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— Je ne vois pas le rapport avec la carte, sourcilla Miche.

— Il faut un sol rocheux, plutôt régulier et lisse. Avec de l’herbe, sans rivières ni arbres. Le moins d’arbres possible.

— J’ai quelques lieux en tête, lâcha Miche.

— Quel est le plus proche ?

— Dans l’est. Et loin au sud.

— Est-ce que l’un de vous deux se souvient de quoi avaient l’air les frontières sur le globe de la Tour d’O ? demanda Rigg à Miche et Umbo. Si on peut éviter de tomber dans le même entremur que Père Knosso… »

Miche s’arrêta et ferma les yeux quelques secondes. « C’est bien au sud de la frontière qui nous sépare de l’entremur voisin. Je pense qu’on ne risque rien de ce côté-là.

— Bien, souffla Rigg. Ses habitants ne sont pas très… accueillants.

— Les saints déconseillent les contrées pas très accueillantes, déclara Umbo.

— Tout ce qu’on leur demande, c’est de ne pas nous tuer tout de suite. »

Olivenko retrouva sa boutique. « Je n’y ai jamais rien acheté, prévint-il. Mais leurs habits seront parfaits. Ils vont à tout le monde. Pour le sur-mesure, on verra plus tard. »

Ils décrivirent en deux mots ce qu’ils cherchaient : « Du solide et pratique, pour la route. »

Le vendeur les examina des pieds à la tête, en prenant bonne note des différences de gabarit entre Miche et Umbo d’une part, et entre Rigg et Param de l’autre.

« On préfère passer relativement inaperçus, ajouta Rigg. Ces deux-là se sont assez fait remarquer comme ça. On recherche quelque chose entre deux, assez chic pour rassurer les aubergistes, mais pas trop, pour ne pas tenter les brigands. »

Le vendeur rit de bon cœur. « Faudrait en avoir pour aller se frotter à vos deux mercenaires !

— Justement, le but c’est qu’une fois sortis d’ici on ne ressemble plus à des mercenaires », déclara Olivenko.

L’homme les toisa à nouveau. « Ne vous attendez pas à un miracle. Vous n’aurez jamais l’air de deux gringalets sophistiqués.

— Et moi, je pourrais avoir l’air grand ? se risqua Umbo.

— Ça oui, je peux – si ça ne te dérange pas de marcher sur des échasses. »

Les essayages prirent près d’une heure mais ils finirent par sortir dans des tenues à peu près seyantes et confortables. Ils sentaient encore l’argent – mais pas le gros magot non plus. Le commerce prospère, disons.

« Alors, on est qui ? s’enquit Olivenko quand ils furent à nouveau dans la rue. Je suis trop jeune pour passer pour le père de qui que ce soit. Et vous, sauf votre respect, monsieur, bien trop vieux pour ça.

— On fait comme avant, c’était très bien, grogna Miche.

— Miche est notre père à Param et moi, expliqua Rigg. Et Umbo, ton cousin d’en amont de la rivière, descendu à Aressa Sessamo pour recevoir une éducation sous ta supervision.

— Trop crédible, râla Umbo.

— Disons : en attente de recevoir une éducation », dit Rigg en souriant. Ce sourire ne les dérida pas : Umbo continua à faire la tête et Param à rester silencieuse, plus timide que jamais. L’ambiance semblait plombée, tendue. La faute à leurs nouveaux habits qui les mettaient mal à l’aise, peut-être… ou plus sûrement à la peur des événements à venir.

« Écoutez, poursuivit Rigg. Je sais, je vous en demande beaucoup. Nous ne sommes que deux à être réellement en danger ici. Mais sans vous, jamais on ne pourra se mettre en sécurité – si on peut appeler comme ça ce qui nous attend de l’autre côté du Mur. Surtout sans toi, Umbo.

— J’ai rien dit, moi ! protesta Umbo.

— Je pensais juste que tu préférerais peut-être…

— Arrête de t’excuser d’être encore en vie ! le coupa Umbo. Sais-tu seulement qui sont tes vrais amis ? Et ce qu’est l’amitié ?

— Tu n’avais pas l’air très heureux.

— Manquerait plus que ça, grommela Umbo. Ça fait pas un jour qu’on connaît ce type, qui jusqu’à preuve du contraire travaille pour la garde civile, et entre nous ça devrait déjà être à la vie à la mort.

— En ce moment, il manque à l’appel. Demain, c’est un déserteur, rappela Rigg.

— À moins qu’il ne soit justement en service, supputa Umbo.

— C’est vous qui êtes venus me chercher ! riposta sèchement Olivenko.

— Mon père lui faisait confiance – mon vrai père.

— Pour ce que ça lui a rapporté, poursuivit Umbo. Mortel, ton ami. »

Rigg contempla Olivenko. Il s’interdit de réagir à chaud. Il laissa le soldat prendre le relais. « Tu ne me connais pas, répondit celui-ci. J’aimais son père. Personne n’a souffert de sa disparition plus que moi.

— Si, moi, intervint Param d’une voix douce.

— Mais en secret, fit remarquer Olivenko. Tu avais déjà disparu, comment pouvait-on savoir ? Avec le temps, nous apprendrons à mieux nous connaître. Je vous fais confiance car Rigg vous fait confiance. Je remets ma vie, ma carrière et mon avenir entre vos mains. Rigg vous demande juste de me rendre la pareille. S’est-il déjà trompé sur quelqu’un ?

— Oui, intervint Rigg lui-même. Sur ma mère.

— Tu ne lui as jamais entièrement fait confiance, rectifia Param.

— Non, c’est vrai. Mais je voulais tellement croire en elle.

— Si c’est pareil avec Olivenko, l’interrompit Miche, dis-le tout de suite.

— Non. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que l’un des gardes puisse être une personne à qui je puisse me confier. Olivenko n’a jamais menti sur ses intentions, on est juste devenus amis, c’est tout.

— Ça prouve simplement qu’il est fortiche à ce jeu-là, nota Umbo.

— Si jeune et déjà tellement cynique, commenta Miche.

— Quand on sera au Mur, reprit Rigg, j’aurai besoin de vous tous. On aura tous besoin les uns des autres. Si on part comme ça, je ne donne pas cher de notre peau. »

Ils s’observèrent en silence, détournèrent le regard, puis se regardèrent à nouveau.

« Commençons par sortir de la ville, décida Param. On réglera cette histoire en cours de route. »

Ils prirent une carriole jusque dans les faubourgs de la ville où, après avoir payé le cocher, ils se mirent en quête d’une diligence de voyage et de quatre chevaux d’attelage, qu’ils achetèrent comptant. « À ce rythme-là, demain, on est à sec », grommela Miche. Toutefois, après un rapide coup d’œil à la bourse, Rigg nota qu’il y avait encore de la marge. Ils achetèrent également divers vivres et fournitures – tentes, outres, outils, quelques armes. Rien d’inhabituel pour des voyageurs partant à l’aventure loin de la civilisation. L’un des commerçants les avertit tout de même qu’à l’écart des routes entretenues par le Conseil plusieurs roues et un essieu de rechange ne seraient pas de trop. « Et un cinquième cheval attaché à l’arrière, leur conseilla-t-il. Sur ces chemins cabossés, même la meilleure des diligences finira par lâcher. Et là, vous serez pas mécontents d’avoir cinq chevaux.

— Et là, vous essayez de nous refourguer cinq selles en plus.

— Pas besoin, tout est dans les fesses et les cuisses, rigola l’homme froidement. Et dans le coup d’étrier, surtout si votre bourrin se met en tête de trotter – et avec des chevaux d’attelage, vous allez pas y couper. »

Rigg ne voyait pas très bien de quoi l’homme parlait. Pour ce qu’il avait monté dans sa vie… une vieille came tout au plus, quand il était petit. « Si seulement on pouvait reprendre la rivière, regretta-t-il.

— Elle ne va pas où on veut », lâcha Miche.

Les deux prirent soudain conscience de leur gaffe. Dans un jour, deux maximum, Général Citoyen viendrait questionner cet homme et il savait déjà qu’ils ne rentraient pas chez eux.