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Le tavernier sembla s’en souvenir. Il jeta à Umbo un regard interrogateur.

« Non, l’avertit Umbo.

— Pourtant je n’ai pas vu… bredouilla Miche.

— Tu ne m’as pas vu parce qu’on ne me laissera plus entrer ici, expliqua Umbo. Surtout si tu fais ce que je crois que tu veux faire. »

Les deux gardes ne pipaient mot mais n’avaient rien perdu de l’invitation tacite de Miche à se caresser les côtes. Ils firent un pas de côté, impatients de jouer du bâton.

Umbo se pencha, ramassa la note et se faufila entre eux. « Allez viens, Papa ! » Son ton laissait peu de doute sur ce « papa »-là : « idiot » aurait tout aussi bien fait l’affaire. Miche grogna et le suivit entre les gardes. La tension était palpable… Umbo le sentit les défier du regard dans son dos, mais aucun bruit de lutte n’éclata – il avait retenu la leçon.

Ils descendirent récupérer leur argent. Bien que cinq fois supérieurs aux intérêts, les « frais » avaient à peine entamé le total.

Le guichetier leur tendit une feuille gribouillée à l’encre noire. « Au fait, notre chef des comptes a fait passer le mot aux autres banques de la ville. Vous n’y êtes plus les bienvenus. La Banque du premier peuple vous remercie de votre confiance. »

Les gardes les accompagnèrent vers la sortie avant de se poster à la porte, chacun d’un côté, aux aguets, fixant les badauds de passage comme autant d’autres voleurs potentiels.

En chemin, Umbo se mit à siffloter.

« La ferme », râla Miche.

Umbo siffla plus fort, puis esquissa quelques pas de danse.

« Il était très bien ce plan ! Pourquoi il n’a pas fonctionné ? Tu pourrais au moins t’expliquer, quand tu reviens ! Toujours tes petits messages désagréables…

— Impossible, lança Umbo. Je ne suis pas tout seul dans le futur, il y a du monde autour. Il faut que je fasse vite et simple, pas le choix.

— Dis plutôt que tu t’es défilé, oui. Tu n’as reçu aucun message, je suis sûr, tempêta Miche avec la mine des mauvais jours.

— Réfléchis une seconde, continua Umbo. Le banquier nous attendait. Ils nous espionnaient. On courait à la catastrophe.

— Alors pourquoi ne pas être revenu directement à l’auberge, nous prévenir qu’aucun plan ne marcherait ?

— Tu aurais cru un message pareil, toi ?

— Non, concéda Miche. Mais on aurait gagné du temps.

— On ne sait même pas avec certitude si la… chose… est toujours dans cette pièce forte, souffla Umbo. Ils ont pu la changer de place. Si seulement Rigg était…

— Rigg n’est pas, l’arrêta Miche. Ouvre les yeux.

— Non, mais si nous…

— Mais si rien du tout.

— Mais si », les salua Rigg.

Umbo regarda sur sa gauche… Rigg ! Là, marchant à côté d’eux comme si de rien n’était, en plein jour. « L’oreille droite de Silbom ! s’étouffa Umbo.

— Ananso-wok-wok ! » s’exclama Miche. Ou quelque chose comme ça.

« Très discret, commenta Rigg. Si avec ça on n’est pas repérés… »

Rigg n’avait pas tort – en la circonstance, la plus grande retenue était de mise. Sauf qu’Umbo, trop content de revoir leur ami parmi eux et visiblement sorti d’affaire, affichait le plus large sourire du quartier.

« Pourquoi toujours l’oreille droite de Silbom ? marmonna Miche.

— Par ici, c’est “le coude gauche de Ram”, nota Rigg.

— À l’armée y avait pas d’oreille de machin ni de coude de truc, grommela Miche.

— Tu es libre ? s’assura Umbo. Ou tu as la moitié de la ville aux fesses ?

— Je suis de sortie. Ma “prison” est truffée de passages dérobés, dont certains débouchent à l’air libre. Tout le monde me croit dedans, je ne vais pas traîner. Je suis tombé par hasard sur vos traces. À ce propos… vous n’aviez pas dans l’idée de faire quelque chose d’aussi courageux qu’inutile, n’est-ce pas ? Récupérer une certaine pierre, par exemple ?

— On voulait juste compléter notre collection, expliqua Miche.

— Les dix-neuf nous seront peut-être utiles un jour, avança Rigg, pour une raison ou pour une autre. Mais en attendant, et malgré des heures passées dans les livres, je n’ai rien découvert à propos de dix-neuf pierres.

— On n’a rien envisagé de mieux pour t’aider, confia Umbo. On a bien essayé de te retrouver, mais pour ça il a fallu poser quelques questions… les gens ont commencé à se méfier.

— De quoi ? Avant de conclure que vous étiez là pour organiser mon évasion… s’étonna Rigg.

— Je crois qu’ils nous ont surtout pris pour deux queuneux venus te tondre les cheveux, te déshabiller ou le saint Voyageur sait quoi, reprit Miche. Apparemment, plus personne ne s’amuse à ça ici. D’après ce qu’on a cru comprendre, les gens sont plutôt occupés à parler de toi. Tu es le sujet à la mode en ville.

— Dans le monde, rectifia Umbo.

— Disons dans l’entremur, trancha Rigg. Laissez-moi deviner : une foule de gens veut me mettre sur le trône, une foule d’autres préférerait voir ma mère ou ma sœur couronnées dans la Tente de Lumière et moi mort, d’autres encore veulent en finir une bonne fois pour toutes avec la royauté et les derniers n’ont rien contre la famille royale, tant qu’elle croupit en prison et reste à disposition des citoyens en manque de divertissement. Ah, oui, j’oubliais : les mamans. Elles aimeraient savoir ce que je porte, pour habiller leurs enfants.

— Tu as à peu près fait le tour, résuma Miche.

— Et toi, Umbo, tes voyages dans le temps ? s’enquit Rigg.

— Je maîtrise, débita Umbo. Sinon, nous n’aurions jamais reçu nos messages à O.

— Pas forcément, fit observer Rigg. Il ne vous aura pas échappé qu’une fois délivrés les messages n’ont plus besoin de l’être.

— Oui, on a remarqué, soupira Miche. Mais ce truc me dépasse, c’est à n’y rien comprendre.

— Imagine un labyrinthe sur une feuille de papier, lança Rigg. Tu le parcours avec ton crayon mais te heurtes à une impasse. Il te suffit de remonter à la mauvaise bifurcation. Tu n’as pas besoin de continuer sur la mauvaise voie, tu peux choisir une nouvelle direction.

— Le temps n’est pas un labyrinthe, le contra Miche.

— Et pourtant si, lui assura Rigg.

— C’est quoi un labyrinthe ? » s’interposa Umbo. Il détestait être largué dans les conversations.

« Et toi, tu as réussi à faire comme Umbo ? l’interrogea Miche.

— J’ai frôlé la rupture d’anévrisme, avoua Rigg. Échec complet, sur toute la ligne.

— Si ça peut te rassurer, toujours pas de traces pour moi, indiqua Umbo.

— Mais ce n’est pas bien grave, tempéra Rigg. Tant qu’on est ensemble, tu peux me prendre avec toi dans ton… ton décalage temporel… c’est comme ça que tu l’appelles ? Et dans le futur, tu arrives à y aller ?

— Qui n’y arrive pas ? intervint Miche. Toutes les secondes, hop, on avance d’une seconde.

— Ma sœur y arrive, sérieusement, poursuivit Rigg.

— Elle voit l’avenir ? demanda Umbo.

— Non, rien d’aussi utile. Elle saute de fraction de seconde en fraction de seconde. Très lentement, mais tout en restant invisible. »

Miche secoua la tête, désespéré. « C’était si facile, pourtant. Il me suffisait de prendre votre argent et de laisser les bateliers vous balancer à l’eau.

— On a le même sang, elle et moi, poursuivit Rigg. Qu’elle puisse aussi jouer avec le temps paraît logique.