander à toi, pourquoi pas.

— À moi ? Mais je n’ai rien !

— Ton père t’a laissé un petit quelque chose.

— Qu’attendais-tu pour me le dire ?

— Je suis en train de te le dire. » Elle appuya un escabeau contre l’une des étagères massives et commença à grimper.

« Je te préviens, si tu regardes sous ma jupe, je te crève les yeux pendant ton sommeil.

— Je viens chercher de l’aide et tu me donnes des cauchemars, merci beaucoup. »

Debout sur la dernière marche, Nox tira une petite boîte portant l’inscription HARICOTS SECS. Rigg jeta un coup d’œil sous sa jupe juste parce qu’elle le lui avait interdit, mais n’y vit rien qui justifiât l’interdiction. Il n’avait jamais compris pourquoi Nox et les autres femmes étaient toujours si sûres que les hommes rêvaient de voir ce qu’elles avaient à cacher.

Elle redescendit avec une petite sacoche. « Une belle attention non ? Un père qui laisse ça derrière lui pour son fils ? »

Elle l’ouvrit et versa son contenu dans sa main. Dix-neuf gemmes, plus grosses et colorées que ce que Rigg aurait jamais cru possible, toutes différentes.

« Et que suis-je censé en faire ?

— Les vendre, répondit-elle. Tu as là une fortune.

— Je n’ai que treize ans, lui rappela Rigg. Tout le monde pensera que je les ai volées à ma mère. Ou à un inconnu. On ne croira jamais quelles m’appartiennent. »

Nox extirpa de la sacoche une feuille de papier pliée. Rigg s’en saisit. « Elle est adressée à un banquier d’Aressa Sessamo.

— Merci, dit Nox. Je sais encore lire. »

Rigg la parcourut rapidement. « Père m’a parlé de lettres de crédit.

— Ravie de le savoir. Il ne s’est pas donné cette peine, avec moi.

— Celle-ci précise que je m’appelle Rigg Sessamekesh.

— C’est que ça doit être ton nom alors, dit Nox.

— Ça n’aura de valeur qu’une fois à Aressa Sessamo, ajouta Rigg.

— D’ici là, tire tes ressources de la terre, comme ton père et toi avez toujours appris à le faire.

— Ça marche dans les forêts. Mais il n’y a presque que des villes, des fermes et des champs jusqu’Aressa Sessamo. Et à ce qu’on dit, ils fouettent les voleurs.

— Ou les mettent en prison, les vendent comme esclaves ou les tuent, selon les villes et l’humeur des gens.

— Alors il me faut de l’argent.

— Si tu sors vivant de Gué-de-la-Chute. »

Rigg resta muet. Que dire de plus ? Elle ne lui devait rien. Mais il n’avait plus proche ami qu’elle, même si elle n’était pas sa mère.

Nox soupira. « J’ai prévenu ton père de ne pas compter sur moi pour te donner quoi que ce soit.

— Il n’y comptait pas. Il s’était arrangé pour que je reparte avec un énorme paquet de fourrures, le plus gros que je puisse emporter.