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— Donc, depuis le début, on savait que le saut nous dédoublerait, et qu’une de nos copies de vaisseau remonterait le temps ? demanda Ram, médusé.

— On connaissait la théorie.

— Et mon esprit, lui, a provoqué notre démultiplication en dix-neuf autres, qui sont tous arrivés à destination.

— 11 191 ans en arrière.

— Mais qui avancent normalement dans le temps.

— C’est un petit exploit que vous avez réalisé. Et tout ça sans le savoir.

— Et ce “talent”, là… modifier le cours du temps, reproduire un vaisseau en dix-neuf exemplaires… c’est courant, chez les humains ?

— Bonne question, nota le sacrifiable. Peut-être à l’état latent, qui sait. Au vu des résultats, en tout cas, il dénote chez vous des capacités prodigieuses.

— Est-il héréditaire, selon vous ?

— D’ordre génétique plutôt que mutationnel, c’est envisageable.

— Donc si les dix-neuf Ram étaient encore en vie, mes gènes auraient pu se transmettre de génération en génération dans chacun des entremurs.

— Affirmatif.

— Sauf qu’un seul en profitera. Et si je tombe malade, que je meurs ou me marie à une femme stérile, ma lignée s’éteindra. Pareil pour mes enfants.

— C’est le lot de tous les reproducteurs héréditaires.

— Dix-neuf colonies, tout ça pour voir mes gènes disparaître si je rate mon seul coup d’essai… désolant.

— Vous dites ça parce que vous prenez vos gènes pour la plus belle chose qui puisse arriver à l’humanité. »

Ram resta songeur. « C’est ce que pense tout mâle humain en âge de se reproduire, j’imagine.

— Les humains seraient bien inspirés de moins penser et de plus réfléchir.

— Si cette capacité à manipuler le temps est avérée et qu’elle se transmet effectivement par les gènes, je trouverais dommage qu’elle se perde, voilà tout. Et qu’il s’agisse des miens ou de ceux du voisin n’y change rien.

— Êtes-vous en train de nous demander d’assurer votre descendance en procédant à l’insémination artificielle de votre ADN chez les femelles des dix-neuf vaisseaux ?

— Certainement pas ! s’étouffa Ram, horrifié. Quelle abomination pour ces femmes, se réveiller enceintes – ce serait un viol, physique et moral. Et la fin des dix-neuf colonies.

— Sans parler de votre embarras… tous ces bébés avec votre tête, dit le sacrifiable. Malgré votre physique loin d’être ingrat, au regard des canons de beauté d’autres cultures, ces femmes le vivraient mal et votre progéniture pâtirait d’une manière ou d’une autre de l’hostilité de leurs congénères.

— Pourquoi seulement mentionner cette possibilité, dans ce cas ?

— Vous sembliez inquiet pour votre lignage. Semer ainsi votre graine à la volée mettrait toutes les chances de votre côté.

— Au diable la chance !

— Dans ce cas, trouvez-vous une femme consentante, mariez-vous et faites de nombreux enfants, conseilla le sacrifiable.

— C’est bien ce que je compte faire, l’assura Ram.

— Pourquoi discuter, alors ? s’impatienta le sacrifiable.

— Je vous sens pressé. Vous avez une urgence ? l’interrogea Ram.

— Oui, rétorqua le sacrifiable. Et pour ce qui nous attend, je crains que vous ne soyez d’aucune utilité. »

Ram ne s’allongea pas pour autant. Il n’était pas à une minute près avant deux siècles de stase. « Promettez-moi une chose, poursuivit-il.

— À quoi bon faire une promesse que vous allez oublier ? s’agaça le sacrifiable.

— Vous, vous ne l’oublierez pas, répliqua Ram. Promettez-moi de rester aux côtés de mes enfants. Veillez sur eux. Faites tout votre possible pour que l’humanité hérite de ce que j’ai dans les gènes.

— Inutile, lâcha le sacrifiable.

— Pourquoi ?

— Nous avons déjà conclu que le meilleur moyen pour nous d’assurer la réussite de la mission était de suivre avec une attention redoublée tout ce qui, dans chaque entremur, attiserait notre curiosité, de par son utilité ou son intérêt manifeste. Ensuite, nous manipulerons les événements pour les voir se développer à leur plein potentiel.

— Manipuler ? Comment ? questionna Ram.

— En étant de vraies mamans pour nos petits humains, conclut le sacrifiable. En attendant de voir si on peut faire quelque chose de vous dans les onze millénaires à venir. »

* * *

Pour la septième fois d’affilée, Umbo se retrouvait face à lui-même. Et face au même message : « Encore raté. »

Il quitta immédiatement son poste d’observation et entra dans la Banque du premier peuple d’Aressa Sessamo. Miche était là, qui l’attendait devant le bureau du chef des comptes. L’heure était venue de jouer leur va-tout : Miche devait hurler au scandale en accusant les banquiers de lui vider ses comptes pendant qu’Umbo s’infiltrerait pour provoquer un début d’incendie. Dans la confusion, ils fileraient incognito vers la salle des coffres et la pierre. Une fois là-bas, Umbo remonterait le temps jusqu’au moment de son dépôt et la subtiliserait.

Voilà pour le plan. Pas le bon, apparemment…

Umbo grimpa les deux volées de marches qui menaient à la salle d’attente du bureau des comptes. Miche se leva en l’apercevant. Il poussa un soupir de découragement.

Le chef des comptes fit son apparition au même instant. « Un problème de solde, si je ne m’abuse, monsieur ? demanda l’homme avec un sourire.

— L’argent a été retrouvé, débita Umbo.

— Désolé pour le dérangement, ajouta Miche avant de le saluer.

— Pas si vite, les retint l’homme. Cela fait plusieurs semaines que nous observons votre petit manège. Vous préparez un sale coup, mais vous n’avez pas le cran de passer à l’acte. Avant chaque tentative, il arrive je ne sais quoi et lui – il pointa Umbo du doigt – débarque et annule tout.

— C’est une blague ? » s’exclama Miche.

Deux gardes de la ville surgirent par la porte extérieure, bâton en main, prêts à intervenir.

« Veuillez vous rasseoir, je vous prie, les invita le banquier. La Banque du premier peuple d’Aressa Sessamo a jugé plus prudent de clôturer vos comptes.

— La loi oblige pourtant toute “banque du peuple” à… commença Miche.

— Je connais la loi, le coupa l’homme. Rien ne nous oblige à garder les clients suspects. Un conseil privé a avalisé la fermeture de votre compte, après audition de notre plainte.

— Personne ne nous a dit…

— D’où le nom de “privé” », coupa à nouveau le banquier. Il brandissait un document. « J’ai ici une note officielle récapitulant la totalité de vos dépôts chez nous, plus les intérêts, moins le coût de votre surveillance. Ces deux gardes vous conduiront au guichet, où vous sera versé votre reliquat. Ensuite, dehors. La prochaine fois que vous entrerez ici, vous en sortirez menottes aux poignets.

— Écoutez, je ne sais pas ce que vous êtes allés vous imaginer… reprit Miche.

— Assez discuté, conclut l’homme. Les banquiers sont peut-être stupides chez vous, mais pas ici. » Il fit un signe de la main aux gardes, lâcha la note à leurs pieds d’un air pincé et regagna son bureau.

Miche jaugea les gardes de l’œil. Umbo commençait à le connaître : Ils sont prenables, se disait-il déjà. C’était oublier un peu vite leurs expériences récentes. Si Miche engageait le combat, Umbo ne tarderait pas à apparaître avec un œil au beurre noir, le suppliant de se retenir.