Выбрать главу

Alors pourquoi le cacher ? « Nous sommes en sécurité, Rigg. » Des mots simples, mais encore fallait-il les dire.

Pressentait-elle qu’ils sonneraient faux, et que Rigg le sentirait ?

Il passa la maison en revue, puis ses abords, à la recherche de renforts éventuels. S’il ne s’agissait pas d’un simple assassinat, des soldats devaient se tapir non loin, prêts à voler au secours de la famille royale.

Rigg avait eu le nez creux : ils étaient là. Pas au portail ni dans les rues, mais dans trois maisons, en face. Des centaines d’hommes en armes les uns sur les autres, à chaque rez-de-chaussée, dans l’attente d’un signal : famille royale sous contrôle, la voie est libre !

Le Général Citoyen était parmi eux.

« Général Haddamander Citoyen ! » s’exclama Rigg.

Mère se tourna vers lui, surprise. « Oui, eh bien quoi ?

— Il commande les troupes postées de l’autre côté de la rue. Ma question est la suivante : est-il là pour vous sauver de ces hommes ? Ou pour s’assurer qu’ils font bien leur travail ? Peut-être les deux – il les a envoyés mais les fera exécuter une fois leur forfait commis, avant de rejeter la faute sur d’autres.

— Pourquoi me demander ça, à moi ? s’étonna Mère.

— Et à qui d’autre ? » répliqua Rigg.

On frappa à la porte. Les intrus étaient là.

« Inutile de toquer, lança Mère. C’est ouvert. »

Six hommes entrèrent. Carrés, l’allure martiale, ils ne portaient aucun uniforme ni aucune arme, hormis de lourdes barres de métal aussi grandes qu’eux, une dans chaque main. Ils s’alignèrent immédiatement contre le mur qui dissimulait la porte dérobée, leurs barres croisées en X devant eux.

Ils se mirent à les faire tournoyer de plus en plus vite, comme pour créer une infranchissable barrière métallique aux reflets changeants. Un mur de fer.

« Que font-ils, Mère ? interrogea Rigg, qui connaissait déjà la réponse.

— Sors de là, Param, lança Mère. Ne fais pas l’idiote, on ne joue plus.

— Vous leur avez tout dit, enragea Rigg. Comment la blesser. Comment la forcer à se montrer.

— Tu ne manqueras jamais de m’étonner, jeune homme, éluda-t-elle en se tournant vers lui. Tu te soucies de la vie de Param sans voir que c’est la tienne qui est en danger.

— Ce que je vois, poursuivit Rigg, est un monstre. Pourquoi lui vouloir du mal ? La menace vient de moi. Aptica Sessamin a décrété ma mort, pas la sienne.

— Rigg, mon fils adoré, mon naïf petit oisillon, tu ne comprends donc toujours rien ?

— Pourquoi vouloir nous tuer tous les deux ? Ça n’a aucun sens.

— Il était une fois un peuple, les Sessamoto, qui chassait sur les plaines du lion. Un grand respect mutuel liait l’homme et l’animal. Nous connaissions leurs habitudes, eux les nôtres. Ils sont devenus un modèle. »

Grâce à Père, la faune n’avait aucun secret pour Rigg, ou du moins le pensait-il. Leurs traques ne les avaient jamais menés aussi loin que les plaines de l’Ouest, les limitant aux forêts montagneuses, mais il connaissait l’histoire du félin. Notamment, comment un nouveau mâle dominant se débarrassait de l’ancien chef de clan avant de soumettre le reste de la troupe en éliminant tous leurs rejetons, le cas échéant.

« Le Général Citoyen veut donc nous voir morts tous les deux ?

— Je suis encore en âge d’être mère, mon cher enfant, déclara Mère. Son plus grand souhait est de voir son fils hériter du trône, sans personne pour lui barrer la route. »

Rigg avait imaginé tous les scénarios possibles, sauf celui-ci. C’était pourtant le Général Citoyen en personne qui l’avait éclairé sur les différentes forces en présence dans la ville : ceux qui voulaient sa mort, ceux qui étaient contre, ceux qui étaient pour que toute la famille royale meure et enfin, les partisans du statu quo. Il n’avait omis qu’une possibilité : que quelqu’un séduise la reine, l’épouse et bâtisse une nouvelle dynastie sur les cendres de sa descendance.

Rigg avait suffisamment reculé maintenant pour se retrouver à la diagonale opposée de l’espion. Il comprenait mieux son immobilité maintenant : une épée dépassait du mur, face à son cœur, enfoncée à même la couche de lattes et de plâtre. La trace de Mère y menait.

« Tué de votre propre main », s’indigna Rigg.

Mère suivit son regard et comprit. « Le peuple n’a pas à savoir ce qui se trame ici aujourd’hui.

— Je pensais ces espions à la solde du Général Citoyen, s’étonna Rigg.

— Du Conseil, rectifia Mère. Le général ne faisait qu’obéir à ses ordres. Tu penses tout savoir, mais tu es loin du compte. La politique royale ne s’apprend pas en quelques après-midi à la bibliothèque.

— Pourquoi le Général Citoyen vous laisserait-il en vie une fois son héritier mis au monde ? la questionna Rigg.

— Quelle manœuvre désespérée, tu es d’un pathétique, mon cher fils. Il m’aime passionnément, voilà pourquoi ! Comme Flacommo avant lui, d’ailleurs, l’intelligence et l’autorité en plus. Ce qui lui vaut de prétendre au titre de prince consort, quand feu mon hôte n’était qu’un simple outil.

— Et Param et moi ?

— Vous étiez ma raison de vivre, poursuivit Mère, jusqu’à ce que les cartes soient redistribuées. Mon devoir est aujourd’hui de préserver la maison royale et de diriger le royaume que nous avons créé. Nous sommes nés pour régner, d’un Mur à l’autre. En serais-tu capable ? L’aurais-tu seulement voulu ? Toi et ton scepticisme, toujours à critiquer les privilèges royaux. Et Param dis-tu ? Faible. Mariée, elle ne serait que le pantin de son mari. Elle échapperait à mon contrôle. Non ! Pour ce qui est de servir la cause royale, vous ne valez pas mieux l’un que l’autre. Mais le Général Citoyen, lui, descend d’une des plus belles familles du royaume. Lui, il a été allaité au sein de la politique, lui, il sait s’emparer du pouvoir et ne plus le lâcher, à n’importe quel prix ! Tout ce que n’était pas Knosso, en somme.

— Y a-t-il une seule personne que vous aimiez ? l’interrogea Rigg.

— Enfin, j’aime tout le monde, se défendit Mère. Le royaume tout entier. Mais je n’aime personne que je ne pourrais tuer pour accomplir un plus vaste dessein. Ainsi va la vie d’une reine, mon cher enfant. J’en suis même venue à t’aimer, plus que tu ne crois – toi et ta loyauté si touchante, tes révélations secrètes sur ces espions dont je connaissais tout depuis le début. S’il m’avait été donné de t’élever, j’aurais pu faire quelque chose de toi. Mais la vie – et ce monstre de Voyageur qui t’a arraché à moi – en a voulu autrement. Tu es ce qu’il a fait de toi, et tu mourras pour cela. »

Rigg était désormais acculé au mur.

« Dans quelques heures, à l’annonce de ta mort, il est prévu que je verse quelques larmes. Les nécessités de la politique. Mais elles n’en seront pas moins sincères. »

Rigg hocha la tête. « Et j’en verserai quelques-unes pour vous, Mère, rétorqua-t-il. Pour la femme que vous auriez pu devenir, si vous étiez restée humaine. »

Mère lui jeta un regard interrogateur. Qu’est-ce qui le rendait si sûr de lui, tout à coup ? Et… comment Param avait-elle pu esquiver les barres de métal ? Où diable se cachait-elle ?

« Est-elle là, à tes côtés ? » l’interrogea-t-elle.

Rigg confirma d’un geste de la tête : « Juste ici.

— Elle ne… partage pas le même espace que toi, au moins ? s’inquiéta-t-elle. Parce que si c’est le cas et que j’ordonne à mes hommes d’avancer sur vous, l’explosion que feront vos deux corps quand elle sortira de son invisibilité ne sera pas belle à voir. C’est ça, ton plan pour te venger ? Qu’on meure tous dans l’explosion ? »