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Long tenta bien de protester, mais Rigg se retourna vers lui et chuchota, le doigt sur la bouche : « Il y en a qui dorment ! Tu vas les réveiller ! »

Chapitre 2

Confiance

« Mauvaise nouvelle, annonça le sacrifiable. Une de vos copies a omis de dire “immédiatement”. Son ordre est passé une fraction de seconde avant les autres. »

Ram esquissa un léger sourire. « Quel petit plaisantin vous faites. Alors, dans ce cas, pourquoi… »

Le sacrifiable ne lui laissa pas le temps de finir. Il lui brisa la nuque d’un coup sec, des deux mains. Aucune importance, ce n’était pas le vrai Ram Odin.

* * *

Rigg s’endormit à peine installé au milieu du méli-mélo de bras et de jambes des autres garçons, dans l’alcôve aménagée derrière la cheminée. Le mur de pierre qui les séparait de l’âtre était brûlant, l’autre, en face, plutôt froid en cette fin d’automne glaciale. Rigg choisit ce coin délaissé des commis : il y avait de la place et, après ses nuits dehors, il préférait un peu de fraîcheur à une chaleur étouffante.

Il se réveilla à peine quatre heures plus tard, comme il s’y était astreint chaque jour sur le bateau, dans le silence des dernières heures avant l’aube. La petite niche s’était remplie et réchauffée avec l’arrivée des garçons de nuit. Leurs cheveux luisaient de sueur malgré un feu réduit à quelques braises, car leurs corps étaient encore bouillants de l’activité de la veille. Même Rigg, le dos pourtant au frais, avait trop chaud. Il sortit dans la cour se dégourdir un peu les jambes.

Avec, pour seuls objets de convoitise, de l’herbe et quelques fleurs, le jardin était logiquement laissé sans surveillance. Mais s’il osait quelques pas vers le portail principal ou l’entrée des domestiques, Rigg savait que des gardes surgiraient. Un simple tour du jardin suffirait à les mettre en alerte. Il opta donc pour la porte de la cuisine – baptisée la « porte aux arômes », car elle menait au carré d’herbes aromatiques – et s’y assit, à même le sol. Le fond de l’air sentait déjà l’hiver. Le basilic flétrirait bientôt, puis le thym, sous les premiers flocons. Seules les tiges boisées du romarin seraient encore là au printemps.

Rigg trouvait le jardin presque aussi artificiel que le plancher de la maison. Rien ne poussait à l’état sauvage ici, rien ne vivait vraiment, à part quelques oiseaux. Les insectes laissaient des traces, mais si fines et pâlottes que, même en se forçant, Rigg n’aurait pu les distinguer les unes des autres. Ce n’était pas plus mal – pour une trace de vertébré, on en comptait dix mille d’insectes. À éclat égal, elles l’auraient aveuglé.

Rigg garda les yeux ouverts pour voir comment cheminaient les traces par rapport aux bâtiments. Les murs ne le gênaient pas, il « voyait » à travers. Ceux de l’enceinte extérieure étaient dégagés – en plus de six siècles, personne ne les avait encore franchis.

Rigg avait encore tant à comprendre. Il commença par focaliser son attention sur celui – ou celle – qui avait déposé les foudroyants sous son lit. Sans vraiment savoir comment, Rigg avait appris très tôt à identifier une trace et à la reconnaître plus tard. Plus la trace datait, plus sa tâche se compliquait. Comme si, en vieillissant, elle perdait en informations et en netteté. Quelles informations exactement, Rigg n’aurait pu le dire ; il savait juste la reconnaître.

L’assassin malchanceux avait gagné l’allée par l’entrée des domestiques. Sa trace s’éloignait ensuite, rectiligne, jusqu’au grand garde-manger. Là, elle partait en cloche dans les airs, comme si son auteur avait sauté dans quelque chose, un tonneau par exemple. Elle n’en était ressortie que le lendemain à l’heure de l’arrivée de Rigg sur sa chaise à porteurs. Pour aller glisser la cage sous le lit.

L’important pour Rigg était de savoir si l’assassin avait rencontré quelqu’un dedans. Et s’il avait emprunté un passage secret. La réponse fut deux fois non. Il avait filé vers sa cible sans hésitation, sans croiser personne, sans même s’arrêter pour se cacher, droit au but.

En revanche, une fois son forfait commis, il n’était pas retourné sur ses pas. Il avait gagné le toit par l’échelle de service laissée là par les hommes à tout faire qui l’empruntaient pour aller réparer les fuites, détruire les nids d’oiseaux et de guêpes et nettoyer les fenêtres à tabatière et dômes vitrés. Erbald les avait quittés au même moment – Rigg le sentit à la simultanéité de leurs traces.

Le meurtrier avait donc émergé sur le toit avant de le traverser à la sauvette et de sauter dans la cour du voisin. Toute la maison, une bâtisse aussi cossue que celle de Flacommo, dormait alors du sommeil du juste – même son seul garde, un vieil homme, était assoupi. La crapule l’avait frôlé, avait franchi le portail et disparu dans les rues de la ville sans même qu’il ouvre l’œil.

L’assassin s’était déplacé avec le pas assuré d’un habitué des lieux. Rigg décida de remonter le temps à la recherche de traces plus anciennes. Un travail fastidieux nécessitant une discipline de fer : d’abord, isoler les traces de la période visée en atténuant l’intensité des plus vieilles et des plus récentes, puis les passer en revue une à une avant de recommencer pour la période suivante. C’était comme déchiffrer un texte à la bougie en se concentrant sur les plus petites lettres. Mais, désormais rompu à l’exercice, Rigg prenait son temps et, bientôt, toute la maison avait été épluchée pièce par pièce.

L’assassin avait pu être envoyé en repérage, soit à l’arrivée du rapport du Général Citoyen à Aressa Sessamo, soit deux mois plus tôt, quand avaient entrepris de circuler des rumeurs sur l’existence de Rigg. Restait encore une ultime solution : il avait entrepris de découvrir les lieux avant que la famille royale ne s’y installe, par anticipation. Toutefois, si sa dernière visite remontait à si loin, Rigg ne la retrouverait jamais : une recherche méthodique prendrait des mois, un épluchage rapide lui ferait rater l’essentiel.

Il opta donc pour une autre stratégie : limiter ses recherches au portail. Lors de sa première visite, l’assassin avait forcément prétexté une raison légitime, quelque chose de tellement banal que tout le monde l’aurait oublié dans la seconde. Seconde entrée possible, la porte des domestiques. Si Rigg ne trouvait rien au portail, il fouillerait là.

Bingo. L’homme s’était présenté au portail un mois plus tôt. Avant l’arrivée des messagers de Général Citoyen donc. Mais il y avait d’autres messagers possibles – un homme d’O, par exemple, intéressé par Rigg avant que Citoyen n’entre en scène.

Rigg se sentait tout de même soulagé de savoir le général étranger à toute cette affaire. Il en était venu à l’apprécier, ou du moins à le respecter. Il ne pouvait l’imaginer s’abaissant à de tels actes.

L’homicide n’était pas venu seul à sa première visite. Qui les avait accueillis ? Les domestiques postés à l’entrée d’abord, puis Flacommo en personne, ce qui constituait déjà un premier indice : les visiteurs étaient de marque. La plupart avaient suivi Flacommo jusqu’à Mère, à ce moment-là dans une pièce jouxtant le jardin où, au vu des traces, elle passait le plus clair de son temps. Le meurtrier, lui, était resté en retrait.

Une conclusion possible était qu’il s’était fait passer pour un domestique, congédié par son maître pendant l’entrevue. Il avait exploré les chambres une à une – plus d’une heure à fureter sans que personne l’interroge.

Il avait ensuite regagné directement la pièce où Mère et ses visiteurs discutaient, et tout le groupe était reparti ensemble.