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— Je te jure que non, se désola Miche.

— Et moi ? les interrompit Umbo. Je ne suis ni ton frère ni de ta famille. Et personne dans la mienne ne sait faire ce genre de truc.

— Pourtant, Père avait senti ça en toi, rappela Rigg. Comment savait-il ?

— C’est moi qui le lui ai dit, souffla Umbo.

— Bien sûr. Un matin, tu l’as croisé, et tu lui as dit : “Ah, au fait, je ralentis le temps.”

— Il savait, c’est tout. C’était… ton père.

— Non, contesta Rigg. Mon père, aux dernières nouvelles, s’appelait Knosso Sissamik. Un grand homme lui aussi. Un penseur, mais qui a également fait des choses.

— Une question me turlupine, coupa Miche. On fait quoi ici au juste, Umbo et moi ? Tu te fiches de la pierre, tu sors et tu rentres quand tu veux de ta prison…

— Pas quand je veux, rectifia Rigg. Je n’avais jamais pu avant aujourd’hui. Jamais. Sans vos traces, je n’aurais même pas essayé. Et qui sait ce qui m’attend à mon retour.

— Ton retour ? s’exclama Miche. Parce que tu comptes y retourner ?

— Mère et Param m’attendent.

— Param ? hésita Umbo.

— Ma sœur, traduisit Rigg.

— Elles se débrouillaient très bien sans toi, nota Miche. Qu’est-ce que tu leur dois ?

— Et toi, que dois-tu à Flaque ? répliqua Rigg, piqué au vif.

— De m’avoir sauvé et accompagné presque toute ma vie, argumenta Miche. Tu connais ta sœur depuis combien, vingt minutes ?

— Si tu refuses de m’aider quand j’en ai besoin, moi aussi je me demande ce que tu fais là !

— Dis-nous en quoi on peut t’aider, intervint Umbo pour calmer le jeu.

— Les choses commencent à bouger, ici, déclara Rigg. J’ignore encore ce que ça signifie, mais les espions ne nous lâchent plus. Ils multiplient les réunions – avec de plus en plus de monde. Des gens de tous les bords.

— Des espions ? s’étouffa Miche.

— Je ne connais pas leur identité, je n’ai vu que leurs traces. Jusqu’à peu, elles remontaient à des membres du Conseil. Mais une tête connue a refait surface : le Général Citoyen.

— Qui ? demanda Umbo.

— L’officier qui nous a arrêtés. »

Miche pila net au milieu de la rue. Ceux de derrière ne purent l’éviter mais s’excusèrent sans demander leur reste en voyant sa taille, l’épaisseur de ses bras et son humeur massacrante. « Ça ne nous dit toujours pas comment t’aider ! fulminait-il.

— Param a peur…

— Pas une réponse ! s’étrangla Miche.

— On nous regarde… » fit Umbo d’une toute petite voix.

Miche continuait à foudroyer Rigg du regard.

« Je m’évade d’ici. J’emmène Param. On va vers le Mur.

— Je le connais, le Mur, parvint à se maîtriser Miche. Il n’y a rien là-bas.

— On va le traverser, continua Rigg. Tous ensemble.

— Sans façon, l’arrêta Miche.

— Soit, dit Rigg. Moi j’y vais. Param aussi. On ne nous laissera tranquilles nulle part dans cet entremur. Et j’ai besoin d’Umbo. Sans lui, on ne passera pas. »

Umbo n’était pas sûr de se réjouir de cette nouvelle. « C’est de moi que tu as besoin, ou de ma capacité à ralentir le temps ? »

Rigg leva les yeux au ciel. « Écoute, tu as un don, j’ai un don, très bien. Mais nous deux, on est toujours les mêmes.

— Donc tu voudrais bien de moi, même si je ne te servais à rien ? » se rassura Umbo. Il avait honte de poser une question aussi pathétique, mais il fallait qu’il sache.

« Si ton pouvoir peut me sauver la vie et que tu refuses de l’utiliser, ça fait toujours de toi mon ami ? s’emporta Rigg.

— Je ne refuse pas…

— Rigg, ça, ça nous manquait, intervint Miche. À peine de retour et déjà brouillé avec nous deux !

— Je ne suis brouillé avec personne, souffla Rigg en tentant de reprendre ses esprits. J’ai survécu au jour le jour, et j’ai réfléchi au meilleur moyen de subsister encore quelque temps. Je refuse de me ranger dans un camp ou un autre. La restauration de l’Empire Sessamide ne m’intéresse pas, le diriger, encore moins. Je veux juste traverser ce Mur… en vie si possible, et accompagné de ma sœur et de ma mère.

— Ça fait beaucoup de “je”, nota Umbo.

— Mais c’est vous qui demandez comment m’aider ! se défendit Rigg. Vous avez votre réponse !

— Alors, pour commencer, l’invita Miche, tu pourrais te décaler légèrement sur le côté et te faire un peu plus discret.

— C’est toi qui t’es arrêté au milieu… » débita Rigg avant de noter le ton blagueur de Miche. Enfin, visiblement blagueur.

Rigg tourna les talons et s’éloigna.

Umbo le rattrapa en courant. « Tu vas où ?

— Loin d’ici, répondit Rigg, véhément.

— Je peux venir avec toi ? s’enquit Umbo.

— J’espère, poursuivit Rigg, parce que j’ai besoin de te parler et de ton aide.

— C’est quoi, la prochaine étape ?

— Votre auberge, indiqua Rigg.

— Tu sais où elle est ? »

Rigg s’arrêta et regarda Umbo comme s’il avait affaire à un demeuré. « C’est moi. Tu sais, celui qui voit les traces. Donc oui, je sais. » Il reprit sa route. Droit vers l’auberge, nota cette fois Umbo.

« Elle est comment, ta sœur ? continua à le questionner Umbo.

— Invisible », lâcha Rigg.

Il y eut un blanc. « Tu es encore énervé ? hésita Umbo.

— J’ai peur, confia Rigg. De complets inconnus veulent ma mort.

— Si ça peut te consoler, lança Miche revenu à leur hauteur, pendant une minute, tout à l’heure, je crois avoir compris pourquoi. »

Tout près de l’auberge, Miche les arrêta. « La banque nous a fait filer. Ils connaissent sûrement l’endroit. Ils peuvent remonter jusqu’à toi. N’oublions pas qu’on est toujours en cavale.

— Et que Rigg est le seul prince de la maison royale encore en vie, ajouta Umbo.

— Personne ne sait à quoi je ressemble.

— Et les espions ? rétorqua Miche. Ils ont vu ton visage. Et toi, tu as vu les leurs ?

— Non, seulement leurs traces, admit Rigg. Et il n’y en a aucune dans les parages.

— Je me sentirais plus rassuré ailleurs. »

Miche poussa la porte d’une petite échoppe de nouilles. Umbo et Rigg lui emboîtèrent le pas. « Surtout, évitez la viande. Dans ce genre d’endroit, c’en est rarement.

— Hé, tu aurais pu prévenir avant ! s’exclama Umbo.

— La dernière fois que tu as mangé de l’agneau, tu es resté plié en deux pendant deux jours. Ça me paraissait suffisant, comme avertissement.

— C’était quoi, d’après toi ? s’inquiéta Umbo.

— Reprends-en et essaie de deviner », suggéra Miche, que la chose semblait beaucoup amuser.

Ils prirent place au comptoir et avalèrent un bouillon de nouilles poivrées. Umbo préféra un poulet oignon radis à l’agneau, et ne regretta pas.

« Je ne pars pas sans ma sœur, indiqua Rigg calmement entre deux cuillerées.

— Ça ne nous concerne pas, indiqua Miche. On n’a aucun moyen d’entrer chez toi. Ni même d’approcher.

— Le Général C. prépare un coup, je le sens, ajouta Rigg. Si seulement je savais pour qui il roule.

— Peu importe, dit Umbo. Un petit conseil, évite-le comme la peste.

— J’aimerais quand même savoir s’il en a après moi ou ma sœur.

— Et si celle qui tirait les ficelles dans l’histoire, c’était ta mère ? C’est une possibilité, observa Miche.

— Tout le monde tire un bout, déclara Rigg. Ce n’est pas impossible. Mais peu probable : à mon avis, elle aspire juste à un peu de tranquillité.