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— Rien.

— Un terrible embarras, rectifia Param. Rien ne l’embarrassait plus que de savoir que c’était sa passion qui avait tué Père.

— Pense un peu à celui qui est le sien maintenant, de te savoir toujours en vie », pouffa Umbo.

Param gloussa à son tour.

« À mon avis, elle n’a pas bougé. Tu te rappelles ? Pendant notre chute au ralenti, une nuit entière a passé et au petit matin, ses soldats fauchaient encore l’air de leurs énormes barres de métal. Ils y sont encore, crois-moi.

— Et nous continuons à chuter vers eux, continua Umbo avant de tendre instinctivement le bras pour lui saisir la main. Et si on recommençait ? »

Elle se tourna vers lui en riant. Puis son visage s’assombrit et elle se dégagea de sa poigne.

« Non, conclut-elle. Plus jamais. »

Elle tourna les talons et courut se réfugier sous les arbres à petites foulées aériennes.

Plus jamais ! se retint de crier Umbo dans son dos. Plus jamais quoi ? Sauter du rocher avec des ennemis aux trousses ? Me laisser te tenir la main ? Te parler ? Traverser le temps à tes côtés ?

Chaque question témoignait un peu plus de sa détresse. L’espace de quelques secondes, il avait presque cru à son amitié. Puis elle s’était envolée, allez savoir pourquoi. En laissant planer un affreux doute sur ses sentiments pour lui.

Quel supplice. Je n’ai jamais demandé à tomber amoureux de la sœur de Rigg, moi !

« Mon sauveur », a-t-elle dit.

Umbo s’éloigna d’une démarche un peu raide, tirant vers la ville à travers champs. Il tomba sur une sente – ou une route – grignotée par les herbes. À la lumière froide et grise du Grand Anneau, Umbo devina un terrassement en dessous. Le chemin était de bonne largeur et, malgré la présence d’herbes drues aux racines de l’épaisseur d’un doigt un peu partout à sa surface, aucun arbre ne se dressait sur son tracé. Quelques coups de binette dans ce tapis de verdure auraient exhumé une route en tous points semblable aux axes de la ville, encore intacts après dix mille ans passés.

Umbo rentra au camp. Il trouva Param couchée à la même place et – du moins en apparence – endormie. Il cessa ses va-et-vient. Un pied dans l’eau et sa discussion avec Param avaient fini de le réveiller. Il assura la fin de son quart et, à l’heure de la relève, d’après la position des étoiles, en ajouta un demi supplémentaire avant d’aller secouer Rigg. À quoi bon se précipiter, je ne vais jamais m’endormir. Mais il savait aussi que, par ce « cadeau » de quelques minutes de sommeil supplémentaires, il tentait de se racheter des vilaines pensées qui l’avaient hanté la journée durant à propos de son ami. Bien entendu, le jeune trappeur n’en avait nullement conscience. Mais un brin d’autoflagellation par-ci et d’altruisme par-là, envers Rigg en l’occurrence, ne faisaient pas de mal. Umbo se sentait déjà mieux. Moins honteux.

Naturellement, Rigg remarqua qu’Umbo avait fait du rab.

« Je ne pouvais pas dormir, se justifia Umbo. Autant que l’un de nous d’eux dorme. »

Rigg partit se dégourdir les jambes. Umbo se recoucha et, malgré son absence de fatigue, sombra en quelques minutes, puis le matin vint, en un rien de temps. Param a passé son bras autour de mes épaules, rayonna-t-il à peine réveillé. Pas étonnant que je me sois endormi. Je voulais prolonger le rêve aussi vite que possible.

À son grand dam, s’il avait rêvé, il ne s’en souvenait absolument pas.

Ce réveil à la fraîche s’accompagna du rituel immuable des corvées matinales. Exception faite, aujourd’hui, de l’eau sur le feu. La bouillie attendrait, la toilette et le rasage aussi. La moindre goutte d’eau disponible irait directement hydrater leur gosier, et rien d’autre.

« Bon, lança Miche une fois sa boulette de viande séchée et quelques miettes de fromage avalées. Les voyageurs du temps, quel est le programme ? Une petite visite au temps de grand-maman, histoire de se rafraîchir la mémoire ?

— Moi, je suis partant, annonça Rigg. Umbo ? Je te laisse le dernier mot. »

Rigg lui manifestait une déférence inhabituelle. Umbo en rougit de gêne… lui qui l’accusait de jouer perso depuis le début !

Mais Rigg lui laissait-il réellement la main ? Comment dire non à cela ?

En trois lettres, songea Umbo.

« Non », répliqua-t-il.

Tous semblèrent surpris sauf un, Rigg.

« Tu nous expliques ? » exigea Param.

Des arguments, vite.

« Quelle est votre intention, changer le passé ? enchaîna Umbo illico. Et si c’est lui qui nous change ? Et si Rigg y restait ? Que connaît-on de la violence de ces gens ? Ou des maladies qu’ils transportent ? Et si Rigg attrape ce truc qui les a terrassés ? Quel est le but de la manœuvre, précisément ?

— On va y aller en équipe, intervint Olivenko. Envoie-nous avec lui, Miche et moi, on le protégera.

— De quoi ? De l’épidémie qui vous attend là-bas ? s’exclama Umbo.

— Appelle comme tu veux ce qui a vidé les rues de cette ville, observa Rigg. Une chose est sûre : si Vadesh nous veut ici, cette… chose n’y est pas étrangère.

— Il ne nous a rien demandé, que je sache, nota Param.

— Pas encore, approuva Rigg. Mais as-tu remarqué comme il ne nous lâchait pas d’une semelle ? On est importants pour lui. Père agissait ainsi : toujours un œil sur ses protégés. Les autres n’existaient pas.

— Exact, confirma Umbo. Sauf que, moi, je ne l’ai pas souvent eu sur le dos.

— Vadesh ne nous a pas laissés respirer une seconde, nota Rigg.

— Parle pour toi, gloussa Olivenko.

— Pour moi, pour Param, pour Umbo, débita Rigg. Pour tous les voyageurs du temps.

— On a tous voyagé dans le temps, releva Miche avec un petit sourire. Il a juste un petit faible pour les jeunots.

— Si je n’étais pas plus petit que toi, Miche, je te collerais mon pied où je pense, rétorqua Rigg.

— Vu la taille de tes parents, observa Olivenko, ton pied risque de rester sagement à sa place encore un certain temps. Le mien aussi, ceci dit.

— Je ne te le fais pas dire », grogna Miche.

Olivenko leva les yeux au ciel.

« Au respect, la brute répond par la méchanceté. Merci, Miche.

— Oh, ça va, si on ne peut plus blaguer… » se justifia le tavernier, mal à l’aise.

Sauf que sa « boutade » n’en était pas une. Umbo savait pour l’avoir pratiqué au quotidien que Miche faisait rarement dans le second degré.

« Voici ce que je propose, reprit Rigg. Je pars explorer les environs à la recherche de traces intéressantes. Un retour en arrière ne vaut que si l’on choisit un moment critique du passé, on est d’accord ? Donc si je ne trouve rien de prometteur, on laisse tomber. Qui est pour, qui est contre ? »

Umbo étouffa un rire. Quelle surprenante et subite collégialité. Sauf qu’en matière de lâcher de bride Rigg leur offrait surtout d’abonder dans son sens : s’ils pouvaient apprendre quelque chose du passé, ils iraient, point final. Il se montrait une fois de plus conciliant à ses propres fins.