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— Mais il ne t’a pas encore averti ! s’obstina Flaque.

— Il n’y a plus d’avertissement à donner, reprit Miche calmement. Tu n’as pas tué cet homme, je te dis.

— Mais si tu ne l’avertis pas… reprit Flaque.

— Mon avertissement a changé le cours des choses, expliqua Umbo. Je l’ai envoyé parce que tu avais tué cet homme. Miche a été averti, les choses ont changé, plus besoin d’avertissement.

— Mais tu ne l’as pas fait, enfin ! Pas encore !

— Si, appuya Miche. Il y a cinq minutes. »

Flaque était sur le point d’exploser.

« Fais comme moi, dis-toi juste que ça fonctionne comme ça, conseilla Miche. Il me prévient, les choses changent, plus besoin de me prévenir. C’est fait.

— Alors pourquoi retourner à O voler une pierre déjà volée ?

— Parce que je n’ai pas encore cette pierre, répondit Umbo comme si c’était l’évidence même. Pour l’avoir, encore faut-il la voler. »

Flaque baissa la tête et la secoua comme un chien trempé. « Je vous hais tous les deux, vous me rendez folle. » Elle retourna à ses fourneaux.

« Alors, on part quand ? s’enquit Umbo.

— Si on part tout de suite, calcula Miche, il nous faut à manger. Attendons que Flaque prépare un petit quelque chose, on n’a rien de frais.

— Il fait déjà nuit, de toute façon », ajouta Umbo.

Flaque s’immisça dans leur conversation depuis sa cuisine. « Tenez, un petit avertissement pour vous qui vient du futur : plus de pain frais, ni demain, ni un autre jour !

— On part ce soir », trancha Miche.

En cinq minutes, celui-ci leur avait trouvé une place à bord d’un radeau accompagnant un flottage de bois vers une scierie en aval de O. En cinq de plus, leur paquetage – un petit sac à dos chacun – était prêt. Ils préféraient voyager léger et, comme ça, ils paraîtraient suffisamment pauvres pour ne pas susciter la convoitise, et suffisamment riches pour ne pas se faire refouler à la porte des auberges.

Alors qu’ils s’éloignaient de la taverne, Flaque leur lança un cœur de laitue. « C’est sa manière à elle de nous dire qu’elle nous aime », traduisit Miche à Umbo.

La descente était payée d’avance. Pour qu’ils soient tranquilles, on les installa sur un radeau à plancher au milieu du train de flottage. Mais ils ne purent s’empêcher de donner un coup de main. Et chaque paire de bras supplémentaire était la bienvenue si elle pouvait éviter aux bûches de se mettre en travers de la rivière, alors pourquoi pas ? Miche avait la force et la masse pour lui, et Umbo le pied suffisamment sûr pour sautiller de tronc en tronc partout où on l’appelait. Sans compter que le petit commençait à grandir et devait s’épaissir en conséquence. Lutter perche en main contre quelques tonnes de bûches à la dérive lui ferait le plus grand bien.

Arrivés à la scierie, Miche et Umbo décidèrent de rallier O par la route, en couvrant à pied les quarante kilomètres restants. Ce qui voulait dire aussi payer pour une nuit à la ferme parmi les chèvres et se réveiller en sentant la bergerie. Mais le petit déjeuner serait bon et copieux. Et arriver à O par la route comme deux queuneux puant le bouc les ferait passer inaperçus.

Umbo était tout excité de retourner à O – cet endroit magique où tout avait commencé. Pour Miche, qui connaissait bien les lieux, ce n’était qu’une étape de plus avant destination. Arrivés en fin de matinée, ils traversèrent le centre d’une traite, ne s’arrêtant que dans une modeste pension à l’écart de la route principale, comme tout frugal voyageur aurait fait. La tenancière, une jeune veuve, sembla d’autant plus réjouie de les recevoir qu’un homme d’un certain âge voyageant avec son fils, présuma-t-elle, saurait se tenir.

Exténués, ils décidèrent de repousser au lendemain matin leur mission pierre précieuse. Après avoir demandé l’adresse de bains publics, ils se laissèrent convaincre par un bain chaud à la pension moyennant quelques pièces, dans une baignoire de bonne taille avec savon et serviettes étonnamment propres. Partager le lit ne les dérangea pas, il y avait de la place pour deux et, pour une fois, ils sentaient bon. Umbo dormit comme une souche et se réveilla d’attaque pour une bonne marche dans l’air frais du matin.

Leur déjeuner empaqueté, ils partirent pour la Tour d’O, la destination annoncée. À son pied s’étirait une interminable queue de touristes et de pèlerins ayant profité de la douceur printanière pour affluer vers le site. Dans ces conditions, quoi de plus normal pour ce père et son fils que de s’écarter un peu de la foule pour déjeuner tranquillement, dans les bois derrière les latrines, par exemple ? Après s’être posés à un endroit stratégique, le temps que l’endroit soit désert, Umbo se leva, fit semblant de s’étirer tout en se décalant de quelques mètres, puis s’agenouilla face à la cachette.

Il plongea ses deux mains dans le sol, creusa gaiement quelques secondes et en ressortit… rien du tout.

« Tu fais quoi, au juste ? le tança Miche. Tu sais bien qu’on les a déjà prises. Il n’y a que dans le passé qu’elles y sont.

— Simple vérification, souffla Umbo. En fait, je serais rassuré de les voir tout de suite.

— Bien sûr, pour que quelqu’un débarque à l’improviste, voie deux abrutis en train de déballer une fortune digne d’un empereur et se mette en tête de repartir avec, en laissant deux cadavres derrière lui.

— S’il te plaît.

— Tout ce que tu veux, mais pas les pierres.

— Je réfléchissais à quelque chose… hésita Umbo.

— Prends ton temps, ça peut être dangereux quand on n’a pas l’habitude.

— Que se passerait-il si je prenais deux pierres au lieu d’une ?

— J’en porterais seize, pas dix-sept.

— C’est pour ça que je veux les voir, ici et tout de suite. Si je prends deux pierres, l’une d’elles va-t-elle disparaître du sac ?

— Attention, c’est de la provocation, le prévint Miche.

— Ou finirons-nous juste avec deux pierres ? Et si je prends le paquet complet, les aura-t-on toutes en double, sauf la fameuse ?

— Ou finiras-tu par t’attirer la colère des dieux, à jouer avec le feu ?

— C’est peu probable.

— Rien de ce que tu fais n’est probable, mon garçon. Alors, maintenant, sois gentil et retourne dans le passé voler cette pierre que nous n’aurions pas à aller chercher si le diable en personne ne t’avait enfanté.

— Voilà une analogie à propos de mon père qui ne manque pas de pertinence, monsieur, s’amusa Umbo dans le langage châtié de Rigg. Quoique, si vous faites référence à ma mère, je devrais vous occire sur-le-champ pour le principe.

— La pierre », s’impatienta Miche. Il ferma les yeux.

« Tu ne regardes pas ? s’étonna Umbo.

— Pour te voir tendre le bras vers un trou invisible et en sortir une pierre précieuse, non merci.

— Moi je dis : regarde. Tu ne peux pas rater ça.

— Ne me dis pas ce que je dois faire », gronda Miche, qui sentait la moutarde lui monter au nez. Il détestait qu’on lui donne des ordres. Surtout un vulgaire gamin, même si celui-ci était bien plus intelligent que la plupart des clowns à qui il avait dû obéir à l’armée.

« Je me suis mal exprimé. Je ne veux pas que tu rates ça, parce qu’on va faire quelque chose d’inédit : je vais te prendre avec moi.

— Si je savais le faire, ça se saurait, déclara Miche. Fais-le et qu’on n’en parle plus.