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— Au cas où vous auriez oublié, intervint Olivenko, les gens ne sont pas des saints. À commencer par ceux de notre entremur. Prenez le Général Citoyen. Si ce Mur venait à disparaître, quel serait son premier réflexe ?

— Venir nous tuer, devina Umbo.

— Pas si je m’occupe de lui avant, grogna Miche.

— Les guerres de conquête, rappela Olivenko. Jusqu’à maintenant, l’exploit réalisé par les Sessamoto a été d’unir l’entremur sous une même bannière. Mais si les murs tombent, combien de temps avant que les uns et les autres ne se déchirent pour de nouveaux territoires ? On ne change pas la nature humaine comme ça. À moins que… » Il se retourna vers le sacrifiable. « L’Homme aurait-il par hasard perdu ses instincts de prédateur et de conquérant dans certains entremurs ?

— Difficile à dire, éluda le sacrifiable. Chaque sacrifiable s’en tient à l’étude de son entremur. »

Rigg en profita pour faire valoir son autorité. « Qu’attendez-vous pour demander aux autres ? Nous voulons savoir. Si on doit désactiver ces Murs, autant connaître les conséquences.

— Je crains malheureusement de ne pas pouvoir vous être d’une grande aide, indiqua le sacrifiable.

— Tu parles d’un serviteur… » nota Param.

Le sacrifiable lui fit face. « Les Murs n’ont jamais été ni désactivés ni traversés avant votre arrivée. Nous n’avons aucune idée de la réaction possible des habitants des autres entremurs. Je n’en sais pas plus. Tout ce que je peux vous dire, c’est : Demandez, je m’exécuterai, dans la limite de mes possibilités.

— Le monde entier dépend de nous, résuma Rigg.

— De toi, rectifia Umbo. C’est toi qui as les bijoux de famille dans ton pantalon.

— Arrête avec ça, souffla Rigg. On est tous ensemble sur ce coup-là. S’il te plaît. »

Umbo rigola. « Détends-toi un peu, Rigg. Il faut bien s’amuser un peu. Sinon le temps va nous paraître long, entre deux Murs à désactiver.

— Et leurs mensonges à démêler, ajouta Param. Vous pouvez compter sur cette machine pour nous mentir bien comme il faut. Regardez, elle ne nie même pas. »

Le sacrifiable la scruta calmement. « Je ne confirme pas non plus.

— Ce qui n’est qu’une forme détournée de mensonge, persista Param.

— On ne peut mentir, se défendit le sacrifiable, sur ce que l’on ignore. On peut juste avoir tort ou être silencieux. Des deux, je préfère encore le silence. Surtout que je ne suis pas programmé pour savoir quand j’ai tort.

— Menteur et philosophe, enfonça Param.

— Lorsque nous vous interrogerons à l’avenir, intervint Rigg, dites-nous la vérité ou tentez de la déduire par vous-même en fonction de ce que vous savez. Et répondez aux questions de tout le monde, pas uniquement aux miennes.

— Entendu, obtempéra le sacrifiable.

— Comment vous appelez-vous ? lui demanda Rigg.

— Je n’ai pas de nom, indiqua le sacrifiable.

— Il vous en faut un. Il en faudrait un également pour celui que j’appelais Père.

— Le sacrifiable actif se fait appeler par le nom de son entremur d’affectation, lui apprit le sacrifiable.

— Qui est ? Je parle du nôtre, celui dans lequel on est nés, dont on vient de s’enfuir.

— L’entremur “Ram”, déclara le sacrifiable. Le nom de code du sacrifiable posté là-bas est donc “Ram”.

— Et comment appelez-vous votre entremur ? demanda à son tour Umbo.

— “Vadesh”. L’entremur “Vadesh”.

— Hé, il y a déjà du progrès, vous avez vu ? Il n’a pas répondu qu’à mes questions, il a aussi répondu à Umbo.

— Y a-t-il une source à proximité ? l’interrogea Miche. Avec de l’eau potable ? De l’eau claire ? De l’eau sûre ? En quantité suffisante pour pouvoir remplir nos outres… vous comprenez ma question ?

— Je vais vous y mener, déclara Vadesh. Mais vous faire boire, je ne peux pas. »

Rigg regarda les autres sans comprendre, puis à nouveau Vadesh. « Pourquoi dites-vous cela ? Quel besoin de nous “faire boire” ?

— Un dicton vieux de douze mille ans, au moins, expliqua Vadesh. Qui vient de la Terre, le berceau de la race humaine. C’est une traduction, mais en gros il dit : “On ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif.”

— Merci pour la leçon d’histoire, lui lança Olivenko.

— Et de comportement équin », ajouta Param.

Rigg pouffa devant leur humeur moqueuse, tandis que Vadesh les guidait vers une allée d’arbres proche, à l’opposé du Mur. Une chose le fit tout de même tiquer : le sacrifiable n’avait pas relevé quand ses amis l’avaient raillé. « Vadesh, l’interpella-t-il, vos références au monde d’où viennent les hommes, et votre vieux dicton, ce n’était pas gratuit, n’est-ce pas ? Vous cherchez à nous apprendre quelque chose sur la Terre ?

— Oui, confirma Vadesh.

— Eh bien, allez-y, développez », l’invita Rigg.

Vadesh resta silencieux.

« Vous avez oublié ? continua à le taquiner Rigg. Ou vous n’avez plus envie de nous le dire ?

— Je ne peux pas formuler de réponse claire et précise à une telle question. Tout ce que je sais, c’est que plus vite vous en apprendrez sur la Terre, mieux ce sera.

— Pourquoi ? s’enquit Rigg.

— Pourquoi quoi ?

— Pourquoi plus vite nous en apprendrons sur la Terre, mieux ce sera ?

— Parce qu’ils arrivent, déclara Vadesh.

— Oui ça, “ils” ? s’enquit Param.

— Les habitants de la Terre.

— Quand ? le pressa Miche.

— Je ne sais pas, avoua Vadesh.

— Et que feront-ils en arrivant ? s’inquiéta Umbo.

— Je ne sais pas, répéta Vadesh.

— Essayons autrement : que peuvent-ils faire ? » insista Rigg.

Vadesh marqua une pause. « Des milliards de choses, reprit-il. Par souci de gain de temps, je vous propose de hiérarchiser mes réponses.

— Excellente initiative, le félicita Rigg. Commençons par la plus importante.

— Ils peuvent rayer ce monde des cartes.

— Pourquoi feraient-ils ça ? s’exclama Olivenko. Qu’est-ce qu’on leur a fait ?

— Vous m’avez demandé ce qu’ils pouvaient faire, pas ce qu’ils allaient faire. Et avant que vous redemandiez : je ne sais pas. Il y a des milliards de réponses possibles à la première question, aucune à la seconde. C’est ce que l’on appelle le futur, et même vous cinq, vous ne pouvez pas le visiter, à part très lentement, un jour après l’autre, comme tout le monde.

— Voici l’eau, annonça Rigg. Elle a l’air bonne. Remplissons nos outres et buvons. »

Remerciements

Neil F. Comins ne se doutait pas de l’aide précieuse que son roman m’apporterait lorsqu’il écrivit What If the Earth Had Two Moons : And Nine Other Thought-Provoking Speculations on the Solar System, mais je le remercie quand même. Sans son livre, le Jardin aurait eu une lune et non un anneau, et dix-neuf vaisseaux ne se seraient sans doute pas écrasés à sa surface comme ils le font. En revanche, il n’est nullement responsable des choses que j’ai moi-même inventées, et que les limites de la science, telles que nous la connaissons, sont censées empêcher.

Les jeux de voyage temporel auxquels je m’abandonne dans le présent ouvrage sont une défiance délibérée aux règles consensuelles que la science a fixées en la matière. Loin d’esquiver le paradoxe, je me suis imposé de l’épouser, en adoptant un ensemble de règles dont une d’or : la causalité contrôle la réalité, indépendamment du moment de sa survenue sur l’échelle temporelle. Après tout, si nous pouvons présumer de la possibilité d’une contraction spatiale pour passer d’un point A à un point B instantanément, pourquoi écarter celle d’une contraction temporelle ? Et si une trace se remonte dans l’espace, pourquoi pas dans le temps ?