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— Prends ma main, insista Umbo. Et surtout, garde les yeux ouverts. »

Miche ferma les paupières.

Umbo lui saisit la main.

« Ouvre les yeux, répéta-t-il.

— Non », refusa Miche. Il voulait en profiter pour se perdre dans ses rêves.

« Allez, quoi, râla Umbo. Ne fais pas ta tête de mule. Fais-le pour moi. »

Miche soupira et s’exécuta.

Dans les feuillages, au-dessus d’eux, éclataient les teintes vives de l’automne. Une bruine commença à tomber. Miche la sentait maintenant contre son visage.

« Par l’oreille droite de Silbom ! s’étouffa-t-il.

— Je vais te lâcher la main maintenant, indiqua Umbo. Tout en essayant de te garder avec moi. »

Il lâcha.

« Toujours l’automne ? s’enquit-il.

— Oui, répliqua Miche. Mais tu n’es plus là ! »

Umbo ne se sentit pas rassuré. « Comment ça ?

— Je vois toujours tes habits, mais tu n’es plus dedans !

— Menteur, le démasqua Umbo. Tu serais autrement paniqué si j’avais disparu.

— Si ça te plaît de le croire, continua Miche. Maintenant, creuse et prends la pierre, petit voleur. »

Umbo creusa à mains nues. « Tu les as cachées profond, dis…

— Pas autant que ça.

— Mince… je me serais trompé ? J’ai visé trop loin ?

— Peut-être. Ou alors tu ne creuses pas au bon endroit, suggéra Miche.

— J’ai bien vu d’où tu les as sorties !

— Oui, mais de cet angle-là, et de loin aussi. Tu chauffes. Recule d’un pas. Mais avant, rebouche bien le premier trou.

— Pourquoi ? Il n’y a rien dedans.

— Inutile d’aller mettre le doute dans l’esprit de celui qui le verra, surtout aussi près de la vraie cache. Je te rappelle quand même qu’on laisse derrière nous dix-sept pierres précieuses et qu’on ne va pas venir les récupérer avant un bail.

— Et pourquoi tu ne le bouches pas toi-même ? râla Umbo. C’est toi le pro de la cachette. »

Miche reboucha le trou et le recouvrit de cailloux et de branchettes. Entre-temps, Umbo avait déterré la sacoche. Il l’avait posée au sol, ouverte. Dix-huit pierres étincelaient devant lui.

« Je ne sais plus laquelle j’ai prise, hésita-t-il.

— Ce n’est pas le moment, grogna Miche. Quelqu’un peut venir d’un instant à l’autre – dans notre temps ou dans l’autre.

— Je ne blague pas, poursuivit Umbo. Ouvre ta sacoche qu’on regarde celle qui manque.

— Tu me prends pour un bleu ? C’est pour faire ton expérience, renifla Miche.

— Qui perd du temps maintenant ? » le pressa Umbo.

Miche soupira, sortit la sacoche de sa jambe de pantalon et l’ouvrit. « Je ne sais pas laquelle c’est. Je peux juste te dire celles que j’ai.

— Pose-les à côté des autres, on verra bien.

— Non, refusa Miche.

— Alors compare par toi-même. »

Miche s’exécuta à contrecœur, son regard passant d’une sacoche à l’autre. Il enrageait de voir dédoublées comme ça ces gemmes absolument uniques. Il finit par identifier la manquante. Il la pointa du doigt. « Celle-ci.

— Ben prends-la », lâcha Umbo.

Miche ressentit une impression bizarre au moment où il sortit la pierre de la sacoche pour la déposer dans l’autre.

« Maintenant, une deuxième ! le testa Umbo. Allez quoi, comme ça on verra !

— Ça suffit, s’énerva Miche.

— Ça ne craint rien ! Soit la pierre disparaît du sac, soit pas.

— Écoute, Umbo, s’impatienta Miche. Je ne sais pas si ça craint ou non. Personne ne le sait. Ce n’est pas un jeu. Et Rigg nous attend à Aressa Sessamo, au cas où tu aurais oublié. »

Umbo respira un grand coup et referma la sacoche – depuis que Miche le connaissait, jamais il n’avait fait tant de caprices. « Rebouche le trou », commanda Miche en comptant les pierres enfin au complet. Il referma sa propre sacoche et la glissa dans son pantalon.

Il fit disparaître la cachette sous quelques feuilles et une poignée de terre sèche, comme la première.

« Ça fera l’affaire, jugea-t-il. Maintenant, ramène-nous au présent.

— On ne l’a jamais quitté, indiqua Umbo. On s’est dédoublés dans les deux temps.

— Fais-nous disparaître du passé, alors. »

Comme par magie, l’automne et ses feuilles rougeoyantes laissèrent place aux verts bourgeons du printemps.

« Parfait, dit Umbo. Mission accomplie. Maintenant, en route pour Aressa Sessamo.

— Pas si vite, le stoppa Miche. Et tes deux messages ? Tu ne les as pas encore envoyés.

— Bien sûr que non, lui confirma Umbo. Je n’ai pas à les envoyer, pas plus qu’à toi pour te prévenir d’aller aider Flaque. »

Miche se laissa tomber sur une pierre basse, la tête dans les mains. « Au risque de paraître aussi borné que Flaque, Umbo, on doit le faire.

— Et qu’est-ce que je vais me dire ? Je ne m’en souviens même plus, déclara Umbo. Idem pour le message que j’ai laissé à Rigg.

— Improvise, tu ne peux pas te tromper.

— Si, rétorqua Umbo. Parce que si je le dis maintenant, ce ne sera pas avec le même sentiment d’urgence. Ce sera différent. Écoute, j’ai déjà envoyé ces messages. La preuve, c’est que la sacoche était cachée, comme j’avais demandé à Rigg de le faire. Et on a la dague, ce qui prouve bien que moi aussi, j’ai reçu mon message. Nous vivons dans le monde que mes messages ont créé !

— Alors pourquoi être retournés à Halte-de-Flaque le temps que tu apprennes à voyager dans le passé ?

— Parce qu’il fallait bien récupérer cette pierre ! Et parce que ça me sert de savoir le faire. Me contenter de savoir que je sais le faire, sans chercher à comprendre comment, ça n’a aucun sens ! »

Miche secoua la tête. « Je sais, j’étais de ton côté quand on en a discuté avec Flaque, acquiesça-t-il. Mais là… il y a trop d’enjeux.

— Tu as raison, approuva Umbo. Il y a trop d’enjeux pour qu’on prenne le risque de repartir dans cette chambre à l’auberge, juste pour que je puisse délivrer un message à mon double endormi, debout au chevet de mon lit. Trop d’enjeux pour aller se planter là où Rigg a payé ce cocher, juste pour lui transmettre un message qu’il a déjà reçu. C’est trop risqué. On nous reconnaîtrait. C’est un coup à se faire embarquer par la garde et après, adieu Aressa Sessamo et Rigg !

— Sauf qu’on sait qu’on n’a pas été arrêtés parce que… parce qu’on ne l’a pas été, c’est tout !

— On ne sait rien là-dessus, riposta Umbo. Et rappelle-toi : cette fois, si on se fait prendre, on a les pierres. »

Il n’eut pas le temps d’ajouter « précieuses », alerté par un signe de Miche. Quelqu’un venait de déboucher à l’angle des latrines.

Des soldats. Deux. En balade, et l’air pas pressés. Mais pourquoi ici ? Quelqu’un les avait-il vus creuser alors qu’ils avaient délaissé le présent pour se concentrer sur le passé ? Umbo n’avait pas été très inspiré d’emmener Miche ; dans le présent, il aurait pu guetter.

« Partons d’ici, lança Miche.

— Pour aller où ? l’interrogea Umbo.

— À la pension.

— Hein ? Mais pourquoi ?

— Pour se changer, l’informa Miche. Et pour demander à la veuve de nous faire le plein de vivres.

— Mais si ces soldats sont après nous…

— Alors on n’aura aucun mal à les semer dans la foule. Si on se met à courir dans les bois, on signe notre arrêt de mort. » Umbo sembla peu convaincu, jusqu’à ce que Miche l’attrape sans ménagement par la main, comme un père à bout ; il figea ses traits en un masque de colère si criant de vérité qu’Umbo en trembla malgré lui.