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Puis un matin, il comprit. Le jour se fit comme ça, alors qu’il se demandait pourquoi les ordinateurs et les sacrifiables s’accordaient tous à dire que le saut dans le passé et le clonage des vaisseaux étaient de sa faute. La plupart des humains ne pouvaient influer sur le cours du temps. On pouvait même déclarer qu’aucun ne l’avait jamais pu. Et si cette déclaration tenait toujours…

« Je suis humain, lança Ram, avec peut-être un peu plus d’emphase que n’en nécessitaient réellement ces quelques mots.

— Merci, répondit simplement le sacrifiable.

— C’était ça la réponse que vous attendiez ?

— Si c’est celle que vous attendiez, elle nous convient. »

Irrité par l’ambiguïté de la réponse, Ram exigea des explications.

« Mais il n’y a rien à expliquer, coupa le sacrifiable. C’est votre décision finale, nous agirons en conséquence.

— Ce ne sera ma décision finale que lorsque j’aurai compris ce qu’elle implique de A à Z.

— Les êtres humains ne sont pas faits pour comprendre les implications de quoi que ce soit de A à Z. Ils ne vivent pas assez longtemps. »

Ram avait retourné la situation dans tous les sens. Suffisamment, en tout cas, pour l’exposer en termes clairs. « Ce dont vous semblez avoir besoin, poursuivit-il, c’est de pouvoir définir très précisément ce qu’est l’“espèce humaine” avant de vous lancer dans l’implantation des colonies. D’où votre besoin d’analyser en détail les circonstances susceptibles de remettre en cause votre définition.

— Nous en analysons des milliards, précisa le sacrifiable.

— Pourquoi pas toutes ?

— Parce que nous aussi, nous avons nos limites », admit le sacrifiable.

Une autre question traversa l’esprit de Ram. « Avez-vous détecté sur la nouvelle planète la présence d’espèces dotées d’une intelligence semblable à celle des humains ?

— Négatif.

— Et supérieure ?

— Négatif. »

Au moins ils n’essayaient pas de caser une espèce étrangère dans leur définition de l’humain.

En revanche, pensa Ram, ils veulent être sûrs que moi, j’entre bien dans leur définition. Sans quoi, je leur aurais servi de base pour faire progresser la survie des cotons et de leur descendance. Mais ma propre survie génétique, elle, aurait été en danger. Tout ça parce qu’un truc s’est produit dans ma tête, qui a détraqué le cours du temps et des choses.

Si je me reproduis, cette différence pourrait se retrouver dans les gènes de mes descendants. Et, à vivre isolés du reste de nos congénères pendant 11 191 années, bien malin qui pourrait prédire quelles autres spécificités nous pourrions développer par rapport à ceux restés sur Terre.

Ram tenta d’éclaircir son propos, à la manière d’un scientifique ou d’un avocat. « La définition de l’“espèce humaine’’ doit balayer le spectre complet de variabilité génétique existante ainsi que toutes ses variations possibles dans le futur, sous réserve que lesdites variations ne nuisent pas à la survie de l’espèce humaine en général.

— Trop vague, tiqua le sacrifiable.

— Sur ce monde et n’importe quel autre », ajouta Ram.

La machine resta de marbre.

Ram marqua une pause puis repartit de plus belle. « L’“espèce humaine” définit le vivier de gènes inter-reproductibles aujourd’hui connu sous le nom d’humains, auquel il convient d’ajouter toutes les variations futures du génome humain, même si ces génomes ne peuvent s’inter-reproduire avec le vivier de gènes existant, et sous réserve que les variantes futures ne menacent pas de détruire ou d’amoindrir les chances de survie du vivier de gènes existant, délibérément ou accidentellement. »

Cinq secondes s’écoulèrent avant que le sacrifiable ne prenne la parole.

« Nous avons discuté votre définition et analysé ses ramifications à une profondeur raisonnable. Nous l’acceptons, conclut-il.

— Autrement dit, vous avez ce que vous vouliez ?

— L’ambition et le désir sont des caractéristiques typiquement humaines. Vous nous avez donné ce qui nous manquait. »

* * *

Rigg pouvait percevoir n’importe quelle trace malgré les murs et la distance mais, dans la confusion d’Aressa Sessamo, ses capacités rencontraient leur limite : il finissait par les perdre dans l’enchevêtrement de traces serpentant dans la ville en tout sens. Ici, dans la maison de Flacommo, le problème était tout autre : les traces étaient faciles à suivre mais d’un intérêt minime. Rigg préférait se cantonner aux plus récentes, d’un an maximum, et à celles qui menaient aux passages secrets.

Il tenta bien de traquer quelques espions, mais une fois dehors, leurs traces sinueuses se perdaient dans l’effervescence des rues, comme celles de fugitifs pataugeant volontairement dans les rivières pour perdre les chiens pisteurs lancés à leurs trousses. Avaient-ils eu vent de son don ? Non, leurs pistes remontaient à bien avant son arrivée – avant même que quiconque dans la ville ne le sache vivant. Sans doute ne faisaient-ils qu’emprunter les rues principales et si Rigg ne pouvait remonter jusqu’à leurs commanditaires, c’était uniquement parce que son champ de vision ne portait pas aussi loin. Ou alors, parce que quelqu’un d’autre les filait et qu’ils avaient cherché à s’en débarrasser.

Une seule certitude : Flacommo était hors du coup. Personne dans la maison – pas même les domestiques – ne lui rendait de comptes. Les cuistots et les boulangers préparaient ce qu’ils voulaient, la gouvernante était libre de ses horaires. Flacommo ne faisait qu’errer ici et là, s’arrêtant au hasard des rencontres. Comme un petit s’invitant au milieu des grands, mais qui finit toujours par gêner.

Rigg n’était pas certain que la Grande Bibliothèque résoudrait son problème. Il pouvait voir les traces sinuer entre ses bâtiments resserrés mais, si claires et ordonnées fussent-elles comparées au fatras de la ville, elles lui apprenaient surtout qu’aucun espion n’y avait jamais mis les pieds.

Là-bas, ses recherches risquaient de se résumer à ce qu’il avait pressenti : une vaine tentative pour en apprendre autant que son père biologique. Soit trois fois rien en définitive, à part que la traversée du Mur se faisait mieux inconscient. Inutile de connaître les lois de la physique fondamentale sur le bout du doigt pour s’en douter.

Mais Père Knosso avait aussi étudié le cerveau humain, pour élaborer lui-même ses sédatifs. Et s’il était une chose que Rigg avait absolument besoin de comprendre, c’était comment le cerveau humain fonctionnait ; le sien en particulier. Sans parler de ceux d’Umbo, de Param et, pourquoi pas, de Nox, dans un deuxième temps.

Il saisissait mal les raisons qui avaient poussé le Conseil révolutionnaire à lui accorder un droit de sortie – surtout pour aller faire ce que lui avait décidé. Si le fils unique de la maison royale, dont la simple existence représentait un affront aux yeux du Conseil et de la monarchie matriarcale, exprimait une quelconque requête, quoi de plus logique que de la lui refuser ?

Visiblement, soit les partisans de la lignée mâle pesaient plus lourd que prévu, soit la décision de le tuer dehors l’emporta, car une ribambelle de savants débarqua un beau matin à l’improviste chez Flacommo. « Pour vous prendre à froid, expliqua le vieux botaniste qui semblait présider le groupe.

— J’ai eu toute ma vie pour me préparer, fit remarquer Rigg.

— Cela va sans dire, acquiesça le botaniste.

— Pardonnez ma curiosité mais… je m’interroge sur vos critères d’évaluation. Dois-je posséder l’immensité de votre savoir ? N’y a-t-il point parmi vous de savants plus jeunes, aux connaissances moindres ?