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— Je vous connais mal, Mère, admit Rigg. Je ne sais de la famille royale que les bruits qui courent. Souvent, comme vous pouvez l’imaginer, en des termes peu flatteurs. Combien de fois m’a-t-on conté leurs actes parricides, dans leur quête de pouvoir, leur crainte maladive de l’assassinat ou de la guerre civile ? Mais vos mots, et votre visage quand vous les prononciez, m’ont convaincu de la sincérité de votre amour, surtout en découvrant les contraintes qui vous sont infligées. Pardonnez-moi si je l’ai mise en doute, je ne pouvais faire autrement. »

Rigg se leva et s’agenouilla au côté de sa mère, qui se tourna pour lui faire face. Témoins d’une telle révérence, formellement interdite par les lois révolutionnaires, des convives s’indignèrent. Mère émit un début de reproche. Mais la voix de Rigg claqua comme un coup de fouet dans l’air : « Je m’agenouille devant cette femme comme un fils devant sa mère. Le plus humble des bergers est autorisé à le faire. On voudrait me l’interdire, parce que dans les veines de mes ancêtres coulait un sang royal ? Apprenez à vous taire ! Plutôt mourir que de laisser la peur faire taire la dévotion et l’amour que je porte à ma mère ! »

Ceux qui s’étaient levés se rassirent. Et alors que Rigg se penchait pour poser son front sur les genoux de sa génitrice, celle-ci, en lui tendant les bras, lui caressa les cheveux, le fit se lever et l’embrassa, les joues baignées de larmes, remerciant le saint Voyageur de lui avoir ramené son enfant sain et sauf de son long voyage dans des contrées sauvages.

Rigg se demanda ce que sa sœur pensait de tout cela, surtout après avoir assisté à cette scène en accéléré, et en version muette.

Quant à sa mère, Rigg ne la croyait qu’à moitié. Après tout, n’était-ce pas exactement ce qu’elle aurait fait si elle avait voulu sa mort ? D’accord, ses émotions semblaient sincères. Peu pouvaient se targuer de posséder un tel talent de comédien. Mais le fait qu’elle soit encore vivante n’était-il pas justement une preuve éclatante de sa capacité à se muer dans le personnage requis pour survivre ?

Quoi qu’il en fût, Rigg allait bien être obligé de faire confiance à quelqu’un ou sa vie ici allait vite devenir un enfer. Il décida donc de croire que sa mère devait sa survie non pas au fait de prétendre ressentir ce qu’elle ne ressentait pas, mais plutôt à celui de prétendre ne rien ressentir du tout. Ce jaillissement soudain d’émotions trahissait un rare moment de sincérité. Elle l’aimait. Elle ne voulait pas sa mort. Et s’il se fourvoyait, eh bien, il se remettrait vite de cette déception. Très vite même. Car sitôt déçu, il serait mort.

Chapitre 3

Angle mort

Ram regardait flotter devant lui l’hologramme géant du nouveau monde.

« Comment allez-vous l’appeler ? demanda le sacrifiable.

— Quelle importance ? répondit Ram. Son nom signifiera “ce monde qui est le nôtre”, quel qu’il soit. Comme “Terre”.

— Vous pensez que les colons oublieront d’où ils viennent ?

— Non, affirma Ram. Mais leurs enfants entendront parler de la Terre comme d’une planète lointaine. Et dans trois générations s’éteindra le dernier à l’avoir vue de ses propres yeux.

— Nous autres sacrifiables sommes également curieux de savoir comment vous comptez expliquer au reste des colons le saut en arrière de 11 191 années.

— Pourquoi leur en parler ? s’étonna Ram.

— Certains pourraient s’attendre à voir arriver des vaisseaux de réapprovisionnement.

— Ce ne sera pas le cas ?

— Qui les enverra ? Pour la Terre, nous n’avons effectué aucun saut. Nous avons juste disparu.

— Vous voyez les choses à l’envers. Pour la Terre, nous avons disparu, donc nous avons effectué le saut, rectifia Ram. Nous n’aurions pas effectué le saut si nous avions poursuivi notre route ou explosé. Sans débris ni autre signe de notre présence, ils ne peuvent conclure qu’à sa réussite. Ce qui veut dire qu’ils enverront des vaisseaux à notre suite, qui traverseront la contraction à leur tour pour en ressortir 11 191 ans en arrière, en dix-neuf copies chacun. On va même manquer de place pour accueillir tout le monde.

— Nous avons réfléchi à tout cela, indiqua le sacrifiable. Le renvoi dans le passé et les réplications ne répondent à aucune logique. Pour les ordinateurs, s’il y a un nouveau monde, c’est que le saut a réussi, un point c’est tout. Vous ne l’avez toujours pas baptisé, d’ailleurs.

— Merci du rappel, s’agaça Ram. Ça ne peut pas attendre ?

— Disons qu’un nom simplifierait les choses, débita le sacrifiable. Nous, les sacrifiables, et les ordinateurs de ce vaisseau échangeons dix mille messages à la seconde.

— Revenons à nos moutons, esquiva Ram. Si tous les champs générés nous ont fait réaliser le saut parfait, pourquoi nous retrouvons-nous à dix-neuf vaisseaux 11191 ans dans le passé ?

— À cause de vous », assena le sacrifiable.

* * *

Alors que le petit déjeuner se terminait, Rigg prit conscience que les choses sérieuses allaient commencer vraiment. Il devait gagner la confiance de Mère – en se rachetant de l’avoir poussée à faire étalage de son affection en public. Ensuite viendrait celle de Param. Comme elle restait invisible à longueur de journée, Mère lui transmettrait ses messages. Il gagnerait donc sa confiance par procuration.

Il se leva. « Mère, votre fils se pose une question à propos de son père. Permettez-vous que l’on se retire dans votre chambre ? Vous m’y parlerez de lui, de l’héritage qu’il m’a laissé. S’il vous plaît de le faire, bien entendu. » Se tournant vers les convives, il précisa : « Je ne parle pas d’héritage matériel autre que ce corps qu’il m’a légué.

— Que pourrait vouloir une mère plus ardemment qu’un peu d’intimité avec son fils lors de leurs retrouvailles ? lança Mère en se levant de table. J’ose espérer qu’on ne nous en tiendra pas rigueur. »

Flacommo se mit debout à son tour. « La loi vous interdit d’être seuls mais que tous ceux qui m’entendent se le tiennent pour dit : le premier qui interrompra ces retrouvailles chéries entre une mère et son fils perdra, et mon amitié, et celle de ma maison. »

Tu parles, pensa Rigg. Entre ces murs, l’intimité n’existait pas.

Alors que Rigg et sa mère prenaient congé de leurs invités, tous deux côte à côte – ou tous trois plutôt, Param le long du mur –, Rigg se pencha et glissa à l’oreille de Mère : « Je ne vous apprends rien en vous disant que votre chambre est sous haute surveillance. »

Elle se raidit sans marquer le pas pour autant. « J’en doute fort », contesta-t-elle. Ils traversaient maintenant une galerie aux murs couverts d’immenses toiles représentant des scènes totalement étrangères à Rigg.

« Des passages secrets dans les murs, poursuivit Rigg. Un espion s’y cache pour observer vos faits et gestes. »