Выбрать главу

— Elle vit donc dans une maison luxueuse, où elle reçoit les grands de ce monde, logique, remarqua Miche.

— Elle ne reçoit personne.

— Ce n’est pas ce que l’on raconte. Tout ce que l’entremur compte de gens influents défile chez Flacommo, poursuivit Miche. Et ta mère serait à la tête de tout ce beau monde.

— Crois-moi, affirma Rigg, je n’ai pas eu cette impression, vu de l’intérieur. Certes, elle reçoit des visiteurs, mais jamais seule. Il y a toujours quelqu’un, sauf quand elle est avec ma sœur.

— Et alors ? les interrompit Umbo. Et alors, qu’est-ce que ça change, je veux dire ? Tu disais te foutre éperdument des intrigues, des conspirations, des complots, et avoir juste envie de partir.

— C’est le cas, confirma Rigg.

— Alors qu’est-ce qu’on attend ? Va rejoindre ta mère et ta sœur, fais-les sortir et partons !

— Ce n’est pas aussi simple, tempéra Rigg.

— Si, ça l’est, insista Umbo. À moins que tu n’aimes trop être dans la… famille des patrons. Faire partie de ceux qui comptent, ça te plaît. Tu n’as pas vraiment envie de partir en fait. »

Rigg réfléchit une seconde à un moyen de lui rabattre le caquet mais se ravisa. « Oui, tu as raison. Je me plais ici. La nourriture est… fantastique.

— Et les gens, célèbres, bien éduqués.

— J’ai rencontré quelques personnes intéressantes, c’est vrai, admit Rigg.

— Et la bibliothèque ? Tu as dit y avoir passé le plus clair de ton temps.

— La bibliothèque, c’est mon deuxième Père. Elle est comme lui, omnisciente, même si je n’ai pas encore réussi à lui faire dire tout ce que j’avais envie de savoir.

— Nous aussi, on a appris des trucs ! s’exclama Umbo. Je peux retourner au jour que je veux dans le passé maintenant. Pour remonter de quelques jours, il me faut deux à trois minutes maximum. Pour quelques mois c’est plus dur. Un an, je n’ai même pas essayé. Mais quand même. »

Rigg semblait épaté. « Ce n’était pas trop dur ? De réussir à viser juste.

— Si ! répondirent en chœur Umbo et Miche.

— On a passé quelques mois délicats, ajouta Miche.

— Je ne peux retrouver que ceux qui sont restés à un endroit donné – mais il faut que je connaisse l’endroit et que j’y aille.

— Ton pouvoir est plus puissant que le mien, Umbo, dit Rigg, crois-moi. La moins chanceuse de nous trois est tout de même ma sœur. Enfin, elle peut quand même disparaître quand elle veut. Et quand elle le fait, elle vieillit moins vite ; elle ne vit pas au même rythme que les autres quand elle… tu vois quoi. »

La serveuse ne semblait leur prêter aucune attention, pas plus que les autres clients d’ailleurs. Mais quand bien même – les murs pouvaient avoir des oreilles. Autant leur servir des propos un peu vaseux.

« Par contre, elle avance au ralenti, continua Rigg. Comme si elle était à moitié gelée. C’est dangereux pour elle. Si quelqu’un la traverse sans le savoir, elle… a mal. Pareil quand elle traverse un objet solide, ça la brûle.

— Autant éviter, alors, déclara Miche.

— Elle évite, confirma Rigg. Là où je veux en venir, c’est que son don est moins utile qu’on pourrait le croire. J’ai une question importante, Umbo. Tu n’as eu aucun mal à me projeter, moi, dans le passé, sans même me toucher. Est-ce que ça marche avec tout le monde ? Tu as essayé avec Miche ?

— C’est plus dur, confia Umbo. Enfin… plus dur, plus éprouvant disons. Mentalement et physiquement.

— Vous avez essayé quand ? interrogea Rigg.

— Quand on est partis se vol… reprendre la… l’article, bégaya Miche, il m’a emmené. Il a réussi.

— Vous reprendre ? s’étonna Rigg. C’était quoi l’idée ?

— Demande au petit plaisantin, c’était la sienne, rétorqua Miche. Il t’expliquera.

— Tu n’as pas dit non ! se défendit Umbo.

— Il faut qu’on essaie un truc, poursuivit Rigg. Quand tu as projeté ta… chose… sur moi, pour que je puisse voir les gens du passé, j’y suis allé seul.

— Je ne savais pas encore le faire pour moi, expliqua Umbo.

— Et si on essayait avec nous trois ? Tu nous ralentis tous, et moi, j’essaie de prendre le relais pour nous projeter loin en arrière. Très loin.

— Loin comment ? Plusieurs siècles, comme pour la dague ?

— Plusieurs millénaires », annonça Rigg.

Miche se pencha vers Umbo. « Ça veut dire des milliers de…

— Merci, je sais ce que ça veut dire, le coupa Umbo. Tu as une date en tête ?

— Oui, indiqua Rigg. Il y a onze mille deux cents ans. »

Umbo et Miche restèrent interdits sur leur chaise, l’esprit probablement à des milliers d’années de là.

« Avant l’An Zéro, calcula Miche.

— Avant l’arrivée de l’homme sur cette planète », compléta Rigg.

Umbo avait le cerveau en ébullition. « Tu es en train de nous dire qu’on n’est pas d’ici ?

— Quand on aura plus de temps, dit Rigg. J’ai beaucoup de choses à vous expliquer – des choses que j’ai apprises à la bibliothèque, auprès des savants, grâce aux recherches de Père Knosso. Et même d’un garde qui a servi un temps comme assistant à ses côtés, Olivenko.

— Tu fais confiance à un garde ? s’exclama Miche.

— Tu ne le connais pas, moi si, ne perdons pas de temps avec ça, coupa Rigg. Je dois retourner chez Flacommo, et vite. S’ils remarquent mon absence, je vais avoir du mal à me justifier. Je vous ai retrouvés pour qu’on essaie de voyager ensemble.

— Eh bien, essayons ! » lança Umbo.

Rigg se leva. Miche posa la main sur son épaule et le fit se rasseoir. « Tu vas où, comme ça ?

— Là où on aura un peu d’intimité, répondit Rigg.

— Ici, c’est bien, poursuivit Miche. Quand on voyage, on ne quitte pas le présent pour autant, non ? On se retrouve juste à deux endroits en même temps.

— Oui, confirma Rigg. C’est du moins ce que j’ai ressenti quand Umbo m’a projeté seul dans le passé.

— Dans ce cas, choisis la plus vieille trace possible et voyons ce qu’Umbo peut en faire.

— Mais cet endroit n’est pas très vieux – imagine qu’il n’y ait pas de tabourets, hésita Rigg.

— Si nos fesses restent ici, poursuivit Miche, je ne pense pas qu’on se retrouve le derrière dans la boue ou je ne sais quoi. »

Rigg acquiesça. « Très bien, Umbo. Tiens-toi prêt, j’ai une trace. Tu peux nous ralentir. » Ils s’accrochèrent à leurs bols de nouilles tous les trois. Rigg projeta son regard au loin, vers le bas. Il semblait viser quelque chose, mais quoi…

C’était une première pour Umbo. Jamais il n’avait essayé de ralentir deux autres personnes, en plus de lui. Il lui fallut redoubler de concentration. C’était comme s’ils se tenaient la main : Rigg le tirait, et lui tirait Miche. Rigg l’emportait dans un passé lointain, plus loin qu’Umbo n’avait jamais osé retourner. Comme ce jour où son père l’avait fait monter sur le canasson d’un colporteur, et que la bête l’avait embarqué sur son dos sur plusieurs centaines de mètres. Umbo crut perdre le contact à plusieurs reprises, il sentait Miche glisser. Mais, après quelques secondes, il rattrapait à nouveau ses deux compagnons.

L’échoppe avait disparu – même s’il était conscient d’être toujours assis sur quelque chose. En fait, tout avait disparu : la ville, les bâtiments. Un marais s’étendait à perte de vue et, au milieu des roseaux, apparut une barque, qu’un pêcheur manœuvrait délicatement à la perche.