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Pire, ils échangèrent dans la foulée un regard affreusement coupable – qui ne manquerait pas de rester gravé dans sa mémoire. Pour s’enfoncer davantage, ils pouvaient aussi lui demander de se taire, histoire qu’il aille tout déballer au garde le plus proche dès qu’ils auraient quitté sa boutique.

Seule parade possible : justifier leur embarras.

« En fait, lança Rigg, on se demandait… vous n’auriez pas une carte, par hasard ? On part dans un endroit qu’on ne connaît pas bien.

— Je n’en ai pas en réserve, s’excusa l’homme. Quand les gens partent d’ici, ils savent où ils vont. Les commerçants s’échangent leurs cartes ou se disent par où passer. Les autres, ils rentrent juste chez eux – en général, ils connaissent le chemin.

— Tant pis, on demandera dans les auberges sur la route.

— Faut encore qu’ils sachent. Les tenanciers, ils ne bougent pas de leurs relais, à part les alentours ils connaissent peau de balle. Et méfiance avec les autres voyageurs ! Certains hésiteront pas à vous envoyer au fond d’une ruelle sombre. Et le seul truc qui en ressortira à peu près en état, c’est votre bourse !

— C’est une mauvaise idée, estima Miche.

— Tu n’es pas obligé de venir, déclara Rigg tout en notant le clin d’œil complice du premier : Tu peux y aller. C’est toi qui as dit que le Mur était le meilleur moyen de savoir qui était un homme. Maintenant, libre à toi de te défiler… »

Miche leva les yeux au ciel. « Un peu qu’on va y aller ! Et tout de suite ! » Ils tournèrent le dos à l’homme et sortirent de la boutique. Voilà, maintenant qu’ils lui avaient dévoilé toute la vérité, mais seulement après avoir fait mine de la taire, leur interlocuteur pouvait croire à un gros mensonge – et les soldats qui viendraient lui poser des questions aussi. Et même si le Général Citoyen décidait de gober leur histoire, des Murs, il y en avait plein.

Les préparatifs étaient bouclés, la route les attendait. À cette heure avancée de la journée, la première étape ferait office de mise en jambes. Un palefrenier leur avait remis quelques bonnes adresses de relais à l’extérieur de la ville. Ils poussèrent jusqu’au second, s’arrêtant au crépuscule, et y passèrent la nuit, Param dans une chambre, sa porte cadenassée à double tour, et les quatre hommes et garçons dans une autre. « Si tu entends du bruit à ta porte cette nuit, la prévint Miche, gueule un coup. On viendra voir. »

Param le remercia d’un signe de tête. « Si quelqu’un entre, il trouvera une chambre vide. »

Miche fronça les sourcils sans comprendre, puis se souvint de quoi elle était capable. Il soupira et haussa les épaules. « Dans quel monde étrange on vit, quand même… »

Plus ils s’enfonçaient dans les terres, plus le trajet tournait à l’expédition. Ils avaient délaissé les grandes voies pour les petites routes de campagne, celles qu’utilisaient les paysans pour aller aux champs, les maraîchers pour faire les marchés et les villageois pour aller saluer les voisins. Elles traçaient parfois directement à travers prés et pâtures, se réduisant à quelques ornières, au point que Miche devait enfourcher le cinquième cheval pour retrouver des chemins carrossables et y guider le cocher, Olivenko.

« On n’est vraiment pas discrets, fit remarquer ce dernier au matin d’une nuit que Param avait passée dans une chambre et les garçons dans le foin chez un fermier prospère et accueillant. Les premiers jours, les éclaireurs du Général Citoyen vont limiter leurs recherches aux deux enfants de la reine ou, au pire, à eux deux plus leurs amis queuneux, un garçon et un vieux soldat. Mais les cinq chevaux et la diligence vont vite remonter à la surface ; le calcul ne va pas être long pour savoir combien on est. S’ils sont à un jour de nous, deux maxi, c’est déjà beau. Surtout avec nos arrêts quotidiens dans les auberges, les tavernes et les fermes.

— Au moins, on est sur des petits chemins, fit remarquer Umbo.

— Donc d’autant plus repérables, intervint Miche. Tu vas dans son sens, mon garçon.

— Que peut-on faire ? questionna Rigg. Si on vend la diligence ou qu’on l’abandonne, ça ne changera rien : ils chercheront cinq personnes à cheval.

— Et si on la faisait disparaître ? suggéra Umbo.

— Peine perdue, dit Miche. En tant que soldat, si on me lançait à vos trousses, je la retrouverais où qu’elle soit.

— Je suis d’accord avec Miche, acquiesça Rigg. Avec Père, c’était pareil, quand on traquait du gibier, pas un ne pouvait nous échapper.

— Oui, en suivant leurs traces… » minimisa Umbo.

Param mit son grain de sel. « Je pense qu’Umbo a raison, il faut cacher la diligence.

— Et ensuite ? la questionna Rigg. Tu es déjà montée à cheval ?

— Oui, petite, une fois, sourit-elle. Je suis bien consciente que, sans moi, vous seriez bien plus rapides et discrets. Sans cette diligence, je ne tiendrais pas cent mètres. »

Rigg acquiesça en haussant les épaules. « On est comme on est, Param. On ne t’a pas donné l’occasion de travailler ton endurance.

— Non, mais maintenant en voilà une, reprit-elle. Et cette diligence ne m’aide pas. Débarrassons-nous-en.

— Et où ? demanda Olivenko.

— Et comment ? renchérit Miche en même temps.

— Dans le passé, lâcha Rigg, vexé de ne pas y avoir pensé le premier. Suffisamment loin. Soit quelqu’un la trouve et la vole, soit elle reste à moisir pendant un siècle et quand les hommes de Citoyen tomberont dessus, ils ne se douteront pas une seconde que c’était la nôtre. »

Ils bifurquèrent vers un chemin remontant à fleur de crête jusqu’au faîte d’une petite colline, dont chaque flanc dévalait en pente douce vers des cours d’eau, à un kilomètre ou deux en contrebas. À peine dételés, les chevaux partirent paître et gambader dans les prés. Trois d’entre eux, harnachés par la main experte de Miche, se chargeraient des provisions.

« Désolé de ne pas avoir pu t’aider, s’excusa Olivenko. À la garde civile, on ne nous a pas appris à équiper nos montures.

— Comme dirait Rigg, on est comme on est, l’excusa Miche.

— Voilà ce qu’on va faire, les rattroupa Rigg. Nous quatre, on va aller dans le passé pour faire basculer la diligence dans la pente. L’idée est qu’elle finisse dans le ruisseau, pour faire croire à un accident. Pendant ce temps, Param reste avec les chevaux.

— Et moi avec elle, proposa Umbo.

— Tu n’es pas le plus costaud mais tes bras ne seront pas de trop pour pousser ce truc, fit remarquer Miche.

— Hors de question que j’aille dans le passé avec vous, refusa Umbo. Surtout si Param nous attend et qu’on doit la rejoindre après. »

Rigg ne comprenait pas. « Quel est le problème ? »

Umbo se tourna vers Miche : « Tu te rappelles quand on a déterré les pierres ? À O ? »

Miche acquiesça. « Il a raison. Lorsque Umbo part lui-même dans le passé et y manipule des choses, il ne retrouve pas son point de départ. La dernière fois, il a visé un jour à côté, un jour trop tôt.

— Et c’était après un petit saut de quelques mois seulement, précisa Umbo. Alors, sur cent ans, qui sait de combien je peux me rater ?

— Bon, tu restes ici avec Param, trancha Rigg. Ça ne résout pas tout. Lorsque j’ai poussé Param dans le passé, je vous ai donné sa main. La diligence, on va la donner à qui ?

— Et pourquoi ne pas juste l’emporter dans le passé, la pousser et revenir ? émit Miche.

— Une vraie histoire de fous, commenta Olivenko. Sortie tout droit de la Bibliothèque du Rien.

— Aucune idée, répondit Rigg. Je ne suis même pas certain qu’on puisse “emporter” quelque chose de plus gros que nous. Dans ce cas, pourquoi ne pas poser nos mains sur une montagne, filer dans le passé et la laisser là-bas ?