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Umbo haussa les épaules et continua à se traîner, la mort dans l’âme. Encore un coup du Mur ! songea-t-il dans une seconde de lucidité. De le savoir ne lui remonta guère le moral. S’il avait existé un quelconque moyen de produire un son et de le propager dans cette dimension ralentie, il aurait supplié Param de les ralentir encore un peu, pour apaiser sa tristesse, son affliction, ses frayeurs. Mais quel intérêt, puisqu’elle avait trouvé l’équilibre pairfait ? L’épreuve était pénible, mais pas au point de ne plus pouvoir avancer ; effrayante, mais pas au point de fuir ; déprimante, mais pas au point de vouloir mourir. Il ne fallait surtout pas s’arrêter.

Au neuvième passage du soleil dans le ciel, ils arrivèrent en vue du chêne nain. Le Mur était enfin derrière eux.

Umbo lâcha Param.

Le monde se métamorphosa. Il entendit le chant des oiseaux dans le ciel, le bruissement de ses pas dans l’herbe jonchée de rochers. « Tu peux venir », dit-il, se tournant vers le vide où se tenait toujours Param, invisible. Il accompagna ses paroles d’un mouvement de tête ralenti, pour être sûr qu’elle le voie.

La silhouette de Param apparut. Son visage strié de pleurs trahissait une tristesse indicible ; pourtant, bientôt, une lueur de soulagement éclaira son regard, puis un sourire, son visage. Elle s’écroula à genoux. « Plus jamais ! s’écria-t-elle, secouée de rires et de sanglots. C’était interminable !

— Ça n’a même pas duré une heure », tempéra Umbo. Il s’agenouilla face à elle.

« Je ne me suis jamais sentie aussi triste et effrayée de toute ma vie », reprit-elle. Elle sécha ses larmes d’une main passée sur la joue. Il l’aida à essuyer l’autre.

« Moi si, déclara Umbo. Chaque fois que je me suis senti prisonnier de mon père, à chaque nouveau coup qui partait, imparable. Au moindre geste de protection, son poing retombait, plus lourd encore. Voilà ce que je ressentais, dans ces moments-là.

— Alors mon enfance a été un vrai conte de fées, comparée à la tienne.

— Ce cauchemar a pris fin quand on a quitté Gué-de-la-Chute avec Rigg. Un conte de fées, avec ta mère ? J’ai du mal à le croire…

— Elle n’a pas toujours été comme ça, se souvint Param. À ses côtés, je me sentais choyée et aimée. Sa seule compagnie me suffisait. Elle était toute ma vie.

— Jusqu’au jour où tu as découvert son vrai visage. Quel choc ça a dû être. Mon père, au moins, il m’a toujours détesté… je n’ai pas eu de mauvaise surprise ! Quel est le pire ?

— Ce que tu as vécu, décréta Param. Vivre sans espoir de jours meilleurs. Ce jour-là, chez Flacommo, mon monde a volé en éclats, c’est vrai. Mais le temps de prendre la mesure de ma perte, toute peur s’était évanouie. Ce Mur est une abomination. Ses créateurs sont des monstres.

— Je ne sais pas, dit Umbo en se relevant, une main tendue vers Param. Nous n’étions pas censés le traverser non plus. Ceux qui l’ont fait voulaient juste nous tenir à distance, pas nous torturer. »

Param porta son regard au loin, vers leur point de départ. « Maintenant, il ne nous reste plus qu’à nous attendre. » Elle frémit. « J’ai vraiment l’impression de dire n’importe quoi ! Notre langue est faite pour un temps qui s’écoule normalement…

— On va avoir un petit problème, reprit Umbo. Ils ont toutes les provisions. Ils étaient censés nous attendre, pas le contraire.

— Tu vois de l’eau quelque part ? l’interrogea Param. Je commence à avoir soif. »

Umbo prit la direction de l’éperon, dans l’espoir d’en trouver derrière. « Rien », nota-t-il pour lui-même. Il se retourna vers Param. « Je crains qu’on ne trouve rien ici, lui lança-t-il. Qu’est-ce qu’on fait, on essaie d’en trouver ailleurs ou on attend ici ?

— Dans combien de temps allons-nous… vont-ils… arriver ? »

Umbo haussa les épaules. « Je n’étais pas en position d’étalonner le saut avec une précision absolue.

— On croirait entendre Rigg, pouffa-t-elle.

— La grandiloquence, c’est contagieux.

— C’est vrai, tu le trouves pompeux ? s’étonna Param. Il ne parle comme ça qu’en compagnie d’adultes… pompeux, justement.

— Oh, je sais, rectifia Umbo. À Gué-de-la-Chute, il parlait comme tout le monde. La première fois que je l’ai entendu adopter ce ton de… de…

— Royal, compléta Param.

— J’avais autre chose en tête mais oui, royal, c’est plus correct, sourit Umbo. La première fois donc, c’était pour essayer d’en imposer à un banquier d’O… Tonnelier, il s’appelait. J’ai l’impression que c’était il y a sept ans au moins.

— Mais il y a sept ans, tu avais quoi, quatre ans ?

— Tu me prends vraiment pour un gamin ! se vexa Umbo. J’ai quatorze ans, pas onze.

— Vraiment ?

— Je suis petit pour mon âge, bredouilla Umbo en la fuyant du regard, gêné. Mais je vais bientôt grandir.

— Ce n’était pas une critique, le rassura Param. Je pensais juste que tu étais plus jeune, c’est tout. On n’a pas une grande différence d’âge, tous les deux. Quelques années, comme entre Rigg et moi.

— Voilà ce que je te propose, lança Umbo pour détourner la conversation. Si on doit les attendre, pourquoi ne pas s’installer à l’ombre de cet arbre ? Ensuite, tu nous mets au ralenti et on patiente. Ils seront là avant que notre ventre commence à gargouiller.

— Donc on se pose là et on assiste bêtement à leur traversée ?

— Oui, mais grâce à toi, ça va aller vite cette fois.

— Et on ne fera rien pour les aider ?

— Pas besoin, puisqu’ils ont réussi.

— Tu en es sûr ? Je n’ai pas vu Rigg réussir, moi.

— Miche et Olivenko sont retournés le chercher.

— Mais est-ce qu’ils l’ont sauvé ? Tout est allé si vite. On chutait, rappelle-toi. Tout ce que j’ai vu, moi, c’est la mort qui nous attendait. Le temps que je relève la tête, on était dans le passé et la plaine était déserte.

— Je n’avais pas le choix, déclara Umbo. Il fallait faire vite.

— Je ne dis pas le contraire ! Oh, ne fais pas cette tête. On dirait que c’est la fin du monde.

— Mais c’est la fin du monde, se lamenta Umbo. Notre vie n’est pas de ce côté du Mur. On ne connaît rien ni personne ici. Quand je vois tout ce qu’on a traversé pour en arriver là… Tu es heureuse de ton sort, toi ?

— Ici ou ailleurs… répliqua Param. La seule personne que je croyais connaître, de l’autre côté, c’était ma mère… Quelqu’un te manque ?

— Ma mère.

— Mais tu l’as quittée il y a plus d’un an déjà, avec tes frères et tes sœurs. Sauf ton petit frère. C’est lui qui t’a laissé.

— Mes amis aussi.

— Tu en as de meilleurs que Rigg et Miche ?

— Non.

— Alors, tu vois. Ils seront bientôt là. Pourvu qu’ils arrivent à sortir Rigg rapidement. Le Mur va le rendre fou, sinon. Et les rendre fous eux aussi s’ils y restent trop longtemps.

— On peut les aider. Si on voit que les choses tournent mal, on intervient en se projetant dans le passé à l’endroit précis où ils ont besoin de nous et on attend, invisibles. Tout va bien se passer. »