Выбрать главу

— Non, dit Umbo, hésitant.

— Réfléchis, poursuivit Nox. Rigg devait bien faire quelque chose de ses fourrures. Où étaient-elles ? Devait-il les laisser sur l’autre rive ? Que font toujours Rigg et son père des fourrures qu’ils rapportent ici ? »

Umbo secoua la tête.

« Ensuite, tu as dit que Rigg s’était mis à quatre pattes entre deux rochers. Pourquoi, à ton avis ? Pour frapper sur les doigts de Kyokay et le faire lâcher ? Dans quel but ? Combien de temps Kyokay aurait-il tenu, de toute façon ? Avait-il seulement la force de remonter sur le rocher ? Le rocher était-il seulement assez gros pour ça ?

— Je ne sais pas, admit Umbo.

— La seule version qui tienne, c’est la vérité, affirma Nox. Rigg traversait là où il a l’habitude de traverser avec son père, loin en retrait des chutes. Seul un petit casse-cou choisirait de traverser juste au bord. »

Des murmures d’approbation se firent entendre. Rigg contemplait Nox avec un respect grandissant. Elle s’exprimait encore mieux que Père. Son discours patient, limpide, créait une atmosphère de confiance, projetait dans les esprits de ces hommes une vision claire des événements.

« Nous savons tous à quel point Kyokay était téméraire, poursuivit-elle. Combien d’entre nous l’ont vu marcher sur les toits, grimper aux arbres les plus hauts ? Il trouvait toujours un moyen de se faire remarquer. C’est pour cela que ton père t’avait demandé de veiller sur lui, pour l’empêcher…

— … de se tuer, termina Tegay à mi-voix.

— Rigg se trouvait là où tu aurais dû être, à faire ce que tu étais censé faire, Umbo, dit Nox. Protéger Kyokay. Il a sacrifié une saison de dur labeur, tout ce qu’il avait au monde, pour essayer de sauver ton frère. Il a affronté le danger, s’est étendu entre ces rochers pour lui attraper la main et le tirer de là. Mais ton frère a lâché prise et est tombé. Et Rigg s’est retrouvé là, en plein courant. Un faux pas et c’était fini pour lui aussi. Et alors qu’il tentait de revenir vers la berge vivant, que fais-tu ? Tu lui jettes des pierres.

— Je pensais qu’il… je pensais…

— Tu étais en colère. Quelqu’un était coupable d’une chose affreuse. Quelqu’un qui n’avait pas fait ce qu’il aurait dû, et qui méritait une punition, poursuivit Nox. Mais ce quelqu’un, ce n’était pas Rigg, si ? »

Umbo fondit en larmes. Son père le serra contre lui.

« Ni Umbo, dit-il. Mais Kyokay. Il ne voyait pas le danger. Il n’en faisait qu’à sa tête. Umbo n’y est pour rien. Rigg non plus. » Il se tourna vers les hommes rassemblés tout autour. « Que personne ne touche à Rigg, en mémoire de Kyokay, déclara-t-il.

— Qu’est-ce qui te pousse à croire qu’elle dit la vérité ? lança un homme au fond de la foule.

— C’est une sorcière, continua un autre. Elle t’a ensorcelé.

— Elle n’y était même pas. Elle fait comme si elle savait, mais elle n’y était pas. »

Nox pointa la foule du doigt. « Et vous, qu’est-ce qui vous pousse à vouloir croire le pire ? Pourquoi une telle soif de sang tout à coup ? Quel genre d’hommes êtes-vous ?

— Il a tué un enfant ! » cria un homme en retour. Rigg l’avait déjà croisé aux abords du village, mais ne le connaissait pas. Un inconnu… jusqu’à maintenant. Ces quelques mots avaient suffi à en faire le meneur des plus belliqueux de la troupe. « Moi je dis que c’est le père de Rigg qui a les fourrures, et que c’est Umbo qui dit vrai !

— Excellente supposition, intervint Rigg, sauf que mon père est mort. »

La foule se tut.

« Voilà pourquoi je portais toutes les fourrures moi-même, poursuivit-il. Je suis rentré seul.

— Comment ton père est-il mort ? s’enquit Tegay d’un ton aussi condescendant que bourru.

— Écrasé par un arbre, répondit Rigg.

— Et on va te croire ! hurla l’un des hommes.

— Assez ! cria Nox. Vous avez saccagé ma maison comme des malpropres, et je me suis tue en mémoire de Kyokay et par respect pour sa famille endeuillée. Mais Umbo admet n’avoir aperçu qu’une chose ici, une autre là. Rigg n’avait absolument aucune raison de tuer Kyokay – ces trois-là étaient liés par l’amitié et rien d’autre. Il a sacrifié ses fourrures et risqué sa vie pour le sauver. La seule histoire à croire, c’est celle-ci. Maintenant partez. Vous voulez du sang ? Alors rentrez chez vous égorger un poulet ou une chèvre et, pendant votre festin, n’oubliez pas d’avoir une petite pensée pour Kyokay. Mais le sang ne coulera pas chez moi aujourd’hui. Partez ! »

Alors que les hommes se dispersaient, le plus énervé de la troupe marmonna, suffisamment fort pour que ses mots parviennent aux oreilles de Rigg : « Il tue son père dans les bois puis revient assassiner nos enfants dans leurs lits.

— Je suis désolé pour ton père, dit Tegay à Rigg. Merci à toi d’avoir essayé de sauver mon petit garçon. » Le cordonnier s’effondra en larmes. Le forgeron et le fermier le raccompagnèrent.

Umbo resta seul un instant, le regard levé vers Rigg. « Pardonne-moi de t’avoir jeté ces pierres. Et de t’avoir accusé.

— Tu ne pouvais pas savoir, lui répondit Rigg. Je ne t’en veux pas. »

Il aurait aimé lui en dire davantage, mais Nox referma la porte.

« Comment as-tu deviné tout ça ? demanda Rigg. Je n’ai pas dit toutes ces choses.

— Je connais l’endroit, répondit Nox. Et j’avais entendu Umbo raconter son histoire, pendant les recherches.

— Ce mur que tu as construit… à quoi sert-il, au juste ?

— Il affaiblit les volontés. Il pousse les gens à se ranger à la mienne. Et ce que je voulais à l’instant, c’était de la paix, du calme, du pardon, et qu’ils restent à l’extérieur de ma maison.

— Mais certains hommes ne semblaient pas touchés, constata Rigg.

— Mon mur n’a pas agi sur ceux du fond. Seulement sur les plus proches de moi. Ça n’a rien d’un vrai talent, comme Bon Professeur se plaisait à me le rappeler, mais il a bien fonctionné aujourd’hui. En tout cas, il m’a épuisée. Si Tegay avait vraiment voulu ta mort, je n’aurais rien pu faire. Mais il ne l’a pas souhaitée. Il savait que Kyokay était un petit inconscient. Tout le monde disait qu’il finirait par se tuer à force de jouer avec le feu. C’est ce qui est arrivé. Tegay s’en doutait.

— C’était de la magie, dit Rigg. Tu es une magicienne.

— À toi de me le dire, répondit Nox. Ce que tu fais, toi, c’est de la magie ? Pouvoir suivre les traces des autres ? Même ceux qui sont morts depuis des millénaires ? Est-ce de la magie ? »

Père le lui avait donc révélé. Après lui avoir fait jurer de ne jamais dévoiler ce secret à personne. Par « personne », Père voulait donc simplement lui conseiller d’être prudent et de ne pas se confier à n’importe qui. La nuance avait toute son importance. « C’est juste une chose que je sais faire, admit-il.

— Mais ce n’est pas un sort. Tu ne l’as pas appris, tu ne peux pas l’enseigner à quelqu’un. Ce n’est pas de la magie, c’est un sens que tu sembles être le seul à posséder et qui, si on le comprenait mieux, nous apparaîtrait aussi naturel que…

— … respirer », compléta Rigg. Il avait entendu cette phrase dans la bouche de Père tant et tant de fois qu’il n’eut aucun mal à la finir. « Père t’a appris à mieux comprendre ton talent, à toi aussi.