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— Pas de merci, pas de lit propre, dit Umbo.

— Pour commencer, ce n’est pas toi qui m’as prévenu, lança Miche, c’est une version future de toi, qui n’existe déjà plus. Deuxièmement, c’est moi qu’il faut remercier, car c’est sûrement moi qui t’ai dit de le faire. Troisièmement, vu la tête de ton futur toi, tu étais le seul à avoir dérouillé ; m’étonnerait que ces pochetrons m’aient fait bien mal. Et enfin, si je t’ai demandé de le faire, c’est sûrement pour nous éviter d’avoir à retrouver une chambre après avoir été mis à la porte par le tavernier.

— Pff, n’importe quoi. Tout ça pour pas dire merci, bougonna Umbo.

— Frotte. »

Le lendemain matin, ils firent encore bombance au petit déjeuner, mais Umbo prit conscience que ce train de vie ne pouvait durer éternellement. Quelques mois, passait encore ; plus, ils finiraient à sec. Comment faire si Rigg ne les retrouvait pas, s’il restait prisonnier ?

« Rassemblement, ordonna Miche. Conseil de guerre.

— Si c’est ta manière à toi de dire qu’il faut planifier la suite, traduisit Umbo, je t’écoute.

— Mission numéro un, retrouver Rigg, se lança Miche. Mais attention, gros danger. Surtout si on se cantonne à ça, et qu’on entreprend nos recherches à peine arrivés en ville. Il vaut mieux tromper l’ennemi en se trouvant d’autres occupations, le temps de glaner des informations sur le lieu de résidence forcée de la famille royale et la présence éventuelle de Rigg là-bas.

— La petite altercation d’hier nous a appris qu’il était en ville et vivant, c’est déjà ça, se réjouit Umbo. Même si ça semble déplaire à certains.

— Disons qu’on a appris que certains le pensent en ville et vivant, rectifia Miche. Attendons de voir par nous-mêmes.

— Mission numéro deux ? poursuivit Umbo.

— Tu te rappelles le nom de la banque à laquelle était adressée la lettre de crédit de Rigg ? »

Umbo fronça les sourcils. « C’était il y a longtemps. Et c’est Rigg qui était chargé des négociations.

— Je me demandais juste si tu avais pris la peine d’écouter.

— Vas-y, toi, c’était quoi ? le testa Umbo.

— Ah, je l’ai sur le bout de la langue… mais tu sais, à mon âge, on a le cerveau fatigué et plein comme un œuf. Je sais plus où stocker les nouvelles informations. Elles s’accrochent un temps comme elles peuvent et hop, elles lâchent.

— Il y avait Grandeau…

— Grandeau & Grandeau, compléta Miche. Celle-là, c’est celle de l’escompte.

— Si tu as si bonne mémoire…

— J’oublie les noms, mentit Miche. Essaie encore.

— Roudoudougris…

— Presque, l’encouragea Miche. Il y a de ça.

— Rududory et Fils ! cria Umbo, triomphant.

— Oui, c’est la maison qui a pris la note de Tonnelier sans escompte, confirma Miche. On pourrait aller y faire un tour, voir si on apprend quelque chose. En même temps, sans Rigg… et ça ne nous rapprochera pas de notre objectif.

— Qui est ? s’enquit Umbo.

— La pierre, lui rappela Miche.

— Ils ne vont pas nous la tendre comme ça en nous demandant de nous servir, nota Umbo.

— Si on sait où ils la cachent, tu pourras y aller et remonter dans le temps pour la voler dès qu’ils l’auront mise.

— On ne me laissera jamais entrer, où qu’elle soit.

— L’avenir nous le dira, voyons déjà où ils la cachent.

— Donc, si je résume, poser des questions sur l’emplacement de la pierre légendaire qui a valu à Rigg son arrestation, c’est plus discret que de poser des questions sur Rigg tout court ?

— Oui, synthétisa Miche. Parce qu’on va la jouer un peu plus fine qu’en posant simplement “des questions”, comme tu dis.

— Ah oui, fin et subtil, c’est tout nous, ça, ironisa Umbo. La dernière fois, c’était Rigg aux baguettes, je te rappelle. Lui, il sait faire dans le charabia princier – et encore, il s’est fait prendre, alors…

— On fera à notre sauce, coupa Miche. Toute la ville ne peut être du même bord. Il y a forcément des repaires de partisans de la lignée royale mâle. Ils nous aideront.

— Fricoter avec l’opposition… le Conseil va apprécier, anticipa Umbo.

— Donc on ne fait rien du tout, c’est ça ton idée ? s’agaça Miche.

— Je pense qu’il faut aller chercher la pierre, si c’est faisable. L’idée du “petit monte-en-l’air” me plaît bien. Mais je n’oublie pas non plus que, quelle que soit l’aventure dans laquelle on décide de se lancer, il y aura danger.

— Parfait, le danger, c’est mon métier. »

Umbo se leva.

« Dans l’eau, et frotte.

— Je ne peux pas être plus propre ! protesta Umbo. Et au cas où tu aurais oublié, tu n’es pas mon père et je ne cherche pas à en avoir un.

— Alors dégote-toi des habits mettables et arrange-toi pour qu’on monte l’eau de mon bain. Si ce n’est pas trop demander à la petite peste qui se croit plus maligne que les autres, bien sûr ! Quand je serai dans le bain, trouve-nous une laverie.

— Seulement si tu dis le mot magique…

— Et si je te promettais plutôt de ne pas recevoir la dérouillée qui t’était prédestinée ?

— D’accord, j’y vais. »

Chapitre 7

Ce que Knosso savait

Les dix-neuf vaisseaux tournaient maintenant en orbite distante autour du Jardin. C’était une planète magnifique, voisine de la Terre par ses bleus, ses blancs et ses bruns, encerclée d’un vif anneau lumineux. Sa surface foisonnait d’une vie telle que le vert de la chlorophylle n’était pas que visible ; il inondait de vastes espaces de continents.

Le plan initial – que Ram découvrait seulement en détail – était d’envoyer en mission d’exploration une grosse dizaine de scientifiques appuyés par quatre ou cinq tireurs d’élite, pour tenir à distance d’éventuels prédateurs. Ram attendrait à bord.

La surface, osèrent suggérer les sacrifiables, resterait le terrain de jeux exclusif des explorateurs, qui échantillonneraient et consigneraient hardiment des années durant. Le programme de Ram était beaucoup plus limité : stase de deux siècles, le temps nécessaire à l’éradication des espèces indigènes et à l’implantation du biote terrestre, puis réveil.

Ram plaida immédiatement la cause des hommes. « Des yeux humains doivent se poser sur ce nouveau monde. Des pieds humains doivent le fouler, pour qu’un humain puisse parler du Jardin à ses semblables. Je demande à ce que mes mots soient consignés avec les premiers échantillons. Ensuite, je retournerai au vaisseau et plongerai dans ma stase en attendant que le Jardin connaisse un avenir tout autre que celui qui lui était destiné.

— Votre recours à des arguments délibérément fallacieux me semble logique. Ils reflètent votre sentimentalité et non une quelconque perte de lucidité, analysa le sacrifiable.

— Oui, approuva Ram. Les planètes n’ont aucune intention, si vous voulez mon avis.

— Nous savons l’impossibilité pour les humains de dissocier évolution et intention. Votre penchant naturel à interpréter les résultats en termes d’intentions est inscrit dans votre ADN. C’est même ce qui vous place juste au-dessus de l’animal sur l’échelle du traitement des causalités.

— Mais en dessous du sacrifiable, supputa Ram.

— Nous ne traitons pas les causalités per se, indiqua le sacrifiable. Nous traitons des associations d’événements selon une chronologie linéaire, et les considérons sous l’angle des probabilités. »

Ram étudia les zones de dépose prévues ; il en désigna une. Il en choisit six autres pour la collecte des échantillons. Tous les vaisseaux détachèrent un sacrifiable. Dix-neuf explorateurs, plus Ram. De tous, c’était lui le moins efficace, le moins capable, le plus brouillon – et même au milieu de scientifiques humains, il n’aurait pas fait meilleure figure.