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— Aucune, approuva Olivenko avant de faire comprendre à Rigg d’un coup d’œil appuyé qu’il pouvait aussi se mettre d’accord avec Miche.

— Parfait, accepta Umbo. J’ai la gorge sèche.

— Moi, j’ai une objection », les coupa Rigg dans leur élan.

Ils le regardèrent, consternés.

« Ta proposition est excellente, poursuivit Rigg. Miche à notre tête, très bien. Mais c’est tellement bon de pouvoir dire non juste pour le plaisir. Param peut nous suivre ou pas, libre à elle. »

Vadesh, toujours à proximité, semblait un brin perplexe.

« Si je comprends bien, vous acceptez de me suivre ?

— Exactement, confirma Miche.

— Mais… toutes ces discussions ? »

Miche se contenta de secouer la tête.

« Ne cherchez pas. Des trucs d’humains.

— Vous êtes moins intelligent que vous en avez l’air finalement, lança Umbo à Vadesh.

— Il fait semblant de ne pas comprendre, nota Rigg.

— Je crois surtout qu’il n’y comprend rien aux humains, enfonça Olivenko.

— Ce n’est pas faux, laissa couler Vadesh. Ce que je sais, en revanche, c’est que sans eau, les humains meurent, alors allons-y. »

Le sacrifiable montrait un bel entrain. Un peu plus, et Rigg l’aurait pris pour Père. Ne baisse pas la garde, s’ordonna-t-il. Il n’est pas Père. Père lui-même n’était pas Père. Ce sont tous des menteurs.

Mais marcher dans ses pas, répondre à ses questions, obéir à ses ordres – Rigg avait vécu ainsi toute son enfance, toute sa vie, du moins jusqu’à l’année précédente. Se laisser à nouveau guider par cette silhouette avait quelque chose de rassurant, comme s’il rentrait à la maison.

De retour dans l’usine, ils burent jusqu’à satiété, firent le plein des gourdes et des outres et se montrèrent aussi peu loquaces que Vadesh bavard – à propos des jours de gloire de la cité, notamment.

« Nous avons conservé intacte la technologie embarquée des aéronefs, dans la mesure du possible. Pas pour les faire voler. Avec le Mur, c’était hors de question. Les pilotes ne pouvaient pas le voir, ils risquaient de devenir fous et de crasher l’aéronef s’ils s’approchaient trop. »

Rigg s’imagina des hommes à bord de carrioles volantes. Ou de bateaux ailés, puisque Vadesh avait parlé de « pilotes ». Devaient-ils ruser avec les vents comme à la barre de navires lancés à contre-courant ?

Il garda ses réflexions pour lui. Son projet du moment visait à saisir le mode de pensée de Vadesh, ce qui pourrait se révéler fort utile au moment de quitter cet entremur. De Vadesh et des autres, d’ailleurs. Il n’était que le second spécimen rencontré, et Rigg devait encore tirer pas mal de choses au clair à leur sujet. Chaque entremur renfermait son propre sacrifiable. S’ils traversaient un nouveau Mur, ils tomberaient nez à nez avec un sosie de Ram ou de Vadesh.

Les sacrifiables possèdent la capacité de susciter chez nous la dépendance, le besoin, l’amour. Mais ils peuvent aussi nous mener à notre perte, comme l’a prouvé la disparition des humains de cette ville. Père a-t-il brutalisé les humains de la sorte ? Suis-je son fils ou un simple humain un peu plus doué que les autres, de lignée royale, l’instrument idéal d’une manipulation à des fins de destruction ? Ram méprisait-il la vie humaine de son propre entremur autant que Vadesh dans le sien ? Si c’est le cas, je serais bien inspiré de désapprendre tout ce qu’il m’a inculqué et d’aborder le monde à ma manière, pas à la sienne.

À moins que, me sachant destiné à affronter un jour un tel monstre, Père ne m’ait préparé à découvrir ses faiblesses à son contact pour mieux le terrasser.

Pourquoi faut-il que ce monstre ait le visage de Père ?

« Mais Rigg est bien au-dessus de tout cela, bien entendu, déclara Vadesh.

— J’écoutais ! » protesta Rigg.

Vadesh n’insista pas.

Rigg répéta mot pour mot les dernières phrases du sacrifiable.

« Cette cité a été conçue par des ingénieurs humains. Tous ces ouvrages ont été bâtis de main d’homme.

— Vous aviez l’air perdu dans vos pensées, commenta Vadesh.

— Je m’interrogeais sur votre besoin de nous marteler que ce sont des humains qui ont construit tout cela. Pour que la distinction soit claire entre humains et sacrifiables, ai-je pensé au début. Mais en fait, par humains, vous voulez dire “humains possédés par des crochefaces”.

— Pas possédés ! s’insurgea le sacrifiable. Transcendés ! Quel but croyez-vous que nous visions ? La mission confiée par le grand Ram Odin était de réaliser l’osmose parfaite entre la vie de ce monde et la vie que les humains ont apportée.

— Cette ville est le chef-d’œuvre des crochefaces, dans ce cas, observa Olivenko.

— D’humains aux sens aiguisés et stimulés par les crochefaces, nuança Vadesh.

— Je croyais l’hybridation à l’origine d’une régression des hommes à l’état de brutes épaisses, discuta Olivenko.

— Au début, oui. Chez les humains les plus vulnérables, et de manière irréversible. Mais certains organismes mieux prédisposés reprirent le dessus. Et dans certains parasites s’instillèrent peu à peu les vertus de la civilisation. Retenue. Discipline. Anticipation. Culpabilité.

— Culpabilité ! manqua de s’étouffer Miche. Et de quoi se sont-ils sentis coupables ? Des bêtes commandaient ces hommes. Les montaient comme de simples destriers.

— La culpabilité est une vertu civilisatrice », énonça Vadesh calmement.

Rigg avait déjà entendu ces mots dans la bouche de Père.

« Un homme se châtie d’abord par culpabilité, développa le prince sessamide. D’abord avant de perpétrer un crime, puis après son acte. S’il échappe à la justice.

— C’est ainsi que les hommes se policent, poursuivit Vadesh. Plus les hommes se sentent coupables, mieux vit la communauté.

— Admettons, concéda Miche. Les crochefaces ont donc appris la culpabilité. Cela ne les a pas empêchés de contaminer tout le monde.

— Faux ! protesta Vadesh. Ça, c’est votre vision des choses. Ils se sont défendus.

— En exterminant jusqu’au dernier humain vivant, argumenta Miche.

— Non, non et non ! répéta Vadesh. Ce sont les sains, comme vous les appelez – je préfère personnellement les appeler envahisseurs terrestres…

— Un peu comme vous, le coupa Umbo.

— Les envahisseurs terrestres, reprit Vadesh, qui assiégèrent la ville encore et encore jusqu’à massacrer le dernier survivant, homme, femme ou enfant, du peuple autochtone.

— Ils n’avaient rien d’autochtone, contesta Umbo. Ils étaient captifs.

— Ils représentaient une nouvelle forme de vie indigène, moitié humaine, moitié crocheface, argua Vadesh. Une merveilleuse création de la nature, accouchée dans la peur et la douleur, mais qui a si bien rendu à ses parents par la suite. Comme deux arbres incapables de produire le moindre fruit jusqu’à leur pollinisation croisée.

— Un vrai poète du parasitisme, ironisa Rigg. Est-ce le genre d’histoires que vous racontiez aux possédés pour les convaincre de ne rien regretter de leur vie perdue ?

— Je n’invente rien, se défendit Vadesh.

— Et pourtant, les gens contaminés n’avaient pas l’air convaincus, douta Rigg.