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— Tu es jaloux ?

— Oui, marmonna-t-il. Et énervé qu’il ne m’ait pas fait confiance.

— Il te faisait confiance plus qu’à personne d’autre. D’après lui, tu étais le seul vraiment prêt. Tu étais son meilleur élève.

— Je ne sais rien faire seul. Sans Umbo, mes traces ne me servent à rien, c’est lui qui m’ouvre les portes du passé comme toi tu m’as ouvert ce passage. Tout seul, je ne sers à rien.

— C’est toi qui nous as menés ici. »

Ils perdaient leur temps, elle ne parviendrait pas à le réconcilier avec son don. « Nous devons faire vite. Ils vont bientôt se mettre à notre recherche.

— Il n’y a rien de moins sûr, contesta-t-elle. Tout le monde dort.

— Tu serais surprise de voir comme on nous surveille, ajouta-t-il.

— Et toi, tu sembles oublier que j’ai arpenté ces pièces et ces corridors pendant des années, lui rappela-t-elle.

— À tourner en rond.

— C’est-à-dire ?

— Dès que tu t’arrêtes, tu réapparais. Pour rester invisible dans une pièce, tu tournes en rond. Un vrai tourbillon.

— Un vrai cauchemar, surtout, gémit-elle. Je n’en peux plus de tourner. Ça me rend malade.

— Alors pourquoi ne pas réapparaître ?

— Pour rester en vie.

— Je pensais… ils ont juste parlé d’un homme qui… t’avait enlevé tes habits.

— Ces exactions, ce n’était rien. Presque le quotidien. Mais cet homme, il avait un couteau. J’ai tout juste eu le temps de foncer sur lui – “foncer”, c’est comme ça que je dis – et de le traverser. Il n’a rien compris. À l’époque, je ne savais même pas que j’en étais capable. Eux non plus, d’ailleurs, mais maintenant si. Mère m’a raconté pour les espions. Ils savent tout.

— Ils ne savent que ce qu’ils voient et entendent, nuança Rigg.

— Moi je n’entends rien quand je fonce, poursuivit-elle. Ton idée, l’ardoise, c’était bien vu. Mère n’y a jamais pensé.

— Il faut y aller, maintenant. Mais avant, sais-tu si on peut actionner le mécanisme de l’extérieur ? Il faudrait pouvoir ouvrir du dehors. »

Ils inspectèrent les murs en vain. À part le levier enfoncé dans le mur, rien ne dépassait.

« Je peux inspecter l’intérieur du mur, si tu veux, proposa-t-elle, mais je ne vais pas voir ni sentir grand-chose. À part le brûlé, peut-être.

— Non, non, je te l’interdis. Mais… quel crétin ! Il me suffit de remonter à la construction de ce passage, et je retrouverai les traces de ceux qui ont mis en place le mécanisme ! En les suivant, je saurai comment il fonctionne.

— Les traces ne s’effacent pas, avec le temps ?

— Pas exactement, expliqua Rigg. Elles perdent de leur éclat en quelque sorte, deviennent plus distantes, sans que ce soit de la distance à proprement parler… Une fois quelque part, elles y restent. Bon, laisse-moi me concentrer, maintenant. »

Il lui fallut cinq minutes pour remonter à la bonne époque. Un autre bâtiment se tenait là. Cette aile de la maison de Flacommo, nota Rigg tout en luttant pour repérer les traces, avait d’ailleurs été simplement accolée à l’ancienne bâtisse, pour que ses habitants puissent agir dans le plus grand secret.

Rigg tomba enfin sur ce qu’il cherchait. « Le mécanisme déclencheur se trouve dans le plafond du couloir, annonça-t-il. Trop haut pour nous, même en sautant. Il faudrait un balai, une épée ou… quelque chose avec un manche… il y a deux boutons, un à chaque angle de la cloison. Il faut peut-être les enfoncer en même temps. À moins qu’un ne serve à ouvrir et l’autre à fermer.

— Retournons vérifier de l’autre côté », suggéra Param.

Rigg agrippa le levier.

« Attends, cria-t-elle. Et s’il y avait quelqu’un derrière ?

— Je le sentirais, la rassura Rigg. Il n’y a personne.

— On ne pourra plus se parler, une fois dehors.

— Mais on pourra demain. Et les jours suivants.

— Rigg, dit-elle en le prenant dans ses bras, chaque jour à t’attendre m’a rajeunie, tu sais.

— Rajeunie ?

— Lorsque je fonce, mon temps s’arrête. Plus j’accélère et plus le temps accélère au-dehors. Les journées du monde extérieur ne représentent que quelques minutes pour moi.

— Comment sais-tu combien de temps s’est écoulé pour toi ? l’interrogea Rigg. Comment mesures-tu la durée lorsque tu fonces ?

— Disons que j’ai ma propre méthode de calcul. Je connais le nombre de jours écoulés à l’extérieur et dans mon monde, je compte en mois. Tu comprends ? Depuis le début de ma retraite, deux mois se sont écoulés, mais les autres ont vécu plus d’un an. J’ai seize ans pour eux, mais mon corps en a vécu quinze à peine. À ce rythme-là, je vais vivre éternellement – si on peut appeler ça vivre. »

Elle pleurait. Pas comme une enfant, le visage tordu et pleurnichant, mais comme une vraie femme, les épaules soulevées en silence. « Param, nous allons te sortir d’ici, la consola Rigg en la serrant contre lui.

— Quitter cette maison ne suffira pas. Ils vont nous pourchasser dans la ville, dans la bibliothèque, partout où nous irons.

— Umbo et Miche seront là, poursuivit Rigg. Il faut y croire. Tu retrouveras ta vie d’avant. Et moi la mienne.

— C’est moi, la grande sœur, dit-elle. C’est moi qui suis censée te dire tout ça.

— Je sais, dit Rigg. Tu me berceras avec tes comptines une fois qu’on sera sortis d’affaire. Maintenant, allons-y. Après, il sera trop tard pour comprendre comment fonctionne ce truc de l’extérieur. »

Ils ne prirent pas la peine de chercher un balai – la courte échelle suffisait. Mains jointes, Rigg fit grimper Param sur ses épaules. En appui contre le mur, elle pressa le premier bouton. Le mauvais, naturellement ; rien ne se passa. Alors que Rigg commençait à désespérer, Param tendit le bras vers le second et appuya de toutes ses forces – si fort qu’elle en broya les épaules de son pauvre frère. La cloison redescendit en silence. Rien ne permettait de la distinguer des autres murs.

De retour au sol, elle embrassa son frère sur la joue et disparut.

Malgré tout ce temps passé ensemble, Rigg avait à peine aperçu son visage. Entre la lumière argentée du passage secret et la lueur vacillante des bougies dans le couloir, il n’était même pas sûr de pouvoir la reconnaître en plein jour.

Au moins, elle existait et il l’avait retrouvée, il avait accompli sa mission. Surtout, elle l’attendait. Père lui avait promis que Rigg la libérerait.

Père me faisait confiance.

Elle me fait confiance maintenant.

À toi de ne pas les décevoir.

Chapitre 5

Un passé à déterrer

« Nous avons dix-neuf vaisseaux, dit Ram. Et un seul monde.

— Ça nous fait dix-neuf fois plus de chances de réussir, calcula le sacrifiable.

— Dix-neuf fois plus de chances de connaître un chaos sans nom avec dix-neuf fois les mêmes personnes, estima pour sa part Ram. Dix-neuf fois plus de chances de rivalités, d’adultères, de meurtres. On va passer notre temps à comparer les vies de personnes ayant les mêmes noms, les mêmes ADN, les mêmes empreintes digitales. Et au final, nos dix-neuf vaisseaux ne peupleront qu’un seul et même monde.

— On n’a pas d’autre monde à proposer, s’excusa le sacrifiable. Et on n’a qu’un capitaine.

— L’un des gros avantages qu’il y a à implanter la race humaine à deux endroits différents, c’est que si une catastrophe frappe l’un, sa survie est tout de même assurée.

— Sauf en cas d’explosion du noyau galactique, nuança le sacrifiable.