Выбрать главу

— Bon… on est d’accord, on essaie ? trancha Rigg. J’ai besoin de vous tous.

— Déjà que j’en ai bavé pour vous projeter tous les deux, intervint Umbo. Alors avec ta mère et ta sœur…

— Sans oublier ton fidèle garde, ajouta Miche.

— Et une armée de fous furieux aux trousses, renchérit Rigg. Je sais, ça ne va pas être facile. Moi aussi j’en ai bavé – même si le plus gros du travail sera pour toi, Umbo. Je ne m’étais jamais senti si lourd, comme si je traînais un poids mort. J’ai failli perdre la trace plus d’une fois. Dire qu’il va falloir faire tout ça en courant…

— Ah oui, j’avais oublié ce détail, soupira Umbo.

— On peut encore s’entraîner, ajouta Rigg. Il nous reste un peu de temps avant l’évasion.

— Comment ? En… choisissant au hasard des inconnus à projeter dans le passé ?

— Pourquoi pas ? s’exclama Rigg. Ils n’y verront que du feu. Et s’ils racontent ce qu’ils ont vu, on les prendra pour des fous.

— C’est pas faux, approuva Umbo. Mais si je peux éviter de leur faire subir ça…

— Alors ne le fais pas, trancha Rigg.

— Ou alors seulement un petit saut de quelques jours ?

— Fini avec les nouilles ? » La serveuse, en bout de table, attendait une réponse. Umbo ne l’avait même pas vue arriver. À en juger par leur tête, Rigg et Miche non plus. Bravo pour la vigilance.

« Oui, répondit Miche.

— Alors merci de libérer la place. Vous n’êtes pas seuls », les pressa-t-elle en pointant l’entrée du menton.

Umbo tourna la tête. Des gens attendaient à la porte.

« Désolé, s’excusa Rigg. Nous n’avions pas vu.

— Vous aviez plutôt l’air en train de comploter contre le Conseil, leur dit la jeune femme avec un sourire.

— Non, pas du tout, les défendit Umbo.

— Elle rigolait, déclara Miche.

— Possible », murmura Rigg.

Ils s’éclipsèrent à la queue leu leu sous les regards assassins des clients.

« Je dois rentrer, annonça Rigg une fois dehors.

— Je n’ai toujours pas compris pourquoi on ne partait pas maintenant, déclara Miche. Rentre et ramène ta sœur et ta mère avant qu’il n’y ait une vraie urgence. On est à peu près tranquilles, profitons-en. »

Rigg sembla mal à l’aise. « Je ne peux pas.

— Pour quelle raison ? chercha à comprendre Miche.

— Parce qu’elles ne me suivront pas, expliqua Rigg. Pas tant qu’elles ne seront pas sous la menace d’un danger réel. Mes avertissements ne suffisent pas.

— Elles ne te font pas encore confiance, comprit Miche.

— Ce n’est pas ça, poursuivit Rigg. Elles ne me prennent pas pour un traître non plus. C’est juste que, pour elles, je manque encore de… stature.

— Oh, je vois, dit Miche. Elles te trouvent un peu tendre.

— Nous aussi on te trouve un peu tendre. Si on t’a suivi, c’est juste parce qu’on était à sec, renchérit Umbo.

— Ça fait plaisir, dit Rigg.

— Umbo soulève quand même un point important, nota Miche. On s’est habitués à faire comme si tu devais endosser toutes les responsabilités – c’était ton argent, la volonté de ton père, ça nous paraissait logique.

— En attendant, c’est moi qui dois m’échapper de cet entremur.

— C’est là que je veux en venir, continua Miche. Et si, Umbo et moi, on restait ici, de ce côté, pendant qu’il projette son pouvoir sur toi à distance, le temps que tu traverses ?

— Je ne sais pas… tu penses pouvoir faire ça ? demanda Rigg à Umbo.

— Franchement, aucune idée, déclara Umbo.

— Je ne m’estime ni responsable de vous, ni en droit de décider pour vous, continua Rigg. Vous êtes mes seuls amis, j’espérais que vous viendriez au nom de notre amitié. Et aussi, parce que j’ai peur de ce que je pourrais trouver derrière. Père Knosso n’y a pas survécu.

— Tu nous demandes de te suivre pour mourir avec toi ? Sympa.

— Non, pour augmenter nos chances de réussite. Si je vous laisse derrière, et qu’on a le Général C. ou qui que ce soit au train, vous pensez qu’ils vous donneront un blanc-seing pour avoir organisé la fuite de la famille royale ?

— Je réfléchissais à haute voix, poursuivit Miche. Tu peux compter sur nous. Mais que les choses soient bien claires : tu n’es pas notre chef, on n’est pas à tes ordres, alors n’attends rien de nous. Surtout pour prendre un tel risque.

— J’en suis conscient, le rassura Rigg. Même si moi, je le prendrais pour vous.

— Vraiment ? demanda Miche. Je demande à voir ! »

Rigg était-il en colère ou triste ? Umbo n’aurait su le dire ; son visage restait impassible. Il finit par briser le silence. « Le jour où l’occasion se présentera, si elle se présente, j’espère pouvoir vous prouver ma loyauté, comme vous m’avez prouvé la vôtre.

— J’espère aussi, souligna Miche. Mais je vais te dire une chose. J’en ai vu, des batailles : tant que les premiers ne sont pas tombés, impossible de savoir qui de tes compagnons fera front jusqu’au bout, et qui détalera comme un couard. On t’a suivi ici de notre plein gré. D’abord pour que tu récupères ton dû, ensuite pour t’aider à t’échapper et te sauver la vie si certains ont dans l’idée de te tuer.

— C’est bien leur intention.

— On est prêts à se jeter dans la gueule du loup pour toi. J’aimerais juste m’assurer que c’est réciproque. »

Umbo détestait cette conversation. « Bien sûr, enfin ! lança-t-il à Miche.

— Dans la panique, il n’y a plus de “bien sûr” qui tienne, rétorqua Miche. La vérité, elle est sur le terrain. Et le tien, de terrain, jusqu’à présent, c’était les salons feutrés de la haute société, et tu t’en es tiré avec les honneurs, voire plus. Mais quand tu auras une lame sous la gorge, et que la mort te regardera droit dans les yeux, qu’est-ce que tu feras ?

— Comment veux-tu que je sache ? éluda Rigg. Je sais ce qu’il faudrait faire. Mais comme tu dis, de là à le faire…

— Bien, déclara Miche. Si c’est clair pour toi, alors c’est bon pour moi.

— Et si j’avais juré de ne jamais te lâcher, quoi qu’il advienne, qu’aurais-tu dit ?

— Que tu pouvais compter sur moi. Mais j’aurais continué à douter. Maintenant, je me dis que ça vaut la peine d’essayer, parce que tu as compris au moins une chose. »

Ils approchaient des beaux quartiers. Les passants se faisaient plus rares mais étaient mieux habillés. On y croisait quelques chevaux, parfois un carrosse.

« On s’aventure rarement aussi loin, indiqua Umbo. Si on peut éviter les gardes…

— Je comprends, déclara Rigg.

— Tu n’as pas l’air inquiet… s’étonna Umbo. Tu as d’autres habits ?

— Ceux-ci feront l’affaire », assura Rigg.

Umbo jeta de nouveau un regard à sa tenue : elle était pourtant quelconque. Absolument pas tape-à-l’œil, et donc parfaite pour se fondre parmi les besogneux des quartiers pauvres, surtout avec un accent de queuneu. Comme Umbo, en quelque sorte.

Mais ici, dans ces quartiers fortunés, quelque chose en Rigg semblait avoir changé. Il paraissait plus grand. Toujours aussi détendu, mais plus sûr de son fait. Imbu d’autorité et de reconnaissance. Impavide. De ce monde. Et lorsqu’il se tenait ainsi, la nuque droite, les gestes calmes et retenus mais néanmoins déliés, ses habits, aussi, semblaient changés. Toujours aussi sobres et modestes, mais parfaits de leurs coutures à leur coupe : taillés à façon, ce qu’ils étaient certainement.