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— Surtout, pense à bien respirer avant de plonger, autrement, tu vas te noyer. Et rappelle-toi : sous le bateau, sinon leurs carreaux d’arbalète ne te rateront pas quand tu ressortiras pour reprendre ton souffle. »

Umbo partit vers l’escalier. L’officier se dirigea immédiatement vers eux.

« Reviens ici », cria Miche. Umbo obéit.

L’officier fit demi-tour.

« On va partir d’ici », murmura Miche.

Umbo regarda vers le bas.

« Devant toi, dit Miche.

— Et si je ne passe pas le pont en dessous ? s’inquiéta Umbo. Si je me fracasse la jambe contre la rambarde, que je tombe à l’eau et que je me noie ?

— J’ai tout prévu », le rassura Miche.

Sans transition, il l’attrapa par le col d’une main et par la ceinture de l’autre et le projeta par-dessus le bastingage en y mettant une telle force que le jeune cordonnier atterrit dans l’eau, bien au-delà du pont inférieur.

Umbo n’eut pas le temps d’admirer le paysage. Des cris éclatèrent immédiatement sur le pont et à peine eut-il sorti la tête de l’eau qu’un second corps y était précipité – contre toute attente, celui de l’officier, qui en ressortit postillonnant entre deux étranglements, hurlant pour qu’on le sorte de là.

Umbo hésita avant de se rappeler que ce n’était pas à lui de s’en charger. Les consignes de Miche avant tout ; il plongea sous le bateau. Il ressentit plus qu’il n’entendit l’arrivée fracassante du tavernier dans la rivière. L’ombre de la coque le masquait désormais. L’eau trouble brouillait sa vision et il fut pris de panique à l’idée de se cogner en voulant reprendre sa respiration s’il ne nageait pas assez loin, il commençait à manquer d’air, il allait mourir… mais il nagea jusqu’à sentir ses poumons sur le point d’exploser.

Il ressortit à l’air libre loin derrière le bateau. L’équipage entier s’affairait sur l’autre bord à sauver l’officier.

Quelques secondes plus tard, Miche apparut à une dizaine de mètres de là, entre lui et le bateau. Umbo s’interdit de faire le moindre geste ou de prononcer la moindre parole : ce n’était pas le moment de trahir bêtement leur présence. Il se laissa porter par le courant et arriva rapidement à hauteur de Miche, qui avait de son côté nagé à contre-courant pour le rejoindre. Ils pouvaient désormais discuter discrètement. Mais que dire, sinon : « Attendons qu’ils s’éloignent » ?

Une chose peut-être, mais qu’Umbo n’osa exprimer : l’espoir que Rigg comprendrait pourquoi ils l’avaient abandonné en quittant ce bateau. Quoique… techniquement, Umbo n’avait pas vraiment sauté.

Après quelques minutes, ils estimèrent le navire suffisamment éloigné. Miche tira vers le rivage en diagonale, Umbo aussi, mais sans pour autant essayer de suivre le rythme de son compagnon à l’envergure et à la force démesurées.

Rien ne pressait. Nager, il savait faire. Une fois sur la berge, il allait devoir apprendre à remonter le temps.

Chapitre 10

Citoyen

Après une semaine de traitement des données, le sacrifiable décréta les calculs terminés : « Chaque ordinateur de bord a livré son jeu de lois physiques. Strictement appliquées, elles expliqueraient une dépense énergétique identique pour notre aller et notre retour dans la contraction.

— Ces lois sont-elles en relation quelconque avec nos observations du fonctionnement de l’univers tel que nous le connaissons ? demanda Ram.

— Non, répondit le sacrifiable.

— Alors demandez aux ordinateurs de poursuivre leurs calculs jusqu’à trouver le point d’équilibre entre l’entrée dans la contraction et la sortie, entre notre saut dans le passé et notre retour à l’envers dans le temps, mais sans violer les lois empiriques de la physique. »

* * *

« Vous serez ravi d’apprendre, dit le général en refermant la porte de la cabine derrière lui, que votre ami, “Miche”, si c’est bien son nom – si c’est un nom tout court – est désormais à bord. Nous sommes au complet. » Rigg refoula toute émotion de son visage. En fait, il ne savait trop laquelle ressentir finalement, à part la déception. Et encore. S’il était là, c’est que Miche s’était laissé faire. S’il avait résisté, la capture aurait tourné au massacre.

Pour que la conversation ne s’éternise pas sur le sujet, Rigg répondit au général : « Je connais votre grade, mais pas votre nom. »

Il tira une chaise et s’assit face à lui à une petite table coincée dans un recoin de la cabine. De l’extérieur parvenait l’agitation bruyante des hommes d’équipage préparant le navire au départ.

Le général se tourna vers lui en souriant. « Ah, ainsi, en tête à tête, vous consentez à respecter les règles de bienséance.

— Contrairement à vous, qui continuez à me cacher votre identité.

— J’attribuais vos fréquents silences à votre peur. Mais je comprends maintenant que ce n’était que par dédain pour la piétaille, comme tous les membres de la famille royale.

— Ma richesse subite ne m’a pas subitement fait prendre de grands airs. Quant aux membres de la famille royale, j’ignore tout de leur comportement, si tant est que cette chose qu’on appelle royauté existe toujours dans la République du Peuple.

— Aucune goutte de sang n’a été versée pendant la Révolution du Peuple, vous le savez parfaitement. La famille royale est toujours vivante.

— Je crois pourtant vous avoir entendu dire que moi, j’étais mort, contra Rigg. Et qu’il ne restait plus grand-chose de royal chez les autres.

— Ils ne sont plus au pouvoir, c’est différent, corrigea le général. Appelez-moi par mon grade, “général”, ou par mon statut social, “citoyen”.

— Si la famille royale n’est plus au pouvoir, demanda Rigg, quel intérêt à se faire passer pour l’un des leurs ?

— C’est bien ce que j’essaie de comprendre, répondit le général. D’un côté, vous êtes peut-être le péquenaud ignorant que vous prétendez être. D’un autre, vous vous en êtes plutôt bien sorti jusqu’à présent, ce qui dénote un certain niveau d’éducation.

— Mon éducation a été particulièrement sélective, expliqua Rigg. J’ignorais même à quel point, étant donné qu’elle m’a toujours paru bien inutile, mais elle ne l’a pas été tant que ça finalement. Mon père a toujours insisté pour que j’apprenne ce qu’il voulait, quand il le voulait.

— Il vous a enseigné la finance, mais pas l’histoire, semble-t-il.

— Si, mais aujourd’hui je me rends compte qu’il a laissé de côté l’histoire récente du Monde entre les Murs. Il avait certainement une bonne raison de le faire, mais qui ne m’aide pas beaucoup en ce moment.

— Vous vous exprimez dans un langage soutenu, qui ne détonnerait pas à la cour.

— Toujours les leçons de Père, mais il n’y a qu’en sa présence que je m’exprimais ainsi. Et en la vôtre maintenant, pour converser d’égal à égal. Et face à Tonnelier, parce que ça l’intimidait.

— Ça n’a pas suffi, on dirait. »

Rigg ne voulait plus entendre parler de Tonnelier. « Quelqu’un finira bien par me dire votre nom, si je survis. Et si je péris, eh bien soit, j’emporterai ce terrible secret dans la tombe.

— Je ne vous cache rien, affirma le général. Quand la révolution a éclaté, ma famille a décidé de faire oublier son nom, qui manquait de discrétion, en adoptant celui de “Citoyen”. Vous pouvez donc m’appeler Général Citoyen. Quant à mon prénom, qui semble vous intéresser plus particulièrement, il serait bien impoli de l’utiliser, à moins d’être réellement de sang royal. Je m’appelle Haddamander.