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Il l’aperçut le soir même, à peine un pied posé dans le jardin. « Il faut qu’on parle, écrivit-il sur son ardoise. Je sais comment sortir de la maison… par les passages secrets… l’un d’eux mène à la bibliothèque… on y sera plus tranquilles… il faudra faire vite… sinon on va remarquer notre absence. »

Il effaça « notre » et remplaça par « mon ». Personne ne remarquerait l’absence de sa sœur.

Cette nuit-là, il lutta contre le sommeil en espérant qu’elle viendrait mais finit par sombrer. Il fut réveillé d’une secousse sur l’épaule. Alors qu’il émergeait, un doigt se posa avec douceur sur ses lèvres. Il distingua une silhouette féminine, mais aucun visage.

Il se leva sans bruit et la suivit. Elle se déplaçait mécaniquement, fidèle à son habitude, rasant les murs des couloirs, prenant au plus court à chaque virage. On la sentait chez elle dans la nuit – et pourquoi en aurait-il été autrement ? Ils ne croisèrent personne.

Ils finirent par rejoindre un corridor rarement utilisé, qui menait à une chambre pour invités de passage. Elle s’arrêta, Rigg s’approcha. « Param ? » souffla-t-il.

En réponse, elle le prit dans ses bras et lui chuchota à l’oreille : « Ô mon frère, il m’avait dit que tu viendrais. »

Père était donc venu ici aussi, comme chez Umbo et Nox, pour l’aider à maîtriser son pouvoir. Car qui d’autre aurait pu lui promettre quoi que ce fût sur Rigg ? Lui seul connaissait son existence. Et pourtant, de mémoire, Père n’avait jamais quitté Gué-de-la-Chute assez longtemps pour partir vers Aressa Sessamo et en revenir. En même temps, avec Père, rien n’était impossible. Et dans un monde où Umbo, Param, Nox et Rigg avaient tous des pouvoirs plus bizarres les uns que les autres, qui savait de quoi Père était capable ?

« Il y a une entrée vers les passages abandonnés tout près d’ici », la pressa-t-il à voix basse.

Elle lui tendit la main, il l’y conduisit. De vieilles traces menaient tout droit vers le passage, mais à travers un mur plein. Rigg le parcourut de la main. Il n’y avait aucun signe d’ouverture.

Elle le tira doucement par l’épaule. « Il y a vraiment une porte ici ? murmura-t-elle.

— Il y avait une porte. Elle n’a pas été utilisée depuis deux cents ans.

— C’est que le mur n’est ni en pierre, ni en ciment, ni en brique alors, déduisit-elle.

— C’est juste une cloison. Ils l’ont montée pour sceller le passage. Ça doit être plâtré, sur du bois peut-être. Impossible d’être sûr. Ce n’est pas très important de toute façon, un bon coup de pied la fera voler en éclats. En revanche, on ne pourra pas refermer derrière nous. »

Pour toute réponse, elle lui posa la main sur le torse et le fit délicatement reculer jusqu’au mur de derrière : Attends-moi là. Sa silhouette s’estompa puis il la vit traverser, sa trace se mêlant à celles des anciens visiteurs du passage.

Alors qu’il commençait à s’impatienter, curieux de savoir ce que sa sœur trafiquait derrière, un bruit étouffé se fit entendre, suivi d’un tintement sonore – celui d’un ressort métallique relâché après des années de compression. À sa grande surprise, aucune porte ne s’ouvrit. La cloison entière coulissa vers le haut, révélant Param derrière.

Rigg la rejoignit. Param abaissa un levier et la cloison redescendit sans un bruit. Rigg aurait pu chercher longtemps. Une limite de plus à son don ; les traces lui indiquaient par où les autres étaient passés, pas comment.

Il fut surpris de trouver un couloir non pas plongé dans le noir, mais illuminé d’une faible lueur argentée. Il s’avança vers ce qui semblait être sa source – un puits de lumière par lequel seraient entrés les rayons du Grand Anneau, peut-être ?

La lumière était en fait réfléchie par des miroirs placés à chaque coude du tunnel – mais sur combien, il n’aurait su le dire. Il avait vu juste au moins sur un point : c’était bien le Grand Anneau qui baignait cet endroit de sa lumière. Les nuits nuageuses, une bougie – ou un bon guide – ne devait pas être de trop.

« Ça ne t’a pas fait mal de traverser ? s’inquiéta-t-il.

— Un peu, si », avoua-t-elle. Elle tendit la main. En la touchant, il frémit. Elle était brûlante, comme celle d’un enfant fiévreux. Il toucha son front, ses joues. Brûlants eux aussi.

« Tu ne peux pas faire ça à chaque fois, déclara-t-il.

— Il faudra bien. On ne sait pas comment l’ouvrir de l’extérieur. J’ai connu pire. Les murs de pierre ou de brique par exemple, ils me brûlent vraiment, mes habits prennent feu. Je ne m’en approche jamais. »

Il la prit dans ses bras. « J’ai été tellement heureux d’apprendre que j’avais une sœur. Tu n’as pas idée.

— Moi aussi, confia-t-elle. Il m’a dit de ne jamais révéler à Mère ton existence. Et aussi, que tu viendrais me libérer.

— Il avait raison. En suivant ces passages, on arrivera dehors.

— Comment ? Par en dessous ? demanda-t-elle.

— Le terrain sur lequel ces maisons ont été construites a été surélevé. Il s’est tassé depuis. Ce qui signifie que certains passages sont peut-être inondés – dans ce delta, l’eau court partout sous la surface. Si c’est le cas, il faudra tenir en apnée jusqu’à la sortie. Je connais un passage qui mène à la Bibliothèque du Rien. Mais il est assez long.

— Comment tu sais ça ? Tu l’as déjà emprunté ?

— Non, répondit Rigg. Mais j’ai suivi les traces de ceux qui l’ont fait. C’est mon don à moi – voir les traces que laissent les gens, même s’ils se cachent derrière un mur ou sous terre.

— Il est plus utile que le mien, souligna-t-elle.

— Ce n’est pas le mien qui nous a fait entrer ici. Et il ne me permet pas de disparaître en plein jour.

— Oui, mais il ne te brûle pas quand tu traverses quelque chose.

— À ce propos… je m’excuse de t’avoir traversée la dernière fois.

— Pas grave, l’excusa-t-elle. On marchait, on n’a fait que se croiser. Les murs sont stationnaires, c’est différent. Le contact dure. »

Il serra ses mains dans les siennes. « Comment l’appelais-tu ? Père ?

— Marcheur, révéla-t-elle.

— Il est venu ici, dans cette maison ?

— Oui, confirma-t-elle. J’ai raconté à Mère qu’un des savants m’avait appris par hasard à maîtriser mon don. En fait, c’était lui. Il s’était fait passer pour un jardinier. Le jardin porte encore sa marque d’ailleurs. Mais tu as dû voir sa trace, non ?

— Père – Marcheur – n’en laissait pas.

— Comment cela ?

— Peut-être qu’il l’effaçait… s’il en avait une. Je ne l’explique pas. C’est un saint, je crois. Un héros. Il a des pouvoirs uniques.

— Mais quand j’étais invisible, il ne pouvait pas me voir. Toi si.

— Non. Je vois juste où tu étais, par où tu es passée. Je ne te vois pas à strictement parler. Je te sens. Même dans mon dos ou les yeux fermés.

— Il a dit que tu étais le meilleur d’entre nous.

— Nous ?

— Ses élèves.

— Il t’a parlé des autres ?

— Il a dit que le monde s’était mis en quatre pour nous créer. Que nos pouvoirs étaient le cœur même de cet entremur. Tout repose sur nous.

— Tout quoi ? s’étonna Rigg. La restauration de la monarchie ? Pas très important, je trouve.

— Mais moi non plus, admit-elle. Et lui non plus.

— Il t’a dit plein de choses, bougonna Rigg. À moi, presque rien.