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Param acquiesça, Umbo aussi.

« Ça me gêne de te poser la question, mais…

— Quoi ? l’encouragea Umbo.

— On est amis ? »

Umbo en resta bouche bée.

« Je demande, poursuivit Param, parce que je n’ai jamais eu d’amis. Avant Rigg, je n’avais jamais eu de frère non plus. Il est bien comme frère, Rigg. Je fais de mon mieux de mon côté pour être une bonne sœur, mais je manque d’expérience.

— Tu t’en sors très bien, la rassura Umbo.

— Mais toi et moi, insista Param. On est amis ? Ça suffit pour être amis, d’avoir sauté de ce rocher ensemble ? De s’être mutuellement sauvé la vie ?

— La plupart des gens diraient que oui, répondit Umbo.

— Mais c’est de la vraie amitié ? Ce n’est pas juste… du donnant-donnant ?

— Tu es la Sissaminka, reprit Umbo. L’héritière de la Tente de Lumière.

— Plus maintenant, précisa Param. Je peux te faire confiance ?

— Aussi vrai que moi, je t’ai fait confiance, déclara Umbo.

— On a traversé le Mur ensemble.

— On est amis, des vrais de vrais ! »

Param soupira. « Avec toutes mes questions, tu vas finir par m’en vouloir…

— Je ne sais pas quoi te répondre, surtout ! Tu es plus âgée que moi. En général, entre deux personnes, c’est le plus jeune qui demande “on est amis ?” et le plus vieux qui répond oui ou non. Et si c’est oui, le plus jeune est content.

— Oh. Alors ce n’est pas juste parce que je suis royale.

— Tu as seize ans ! Tu es une fille ! À côté de toi, je suis un petit garçon ! Donc oui, nous sommes amis, et oui, le veinard dans l’affaire, c’est moi ! »

Param resta pensive. « Je ne pensais pas que l’âge jouait un si grand rôle.

— Quand c’est le garçon le plus vieux des deux, pas tant que ça. Quand c’est la fille, si.

— Mais… tu es le voyageur du temps, continua Param. Tu as ce pouvoir extraordinaire.

— Toi aussi, tu y voyages, en le fragmentant, répliqua Umbo. Et Rigg est le pisteur. Je crois qu’on est tous aussi extraordinaires les uns que les autres.

— Et tous liés par une amitié fraternelle, ajouta Param.

— Une amitié fraternelle entre deux royaux et un queuneu, oui », conclut Umbo.

Param rigola.

Umbo se remémora alors leur traversée main dans la main. Il la revit l’empoignant pour le projeter de côté à bas du rocher. Il revit ses bras sur sa poitrine, ses paumes contre lui. Et il rougit. Sans comprendre pourquoi, il rougit. Il n’y avait rien de mal à tout cela. Il n’avait pas à avoir honte. Mais le simple fait d’y repenser le fit rougir.

« Hâtons-nous, allons les attendre, lui lança Param en ponctuant sa phrase d’un petit rire.

— Attendre pendant que le monde se hâte au-dehors, reprit Umbo. C’est ce que tu fais depuis des années…

— Disons que je prends la vie tranche par tranche.

— Une vraie philosophe », déclara Umbo.

Elle lui tendit les mains ; il les fixa sans bouger. Elle resta là, bras tendus… voilà qu’il faisait le timide !

« Quoi ? demanda-t-elle. Il faut les saisir, pas les regarder ! »

Umbo rougit à nouveau. Elle lui tendait les mains pour pouvoir l’emmener avec elle dans sa dimension temporelle… Que croyait-il, au juste ?

Il lui prit les mains.

Le monde extérieur accéléra. Pas autant que lors de leur traversée du Mur ni, tant s’en fallait, que lors du saut du rocher.

Pure coïncidence, Umbo s’était assis dos au Mur, Param face à lui. Tandis qu’il admirait son visage, elle scrutait l’horizon d’où jailliraient les autres d’ici quelques jours.

Alors qu’il s’apprêtait à se retourner vers le Mur lui aussi, une silhouette furtive attira son regard, juste en face, à une dizaine de mètres. Il la suivit, persuadé de la connaître, mais elle allait trop vite pour en être sûr. Il amorça un signe de main pour prévenir Param de cette rencontre historique – leur première de ce côté de l’entremur. Mais leur visiteur disparut aussi subitement qu’il était apparu.

Param commença à s’agiter. Le temps qu’Umbo tourne la tête, Rigg, Miche et Olivenko entamaient déjà la seconde moitié de leur traversée, le buste penché dans leur course pour maintenir le contact avec la bête invisible. Derrière eux, à deux kilomètres, un nuage de poussière annonçait l’arrivée de Mère, du Général Citoyen et de leurs troupes. Entre les deux se tenaient Param et Umbo, au sommet de leur rocher.

Le cours des événements, d’abord précipité, ralentit peu à peu jusqu’à faire surgir Param et Umbo, aux yeux d’un observateur attentif du moins, comme deux ombres indistinctes. Dans ce temps tout juste accéléré, Miche et Olivenko bondirent hors du Mur, suivis par un étrange quadrupède à plume qui s’immobilisa à un jet de pierre de là, secoué de tremblements. Rigg était sur le sol. Il essayait, en vain, de lever les bras.

Un homme surgit d’un bosquet d’arbustes et s’élança vers eux. Leur visiteur ! Il était de retour ! Mêmes habits, même taille… Cette fois, Umbo le reconnut.

C’était le Voyageur. L’Homme en Or. L’homme qui avait prétendu être le père de Rigg. L’homme qui avait fait prendre conscience à Umbo de son pouvoir. Umbo mourait d’envie de courir lui faire part de ses progrès, avant qu’il ne se volatilise à nouveau. Le père de Rigg saurait le féliciter pour toutes ces choses dont il ignorait autrefois jusqu’à l’existence, et qu’il maîtrisait désormais.

Le temps continua à ralentir, jusqu’à s’écouler à un rythme normal.

Personne n’avait encore remarqué Param et Umbo, immobiles comme deux statues au milieu d’un champ de pierres.

Rigg hurla en reconnaissant son père.

L’homme le regarda, puis se tourna vers Umbo et Param. Il tendit ensuite le bras vers les deux silhouettes sorties du Mur et de l’invisibilité.

Il cria quelques mots dans une langue étrange.

« Voyageur ! appela Umbo. Param, c’est le père de Rigg ! »

Rigg avait rejoint l’homme en courant. Il lui tournait autour, l’examinait sous toutes les coutures, lui palpait le dos, les bras, le torse. Il doit vérifier s’il n’est pas blessé, pensa Umbo. L’homme, lui, semblait déboussolé.

Se pouvait-il qu’Umbo et Rigg l’aient pris pour Père alors que ce n’était pas lui ? Pourtant, la ressemblance était criante.

Les entremurs abritaient-ils les mêmes habitants… en double ? Des copies conformes d’individus, dans chaque entremur ?

Non, impossible. Même en imaginant les populations identiques au départ, les gens se reproduisaient d’une manière dans un entremur et d’une autre dans l’entremur voisin… elles finissaient fatalement par diverger.

Le père de Rigg était peut-être le même partout… Umbo se mit debout et tira Param par la main. Il fallait qu’elle rencontre l’Homme en Or.

Chapitre 12

Sacrifiable

Ram fut réveillé par les rayons du soleil.

Il ne se sentait pas sonné ; il avait toujours les idées claires au réveil. Quand il était réveillé, il était réveillé.

Certains détails le troublèrent immédiatement, à commencer par la lumière. À bord du vaisseau, il n’y en avait pas. Il n’était donc pas à bord. De deux choses l’une : soit ils s’étaient échoués par suite d’une quelconque avarie, soit ils étaient arrivés à destination.

« Bienvenue sur le Jardin, le salua un sacrifiable.

— Le Nouveau Monde est déjà baptisé, à ce que je vois, observa Ram.

— Un nom sans doute plus optimiste que pertinent, Ram. L’atmosphère porte encore les stigmates d’un impact cosmique, il y a deux cents ans de cela, avec un certain nombre d’objets extraplanétaires. Un épisode d’une rare violence. Toute vie a été rasée, et nous avons dû réimplanter à la surface la faune et la flore terrestres que nous avions embarquées à bord. Mais, comme vous pouvez vous en rendre compte par vous-même, le soleil brille haut dans le ciel, désormais. La photosynthèse est bonne et la végétation aujourd’hui luxuriante. La colonisation peut commencer. »