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— Vos ennemis, ce sont les crochefaces, riposta Vadesh.

— Vous êtes leur allié, commenta Miche.

— Ne faites pas attention à lui, conseilla Rigg. Et c’est valable pour moi aussi. Bon, où en étais-je ?

— Désolé si on t’a coupé dans ton élan, grinça Umbo.

— Il me semblait logique d’endosser le rôle du chef, au début, reprit Rigg sans relever. C’est comme ça qu’on avait distribué les rôles : à moi celui de jeune héritier richissime, à vous celui de domestique.

— Ah, parce qu’on jouait ? murmura Umbo.

— Ensuite, j’ai été capturé et vous, Umbo et Miche, vous avez été laissés à vous-mêmes et vous êtes venus jusqu’à Aressa Sessamo pour me sauver. Je vous en serai éternellement reconnaissant. C’est aussi là-bas que j’ai fait la rencontre d’Olivenko, qui ne savait pas ce qui l’attendait en me suivant, le pauvre. Param est ma sœur, elle courait un tout aussi grand danger que moi. Mais tout compte fait, je ne vois aucune raison de rester le chef aujourd’hui.

— Tu ne l’es pas, le contredit Umbo sur un ton de défiance.

— Ouf, tu me rassures, soupira Rigg. Parce que j’avais la nette impression que Miche et Olivenko attendaient toujours de moi que je prenne les décisions. Ce qui semblerait logique en un sens, car malgré leur grande expérience et le fait qu’un des deux aurait dû prendre les rênes du groupe depuis belle lurette, aucun ne peut agir sur le temps, sauf pour le gaspiller en chamailleries.

— C’est toujours lui qui commence, pointa Olivenko.

— Toi, ne fais pas le malin, grogna Miche.

— Qu’est-ce que je disais… se désola Rigg. Vous vous comportez comme deux idiots, avec votre rivalité à la noix. Armée régulière contre garde civile, c’est ça, votre pomme de discorde ? Miche a troqué l’uniforme il y a des années pour celui de tavernier et de mari dévoué. Olivenko n’a rejoint la garde que par dépit de voir sa carrière de chercheur s’écrouler à la mort de mon père, mon vrai père. Un tavernier et un chercheur, mais aux physiques et aux airs de guerriers, et qui feraient déguerpir plus d’un candidat à la castagne.

— Il n’effraierait pas une… commença Miche.

— Si, il l’effraierait, coupa Rigg. Êtes-vous bouchés ou quoi ? Grandissez un peu ! Montrez-vous adultes et assumez vos responsabilités en prenant la tête de cette expédition.

— Non merci, refusa Olivenko. Et lui non plus.

— Si, moi je pourrais, réfuta Miche. J’ai juste pas envie. »

Rigg lança à Miche un regard noir. Le tavernier baissa la tête comme un adolescent pris sur le fait.

« Vous êtes capables de tenir une discussion sans vous contredire, poursuivit Rigg. Mais vous n’en avez nullement conscience, ce qui m’oblige à jouer les chefs, malgré le ressentiment d’Umbo.

— Le ressentiment ? s’étrangla Umbo.

— “Désolé si on t’a coupé dans ton élan”, le cita Rigg. “Parce qu’on jouait ?” Je suis d’accord avec toi, Umbo. Ni vous ni moi ne devrions avoir à diriger, et cela me fatigue autant que vous.

— Ton père t’y a préparé, observa Umbo.

— Les événements auxquels il m’a préparé sont derrière nous, nuança Rigg. Je suis allé à Aressa Sessamo, j’ai retrouvé ma sœur et l’ai aidée à s’échapper et, tous ensemble, nous avons réussi à quitter notre entremur avant que le Général Citoyen et notre chère mère nous mettent le grappin dessus. Sans compter que je n’ai pas la moindre idée de ce que le sacrifiable appelé Ram avait en tête et que je m’en fiche. Ce qui m’importe, c’est ce que nous avons en tête. Rien, en ce qui me concerne. Enfin si, une chose, et qui n’a pas changé depuis des semaines : survivre.

— Je pensais que tu voulais élucider la mort de Père Knosso ? s’étonna Olivenko.

— C’est vrai, admit Rigg. Mais pas au péril de nos vies. Je veux quitter cet entremur, c’est certain, car je n’ai aucune confiance en Vadesh.

— Pour aller où ? s’enquit Olivenko. Chez nous ?

— Non, impossible, déclara Rigg. Retournez-y si vous voulez mais Param et moi, on ne peut pas.

— Personnellement, je n’irai pas bien loin sans votre aide, rappela Olivenko.

— Umbo t’aidera, indiqua Rigg. Il a prouvé savoir voyager dans le temps sans moi depuis longtemps déjà.

— Et tu ne l’as toujours pas digéré, on dirait », lui lança Umbo.

Rigg poussa un soupir de découragement.

« Ton pouvoir m’a sauvé. Il a sauvé ma sœur. Il nous a tous sauvés. J’admets avoir fait un petit complexe d’infériorité quand je te voyais le faire sans moi. Mais maintenant on est à égalité.

— À égalité ? Tu peux faire un bond de dix mille ans en arrière et moi, je bloque à six mois, et encore. Va traverser le Mur avec ça !

— Tu sais aussi garder un pied dans le présent et y revenir quand tu veux, fit remarquer Rigg. On est différents mais plutôt exceptionnels chacun dans notre style, tu ne trouves pas ? Maintenant je le répète, j’en ai assez de jouer les papas. C’est ton tour. On t’écoute.

— Non merci, se défila Umbo. Les responsabilités, très peu pour moi.

— Allez, un petit effort… sourit Rigg.

— Ce qu’il vous faut, selon moi, c’est un commandement impartial », intervint Vadesh.

Rigg ne lui accorda même pas un regard.

« Miche ?

— J’avoue que ma maison me manque.

— Alors pourquoi ne pas rentrer chez toi ? proposa Rigg. Tu as déjà fait plus que ta part. Flaque t’attend.

— Si je reviens sans vous deux pour lui prouver que vous allez bien, ma vie ne vaudra pas plus qu’un morceau de bidoche dans le bec d’un charognard.

— Pourquoi nous faudrait-il absolument un chef ? souleva Umbo. Pourquoi ne pas rester ensemble tant qu’on a besoin les uns des autres, et nous séparer ensuite ?

— Ça me va, approuva Olivenko.

— Parce que tu raisonnes comme un bibliothécaire, commenta Miche. Sans vouloir t’offenser. Une chose que j’ai apprise à l’armée, c’est qu’on est soit ensemble, soit tout seul. Tous pour un, ou chacun pour soi. »

Rigg s’enfouit le visage au creux des mains.

« Tu as sans doute raison. J’en ai juste assez de me sentir responsable de tout le monde.

— Tu n’as jamais été responsable de moi ! contesta Umbo.

— Bien sûr que si ! répliqua Rigg. C’est ma faute si tu as dû quitter ta maison, ma faute si tu as dû m’accompagner jusqu’Aressa Sessamo et fuir ton entremur. C’est ma faute si tu ne peux pas boire un verre d’eau sans demander à cette machine.

— J’ai toujours été libre de mes choix, s’entêta Umbo.

— J’aimerais tant pouvoir arranger les choses, poursuivit Rigg. Mais je ne m’en sens pas capable. Je ne sais même pas par où commencer.

— Moi, je sais, s’immisça Vadesh. J’ai tenté de l’expliquer à mes anciens protégés, mais ils n’en ont fait qu’à leur tête.

— Param a pris sa décision, en tout cas, continua Rigg comme si le sacrifiable n’était pas là. Ce qui signifie qu’elle n’est plus sous ma responsabilité, désormais.

— Param est ta sœur, lui rappela Miche.

— Et la fille de Père Knosso, ajouta Olivenko.

— Mais je n’en suis plus responsable ! insista Rigg.

— Là, tu commences sérieusement à m’inquiéter », observa Miche.

Rigg hocha la tête d’un air désabusé.

« C’est que tu comprends que je suis à bout.

— Très bien, décida Miche. Je te relève de ton commandement. Je propose de suivre la marionnette automotrice jusqu’à l’abreuvoir et de se réhydrater tout notre saoul en écoutant ce qu’elle a à nous dire. Des objections ?