Выбрать главу

— Si, pour revenir dans le présent, démentit Rigg. Je ne peux que m’accrocher aux traces visibles du passé. Sans toi, le lien entre les deux mondes est rompu. »

Param n’eut pas besoin de dessin : Umbo se sentait inutile et Rigg tentait de le rassurer. Mais plus son frère le flattait, plus Umbo se crispait. Les éloges de Rigg semblaient faire plus de mal que de bien.

« Nous possédons tous des pouvoirs complémentaires, trancha Param.

— Pas tous, contesta Olivenko. Miche et moi, on ne sait rien faire avec le temps. À part le tuer, de temps en temps.

— Vous n’allez pas vous y mettre, vous aussi ! s’emporta Param. On ignore tous ce que l’on sait faire ou pas. Et on a besoin de s’organiser pour faire face à un ennemi commun, un sacrifiable qui semble avoir un petit faible pour les monstres.

— Et que voici », signala Olivenko.

Ils suivirent son regard. Vadesh traversait le pré comme dix mille ans plus tôt, une semaine après la bataille.

« Prudence, conseilla Param à voix basse. Il entend tout, même à cette distance.

— Alors, qu’il entende à quel point je le méprise ! grinça Miche.

— Voilà qui est fait ! confirma Vadesh au loin. Vous comprenez désormais ma joie à votre arrivée de ce côté-ci du Mur ! Dix mille années que je vous attendais ! Et Ram qui refusait de me livrer le moindre indice malgré mon insistance. Bien entendu, il lui aurait été difficile de me parler de vous avant même votre naissance. Mais une pensée m’a traversé l’esprit… j’aime à croire que mon harcèlement aura fini par le pousser à parcourir les entremurs à la recherche de personnes capables de manipuler le temps. Ne serait-ce là un magnifique paradoxe ? Je vous ai rencontrés, j’ai parlé de vous à Ram et ce sont mes questions qui l’ont incité à expérimenter des croisements génétiques jusqu’à vos naissances ! En un sens, je suis un peu votre créateur ! Ne trouvez-vous pas tout cela amusant ?

— Hilarant, s’esclaffa Miche. Et vous savez le plus drôle ? »

À ce point, Vadesh les avait presque rejoints.

« Je suis tout ouïe, répliqua Vadesh.

— C’est que vous n’avez pas supposé un seul instant que si Ram refusait de vous dire quoi que ce soit, c’est parce que vous aviez été infoutu de sauver les humains de votre entremur. »

D’un simple geste de la main, Vadesh l’envoya par terre. Miche se releva en massant son épaule douloureuse, une grimace au visage.

« Il n’y a rien de cassé, indiqua Vadesh. Je n’endommage pas les humains. Je ne les tue pas non plus. Nous, les sacrifiables, ne sommes pas programmés pour tuer. Pourquoi croyez-vous que je dirigeais mon feu sur l’herbe et non sur les soldats ?

— Ils sont morts quand même, intervint Olivenko.

— Ils se sont entretués, précisa Vadesh. Sans mon aide.

— Vous n’avez rien fait à mon épaule non plus, gronda Miche. C’est comme ça qu’on dit “taisez-vous” chez vous ?

— Oui, mais apparemment le message n’est pas passé, sourit Vadesh. Pourquoi des jeunes gens si intelligents ont-ils pris la peine de traîner un boulet pareil jusqu’ici ? »

Miche sentit la colère redoubler, mais son épaule meurtrie doucha ses ardeurs ; Param le vit contenir ses envies de meurtre.

« Là, tout doux, ironisa Vadesh. Il est lent mais finit par apprendre.

— C’est bon, on a compris, coupa Rigg. Vous êtes le plus fort. Vous pouvez ne faire qu’une bouchée de nous. Mais nous pouvons aussi disparaître si l’envie nous chante. Portez encore une fois la main sur l’un de nous, et on vous dit adieu. »

Une lueur de panique traversa le regard du sacrifiable – mais quel sens prêter à ses expressions humaines ? Il était aussi faux que Mère et pourtant Param ne pouvait se retenir d’agir avec lui comme face à une personne vraie, capable de sentiments sincères. La détresse lue dans ses yeux après la menace de Rigg lui donna soudain envie de jouer les bonnes âmes.

« Qu’attendez-vous de nous, au juste ? s’immisça-t-elle. Restez raisonnable, et nous consentirons à vous le donner.

— Et si je coupais votre accès à l’eau ? négocia Vadesh.

— Vous y gagneriez notre retour immédiat à la case départ, chez nous, avant même votre naissance. Et l’assurance de ne plus jamais nous recroiser », menaça Rigg.

Vadesh ne se départit pas de son sourire pour autant.

« Nous voilà dans l’impasse, conclut-il. Soit, accompagnez-moi en ville et vous aurez toute l’eau que vous désirez. Je vous dirai là-bas ce que j’attends de vous, vous serez libres ou non d’accepter. Voilà une offre honnête, qu’en pensez-vous ?

— Généreuse même, de la part de l’auteur d’un génocide, estima Param. »

La princesse s’attendit à mordre la poussière comme Miche une minute plus tôt, mais n’obtint finalement en retour qu’un clin d’œil.

« Vous n’arriverez pas à froisser mes sentiments, sourit le sacrifiable. Je n’en ai pas. »

Et pourtant, songea Param, la violence de sa réaction à l’encontre de Miche ne pouvait que traduire un orgueil blessé. Vadesh avait fait payer cher au tavernier son audace à propos de la mort des humains de cet entremur. Le sacrifiable, ou quoi que fût Vadesh, n’aimait pas qu’on l’accuse de… crime contre l’humanité ? D’échec ? La raison de son courroux n’était pas claire, à l’inverse d’une chose : il ne fallait pas trop le chercher. Il était dangereux, et ils venaient tous d’en avoir la preuve flagrante.

La peur, voilà son nouvel outil d’habile manœuvrier, maintenant que l’ancien, la tromperie, est cassé. Peut-être a-t-il même joué la provocation ? La donne a changé, alors il s’adapte.

Mère faisait pareil, à l’instar de tous les puissants qu’il lui avait été donné de rencontrer dans sa vie. Param avait retenu une bonne leçon à leur contact : on ne peut gagner face à un joueur qui rebat sans cesse les cartes pour son propre avantage. Dans ces cas-là, sa parade avait toujours été de quitter la table.

Alors elle fuit.

Chapitre 5

Décisions

Param disparut aux yeux de tous sauf de Rigg, le seul capable de lire sa trace encore fraîche et vive – cette même trace qui l’avait mené à sa sœur dans la maison qui servait alors de geôle royale à leur mère. Le jeune trappeur fit mine de rien, pour ne pas guider vers elle Vadesh et son corps de métal : le moindre contact aurait suffi à la blesser.

« Je la vois comme je vous vois, le surprit Vadesh. Le temps n’a aucun secret pour moi. Je pourrais la suivre partout, même si elle partait à toutes jambes. »

Rigg posa son regard tour à tour sur Miche, Olivenko, puis Umbo.

« Param a pris sa décision seule, il me semble.

— Elle va mourir de soif, s’inquiéta Umbo.

— Se disperser est la dernière chose à faire, grogna Miche. L’union fait la force.

— Tout à fait d’accord avec toi, acquiesça Rigg. Toute notre organisation est à revoir. »

Rigg nota une crispation soudaine chez Umbo, signe extérieur d’un désaccord contenu.

« D’accord avec toi aussi, Umbo, glissa-t-il.

— Je n’ai rien dit ! protesta le jeune cordonnier.

— Au début de notre aventure, c’est moi qui avais l’argent. Les pierres précieuses.

— Tu les as toujours, observa Miche.

— Je te les donne, si tu veux, proposa Rigg. En souvenir du bon vieux temps.

— Non ! s’interposa autoritairement Vadesh.

— Vous, la ferme ! asséna Rigg. Vous êtes là sans notre accord, à tendre l’oreille à un kilomètre de distance, mais on ne vous a pas demandé votre avis. Jusqu’à preuve du contraire, vous restez notre ennemi.