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— Enchanté de faire votre connaissance, monsieur, dit Rigg. Et à moins que mon père ne soit un menteur, je m’appelle Rigg Sessamekesh.

— Il me semble que nous avons déjà convenu que votre père en était un. Car si vous répondez bien au nom de Rigg Sessamekesh, alors l’homme l’ayant attesté n’est pas votre père. Et si cet homme est bien votre père, alors vous ne répondez pas à ce nom. »

Citoyen lui reposait les mêmes questions que pendant leur marche de la tour au bateau, pour vérifier la cohérence de ses réponses. Mais Rigg ne disant que la simple vérité – enfin, à part sur le nombre de pierres précieuses –, il n’avait aucun mal à s’en tenir à son histoire. « Je ne saurais vous dire ce qui est faux de ce qui est vrai.

— Je suis à deux doigts de vous croire, répliqua Citoyen. Mais voyez dans quel embarras vous me mettez. Si vous êtes bien Rigg Sessamekesh, alors vous descendez de la famille royale, en tant que seul héritier d’une femme qui, s’il y avait une monarchie, serait reine : la veuve du prince consort Knosso Sissamik, tombé au Mur.

— Si je comprends bien, dans les deux cas, mon père est mort, nota Rigg. En même temps, si je suis de sang royal, il m’est interdit de posséder quoi que ce soit de valeur.

— Quoi que ce soit tout court, peu importe la valeur, même vos vêtements. Ou encore vos cheveux. Doutez-en si vous voulez, mais il arrive que des citoyens soient parfois invités chez une ancienne majesté, au hasard, pour lui raser la tête et repartir avec sa chevelure royale.

— Et ses vêtements ?

— Aussi, si tel est leur bon vouloir, confirma Citoyen. En théorie du moins. Car il y a quelques années, en raison d’un outrage public dont a été victime Param Sissaminka, dénudée alors qu’elle venait d’entrer dans la puberté, les cours de justice ont statué que, les membres de la royauté étant contraints d’emprunter leurs vêtements, seul le prêteur avait le droit de les reprendre. Toute autre personne serait jugée pour délit de vol et punie en conséquence. Cette décision invalidait les précédentes, qui faisaient leurs les habits des membres de la famille royale, et permettaient donc à quiconque de les leur prendre. Les temps changent. Le Conseil révolutionnaire du Peuple ne fait que répondre, quoique lentement, à la volonté du peuple. »

Rigg y réfléchit un instant. « Ces vêtements sont les miens, et pourtant vous n’avez pas essayé de me les prendre.

— Parce que je vous autorise à les porter. Nous en avons officiellement la garde, comme nous avons celle de votre argent et de vos autres biens, jusqu’à ce que votre non-royauté soit prouvée. Mais si cela arrive, attendez-vous à ce que la possession de la pierre que vous avez vendue soit fortement remise en cause. On vous poursuivra probablement pour recel et vente de bien volé, fraude et tentative d’usurpation d’identité royale, avec une condamnation à mort à la clé. Vu votre jeune âge, et comme vous n’avez sûrement pas agi de votre propre chef, cette peine pourrait être commuée en quelques années de prison – à condition bien entendu de coopérer en nous donnant les noms de vos commanditaires. »

Rigg soupira devant l’insistance de son accusateur. « Je vous l’ai déjà dit. J’ai découvert ce nom en même temps que la pierre : à l’ouverture de la lettre de mon père, et à sa lecture par son amie, qui en avait la garde. Elle ignorait tout de son contenu, mais savait pour la pierre, même si elle n’avait aucune idée ni de sa valeur ni de son histoire. Personne ne le savait, jusqu’à notre rencontre avec M. Tonnelier. Qui, si supercherie il y a eu, est mouillé dans l’affaire, si je ne m’abuse.

— Lui estime justement avoir été abusé.

— Le contraire serait étonnant, non ?

— Oui, mais la pierre est très certainement authentique, il n’a donc essayé d’escroquer personne.

— Général Citoyen, reprit Rigg, si je résume ma situation, dans un cas comme dans l’autre, je suis condamné à tout perdre. Soit je suis un héritier de la couronne, et on me dépossède de tous mes biens en vertu des lois qui s’appliquent à ma famille. Soit je ne suis héritier de rien du tout et donc coupable du crime dont on m’accuse et, sans autre complice à donner, c’est la peine de mort qui m’attend.

— Si cela peut vous consoler, nous essaierons d’abord d’obtenir des aveux de vos compagnons en les torturant à mort. Si aucun ne nous avoue qui sont, ou qui pourraient être, vos complices, ou n’apporte la preuve que vous n’êtes pas Rigg Sessamekesh, alors leur mort avant confession devrait vous sauver la vie. En principe. »

Rigg bondit de sa chaise. « Non ! C’est… c’est odieux. Une loi pareille ne peut exister ! Ils n’ont rien fait ! Umbo est un ami d’enfance, qui m’a accompagné parce que son père l’a jeté à la rue. Et Miche n’est qu’un homme bon, un ancien soldat devenu tavernier, qui ne cherchait qu’à nous protéger par sa présence pour le reste de notre voyage. Méritent-ils la peine de mort pour ça ?

— Enfin, mon cher, ne comprenez-vous pas ? Vous avez beau clamer leur innocence, cela ne les acquitte en rien – encore devons-nous vous croire. »

Sans autre parole, Rigg fonça vers la porte de la cabine, mais la main de Citoyen, au-dessus de sa tête, fut plus rapide.

« Vous croyiez sincèrement que j’allais vous laisser les prévenir ? » demanda-t-il.

Rigg alla se rasseoir et se mura dans le silence. Au moins, son dilemme juridique était-il éclairci. En restait un second : la survie de ses amis. Il n’avait aucun moyen de les alerter. Et pourtant… Umbo vivrait au moins le temps de passer au pied de la Tour d’O lui rendre une petite visite depuis le futur. Fallait-il y comprendre qu’en plus il resterait à O ? Et Miche aussi vivrait, sinon pourquoi Umbo lui aurait-il demandé de cacher les pierres ?

Impossible qu’ils soient torturés à mort, donc. S’ils voulaient s’en tirer, c’était maintenant, en s’échappant tant que le bateau était à quai.

Après un mouvement de roulis, le navire commença à bouger.

Très bien, dans ce cas, Umbo et Miche seraient bien inspirés de sauter à l’eau maintenant, pour gagner l’autre rive à la nage.

« Vous restez curieusement impassible malgré les mouvements du bateau, constata Citoyen. Que savez-vous que j’ignore ?

— Que le bateau bouge n’est pas franchement une surprise, rétorqua Rigg. Je dirais même que je m’y attendais depuis mes premiers pas à bord. Vous n’êtes pas sans savoir qu’un bateau est fait pour voguer, si ?

— Mais vous calculiez dans votre petite tête que vos amis essaieraient de s’échapper maintenant, tant que nous étions à quai.

— Qu’est-ce qui vous rend si sûr de ce que je “calculais” ?

— Les quais sont le seul endroit où grouille une foule suffisante pour s’y fondre, et où vos amis peuvent disparaître à toutes jambes. Et malgré un talent certain pour dissimuler vos émotions, vous vous êtes trahi d’un rien. On ne la fait pas à un joueur de noir-caillou avisé comme moi.

— Vous ne devez pas gagner souvent alors, répliqua Rigg. Parce que je n’ai pas cherché à cacher ma surprise lorsque le bateau a tangué. Si vous savez lire les émotions de vos adversaires à la table de jeu, la mienne n’a pas dû vous échapper.

— Votre surprise, non, mais je n’ai lu aucun trouble. Votre inquiétude a disparu dans la seconde.

— Je ne crois pas que vous les tuerez.

— Ça non, vous pouvez me croire sur parole.

— Content de vous l’entendre dire, fit Rigg en se permettant un infime signe extérieur de soulagement.

— N’essayez pas de me duper en feignant d’être rassuré. Une détente ne peut découler que d’une tension, et il n’y en a pas chez vous. En outre, je ne les tuerai ni ne les torturerai, car ce n’est pas à moi de le faire – la torture judiciaire est l’affaire des bourreaux, et le Conseil révolutionnaire n’en manque pas. Mon travail, c’est de vous ramener ; le leur, de vous soumettre à un interrogatoire. »