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— En gros, le seul qui ne sait rien faire d’intéressant ici, c’est moi, résuma Miche.

— Attends, tu as disparu quand même, le consola Rigg. Ce n’est pas toi qui étais aux commandes, mais tu es quand même devenu invisible. Ce n’est pas rien, ça… de savoir qu’un truc aussi volumineux que toi puisse disparaître. »

Miche ne fut pas sûr d’apprécier, mais finit par éclater de rire. « Je te l’accorde, ce n’est pas rien.

— Mon petit doigt me dit même que tu ne vas pas tarder à faire des miracles.

— Des miracles ? s’étonna Miche.

— En nous sortant d’ici, déclara Rigg. Les soldats quadrillent la ville, les émeutiers commencent à se disperser partout, sauf dans les quartiers en flammes. Les rues sont noires de monde. Sur la rivière, ce n’est pas mieux. »

Miche réfléchit – et les autres aussi – à la meilleure échappatoire possible. Il envisagea de prendre la rivière en aval puis de sauter incognito sur un bateau la remontant, histoire de brouiller les pistes. Mais l’idée ne le séduisit pas plus que ça, finalement. « S’ils font bien leur travail, ils nous prendront, qu’on descende ou qu’on remonte. »

Param s’était à nouveau assoupie. Umbo suggéra de la porter jusqu’à leur auberge, pour qu’elle profite d’un bon lit, mais Miche tiqua. « Si le Général Citoyen nous a fait espionner depuis le début, nos chambres sont surveillées. C’est le dernier endroit où aller. »

Un silence morose s’abattit sur la troupe, qui finit par sombrer dans une somnolence insouciante… jusqu’à ce que Rigg s’agite soudain, une bonne heure plus tard. « Vite, des soldats. Il faut partir.

— Ils sont là pour nous ? s’inquiéta Umbo.

— Je n’ai pas l’impression, hésita Rigg. Juste quelques hommes en patrouille. Pas assez pour s’occuper des émeutiers, mais un petit groupe comme nous pourrait les intéresser.

— On n’a qu’à devenir invisibles, proposa Miche.

— En dernier recours seulement, refusa Rigg. Demande à Param. S’il y a moyen de disparaître autrement, c’est préférable. Là, en l’occurrence, il y en a un : en filant au coin de la rue là-bas.

— Les gens vont commencer à sortir, fit remarquer Miche.

— Très juste, nota Rigg.

— Si seulement tu avais pu nous prévenir plus tôt, regretta Umbo. On serait déjà loin.

— Vous trois, oui, nuança Rigg. Pas moi. »

Ils marchèrent comme si de rien n’était et s’éclipsèrent à l’angle de la rue. Param n’arrêtait pas de bâiller. « Je n’ai jamais été aussi fatiguée de toute ma vie, avoua-t-elle.

— C’est Rigg qui te fait cet effet, blagua Miche. Il fatigue tout le monde.

— Et pourquoi ne pas quitter la ville hier, finalement ? » proposa Rigg.

Ils le regardèrent sans comprendre. « Tu viens de dire que c’était impossible, s’étonna Miche.

— Je me suis peut-être un peu avancé, admit Rigg. Param vous a rejoints dans le passé en te prenant la main. Ce qui signifie peut-être que, lorsque plusieurs personnes se tiennent par la main, elles ne forment plus qu’un – et peuvent voyager ensemble dans le temps. Ce matin, si j’avais continué à tenir Param, on ne se serait peut-être jamais quittés.

— Ce serait nouveau, tu n’as jamais voyagé dans le temps, fit remarquer Umbo. Pas complètement, je veux dire : tu es toujours resté en partie dans le présent.

— Oui, mais je n’ai jamais tenu quelqu’un non plus, précisa Rigg. Lorsque j’ai pris la dague, je n’ai pas touché l’homme. T’es-tu déjà accroché à quelqu’un dans le passé ? »

Umbo y réfléchit une seconde. « Juste Miche, le temps de l’aller-retour ensemble, à O. »

Rigg voulait comprendre. « C’est trop risqué de tenter l’expérience avec des versions précédentes de nous-mêmes. On sait que les relations de cause à effet restent intactes, mais si on peut éviter de faire des nœuds pas possibles dans la chronologie, je préfère. On ne maîtrise pas encore assez.

— En résumé, le premier qu’on croise, on l’agrippe et on lui demande : “Dites, ça vous dérange pas qu’on reste comme ça tous les quatre quelques minutes ?”

— Non, pas le premier, rectifia Rigg. Quelqu’un de confiance.

— Il faut dire, ironisa Miche, qu’Aressa ne manque pas de gens de confiance. »

Rigg pensa alors à un candidat tout à fait qualifié. Quelqu’un de totalement étranger au monde de Mère.

« J’ai un allié », annonça-t-il.

Olivenko claqua la porte de son petit appartement et sortit dans la rue en dévalant l’escalier quatre à quatre. Juste le temps d’avaler, pour une fois, un bon petit déjeuner, de filer rejoindre son unité et de prendre son service de garde.

Il s’apprêtait à s’élancer dans la dernière volée de marches quand Rigg Sessamekesh lui apparut au détour d’un palier.

« Rigg ! s’écria-t-il. Comment es-tu sorti… »

Rigg secoua la tête : Moins fort.

Olivenko acquiesça. Hurler le nom de Rigg n’était pas la meilleure chose à faire – heureusement, tout le monde n’était pas aussi matinal que lui dans le bâtiment.

« Olivenko, commença Rigg, tu te souviens de nos discussions. Tu sais dans quelle situation je me trouve.

— Oui, chuchota l’autre.

— Écoute, je sais – et ce n’est ni une supposition ni une déduction logique ni une rumeur – que dans deux jours, Flacommo sera assassiné, sa maison mise à sac, ma mère arrêtée et que ma sœur et moi, nous allons fuir en compagnie de deux amis.

— Tu as besoin d’aide ? devina Olivenko.

— Tu as tout compris.

— Ils ne vont pas vous laisser une minute de répit.

— En fait, poursuivit Rigg, ils savent déjà où nous sommes.

— Comment cela ?

— À l’heure où nous parlons, Param et moi sommes chez Flacommo, et sous bonne garde. »

Olivenko attendit des précisions.

« Écoute, c’est compliqué à expliquer et nous n’avons pas le temps. Dans cinq minutes, quelqu’un va descendre. Je préférerais qu’on ne nous surprenne pas ici en train de discuter.

— Dans ce cas, allons retrouver tes amis, proposa Olivenko.

— On va y aller, confirma Rigg, mais à ma manière. Tu vas voir… c’est plus rapide ! Tout ce que tu as à faire, c’est de te tenir droit sans bouger. Je te conseille de fermer les yeux. Tu n’es pas obligé, mais si tu les gardes ouverts, promets-moi de ne pas te mettre à crier ou à courir dans tous les sens. Reste calme. Aie confiance, ce n’est pas de la sorcellerie.

— Qu’est-ce qui n’est pas de la sorcellerie ? s’inquiéta Olivenko, décontenancé et passablement irrité que Rigg fasse tant de cachotteries.

— Ça. »

Et Rigg s’évapora dans les airs.

Il réapparut dix secondes plus tard, main dans la main avec Param Sissaminka, héritière de la maison royale, et deux parfaits inconnus – un vieux soudard et un petit gars de l’âge de Rigg, peut-être plus jeune.

Olivenko ne s’en étonna même pas. Il paraissait juste pensif. Son esprit était ailleurs, avec Knosso : Si seulement vous pouviez voir ça.

« Rigg, finit-il par articuler, je ne comprends pas en quoi je peux vous aider. Je ne sais pas faire ça, moi.

— On est bloqués dans l’espace. Tels que tu nous vois, on n’est pas vraiment là, on est toujours dans le futur – à deux jours d’ici, au milieu des émeutes et des soldats, et avec le Général Citoyen et ses hommes à nos trousses. Là, tout de suite, tu ne peux voir ce qui se passe, mais nos corps sont encore là-bas et tout peut basculer d’une minute à l’autre. Il faut le faire, et vite.

— Faire quoi ? ajouta précipitamment Olivenko.