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— Alors tu dois y retourner maintenant, trancha Rigg. J’ai été égoïste de demander ton aide. Indique-nous juste comment…

— C’est une blague ? l’interrompit Olivenko. J’ai assisté à la traversée de ton père et à sa mort, jeune Rigg. Je me suis toujours maudit de n’avoir pu l’accompagner. Si j’avais été présent, il serait peut-être encore là.

— Tu n’étais qu’un apprenti, encore qu’un enfant, lui rappela Rigg. Tu n’aurais rien pu faire.

— Et pourquoi crois-tu que je sois devenu soldat ? s’emporta Olivenko. Pour que, si l’occasion se représente, je sois prêt !

— Les déserteurs, moi, ce que j’en pense… grogna le vieux soldat.

— Votre opinion, vous pouvez vous la mettre où je pense, grinça Olivenko. Je ne suis pas un déserteur ! C’est un cas de force majeure.

— Vous êtes quoi alors ? s’immisça Param.

— Un compagnon de route du prince et de la princesse de la maison royale, en exil forcé, répondit Olivenko.

— Ah bon, admit Miche. Là, je suis d’accord. »

Chapitre 10

Diligence

Trois années s’étaient écoulées depuis que la capsule de stase s’était refermée sur le corps inerte de Ram. Trois années durant lesquelles toutes les formes de vie du Jardin avaient été minutieusement répertoriées et échantillonnées. Elles aussi étaient entrées dans leur période de stase ; elles ne seraient réintroduites que bien après leur extinction, dans l’océan et sur les trois petits continents isolés.

Les sacrifiables ne se parlaient pas. Sans humains avec qui papoter, leurs synthétiseurs analogiques ne leur servaient plus à rien. Ils préféraient communiquer par flux numériques, partageant leurs expériences et leurs conclusions en une conversation ininterrompue, comme si chacun se trouvait dans la tête des autres.

Les ordinateurs de bord n’étaient ni contents ni mécontents du commandement de Ram consistant à obéir aux sacrifiables. Savoir de qui émanaient les ordres était le cadet de leurs soucis, s’ils en avaient. Les sacrifiables aussi au demeurant, mais à une différence près : eux avaient une mission programmée dans les tréfonds de leur code, et cette mission, même Ram ne pouvait la contrecarrer. Ils ne pouvaient donc se contenter d’un raisonnement purement mécanique, comme les calculateurs.

Les ego n’existaient pas. Aucune de ces technologies, sacrifiables ou ordinateurs, n’accordait d’intérêt à « arriver à ses fins ». Ils n’avaient pas de « fins ». Ils n’avaient qu’un programme, des données et une finalité : en tirer des conclusions.

Les dix-neuf vaisseaux quittèrent leur orbite basse pour s’élever à leur altitude optimale, d’une demi-unité astronomique environ. Ils configurèrent ensuite leurs champs de collision pour obtenir le niveau d’absorption, de dissipation, de rigidité et de stockage voulu, et s’élancèrent à tour de rôle vers le Jardin.

Ils heurtèrent sa surface l’un après l’autre, selon un angle et à intervalles précis. À l’issue de la série d’impacts, l’obliquité du Jardin était suffisante pour créer des saisons et sa fréquence de rotation, à peine supérieure à vingt-trois heures.

Contrairement aux météorites, pulvérisées en cas de collision, les vaisseaux ne souffrirent en rien de l’impact, subissant tout au plus un arrêt brutal. Ce léger désagrément fut même amoindri par la présence d’enveloppes magnétiques dans les coques des vaisseaux, qui transférèrent vers le champ magnétique du Jardin l’énergie libérée par le sec passage à zéro de la vélocité des vaisseaux.

Les gigantesques pelletées de croûte terrestre propulsées dans les airs à l’impact retombèrent bientôt à la surface – sans toutefois traverser les colonnes magnétiques dressées à la verticale des vaisseaux. Le visage du Jardin en fut profondément remodelé, sa surface désormais creusée de dix-neuf cônes aux surfaces bien lisses, volontairement ouverts vers le ciel pour garder le contact avec les satellites en orbite géostationnaire.

En les privant de lumière, un épais écran de poussière finit de faire mourir à petit feu les végétaux ayant survécu aux déflagrations de projectiles et de chaleur. La plupart des animaux qui n’étaient pas morts sur le coup, ou asphyxiés dans les minutes suivantes, moururent de faim. Seules survécurent quelques espèces végétales et animales : celles des cavernes ou de vallées encaissées ou, dans les océans, capables de vivre dans le noir au milieu d’une vase épaisse.

Le Jardin n’était pas mort. Mais toute vie avait déserté sa surface.

* * *

« La première chose à faire, lança Olivenko, c’est de trouver de meilleurs vêtements. Ou pires, selon la façon dont on voit les choses.

— Demande aux royaux, dit Umbo. Miche et moi, on porte ce qu’il faut.

— Évite de nous appeler comme ça, rétorqua Rigg.

— Il a raison, appuya Miche. Perds cette mauvaise habitude, tu vas finir par nous faire griller.

— Désolé, s’excusa Umbo à contrecœur.

— Vous êtes vraiment habillés comme des queuneux, lâcha Olivenko. Et je dis ça pour être gentil.

— En même temps, c’est un peu l’impression qu’on est censés donner, reprit Miche. Vu qu’on est des queuneux.

— Le problème, c’est que elle, on ne pourra jamais la faire passer pour une de chez vous, nota Olivenko. Donc enfilez une livrée de domestiques ou ce que vous voulez, mais on doit penser que vous voyagez ensemble. »

Rigg tenta de déchiffrer le langage corporel des uns et des autres. « Écoutez, dit-il enfin. Olivenko n’essaie pas de nous donner des ordres, il nous explique juste des choses qu’on ne peut pas savoir.

— Qui a dit que j’essayais de commander ? se défendit Olivenko avec vigueur.

— Personne, reprit Rigg. Je dis juste que chacun contribue à son niveau. Toi, Olivenko, tu connais la ville mieux que quiconque. Mieux que ma sœur, notamment.

— Et pour l’argent, on a ce qu’il faut ? s’enquit Olivenko. Moi, j’ai même pas de quoi chausser un cul-de-jatte.

— Ne t’inquiète pas pour ça », répondit Miche.

Param se tenait immobile à côté de Rigg, les yeux baissés, presque effacée. Sa stratégie de survie, comme chez Flacommo. Pourquoi changer, c’était son meilleur déguisement, songea Rigg. Personne ne savait à quoi ressemblait la princesse – elle n’était plus apparue en public depuis des lustres. Personne ne s’attendrait à tant d’humilité de la part d’une fille de sang royal.

Rigg, lui, tenait de Père l’art de s’adapter aux circonstances, de diriger le regard. Il pouvait passer d’une présence magnétique presque envahissante à une transparence absolue, même seul dans une pièce avec un autre. « Les gens te renvoient le regard que tu attends d’eux », lui avait dit Père un jour. « Ça me fait une belle jambe, on ne croise que des animaux », lui avait alors rétorqué Rigg en substance. Il ne lui restait plus aujourd’hui que ce doute : savait-il ? avait-il tout planifié depuis le début ?

« On pourrait utiliser une carte ? proposa Rigg.

— Pas besoin, je sais aller au Mur, intervint Miche.

— Tous les chemins y mènent, de toute façon, ajouta Olivenko.

— Ce qui est sûr, c’est qu’ils vont bientôt nous coller au train, poursuivit Miche. Même si on quitte la ville aujourd’hui, qui sait combien de temps on a avant de se faire reprendre par les hommes de Citoyen sur la route ? Je n’ai pas l’impression que la demoiselle soit taillée pour les longues cavales.

— On a besoin d’un endroit qui est resté de niveau pendant ces onze mille dernières années, indiqua Rigg.