— Tu y réfléchiras plus tard, trancha Miche. Le plus dur est fait. Je peux enfin rentrer chez moi. »
Miche se leva et toisa Vadesh de toute sa hauteur. Plus d’un aurait tremblé face à pareil colosse, mais Rigg doutait que la peur soit seulement inscrite dans le programme du sacrifiable.
« Suivez-moi, ordonna Vadesh. Vous voilà maître du Mur.
— Où l’emmenez-vous ? s’enquit Rigg.
— Laisse-le aller, intervint Olivenko. C’est lui, le chef, maintenant.
— Et moi, je suis son ami, rétorqua Rigg. J’ai le droit de savoir.
— Nous partons au vaisseau, répondit finalement Vadesh. Au cœur des montagnes. »
Chapitre 6
Bienvenue à bord
« Je viens », décréta Rigg.
Umbo l’aurait parié. Rigg avait beau marteler son ras-le-bol du rôle de chef, il ne pouvait s’empêcher de fourrer son nez partout.
Et il avait bien raison. Quelles que fussent les intentions de Vadesh, il était hors de question de le laisser partir seul avec Miche dans les montagnes, dans le vaisseau. Quelqu’un devait les accompagner. Mais pas Rigg : Umbo, l’inséparable compagnon de Miche pendant la captivité du prince.
« C’est à moi d’y aller », revendiqua le jeune cordonnier.
Rigg le fixa du regard.
« Quelqu’un doit rester ici. S’il arrive quoi que ce soit à l’intérieur, j’aimerais autant vous savoir dehors.
— Alors reste, suggéra Umbo.
— Non, moi ! se proposa Olivenko. J’expliquerai tout à la princesse Sissaminka à son retour.
— Bonne idée, approuva Umbo.
— Il faudrait juste m’expliquer avant ce qui se passe… fit remarquer le garde.
— Umbo et moi accompagnons Miche et Vadesh au vaisseau, résuma Rigg.
— Et moi qui espérais ne pas vous avoir dans les pattes, pour une fois… » déplora Miche.
Umbo le prit pour lui ; il rougit.
« Je devrais peut-être prendre les pierres ? suggéra Rigg.
— Je crois encore être assez grand pour ça, rétorqua Miche.
— La seule fois où tu as bien voulu nous les confier, rappela Umbo, on s’en est plutôt bien tirés, je crois.
— Le problème ne vient pas de vous… assura Rigg.
— Mais de moi, compléta Vadesh. Rigg se méfie, c’est normal : Ram a passé son temps à lui mentir. Prenez les pierres, c’est tout ce que je demande.
— Je m’en charge, proposa Umbo.
— Si c’est pour en perdre une comme la dernière fois… insinua Rigg.
— J’expérimentais les voyages dans le temps ! plaida Umbo.
— Et pourquoi ne pas laisser un adulte expérimenter son rôle d’adulte, bon sang ? insista Miche.
— Où tu vois un adulte, toi ? » plaisanta Umbo.
Miche ricana.
« Quel petit plaisantin, toujours le mot pour rire. » Puis, se tournant vers Vadesh : « Je vous suis.
— J’attends le retour de Param », rappela Olivenko.
Umbo ressentit à ces mots… une pointe de jalousie.
Un sentiment absurde, mais la simple pensée de la princesse seule avec ce soldat à la tête bien faite et bien pleine le chagrinait. Il chassa ses idées noires et se mit en route vers la porte.
« C’est de l’autre côté, l’arrêta Vadesh. Nous devons nous enfoncer dans cette direction.
— Les montagnes ne sont pas tout près… s’étonna Umbo.
— Détrompez-vous, répliqua le sacrifiable, nous avons déjà un pied dessus. Et dans ce monde, toutes les routes ne sont pas en surface. »
Ils quittèrent la pièce au pilier d’eau par une porte qui débouchait sur un hall immense, encombré de machines mystérieuses. Toutes semblaient faites du même métal impénétrable que les murs extérieurs des bâtiments de la ville et que la surface de la Tour d’O. Une surface, s’était laissé dire Umbo, victime des pires assauts, non pas de la part de guerriers mais de chercheurs intrigués par sa composition. Rien ni personne n’avait jamais réussi à l’entamer, pas même en la soumettant pendant des heures à la flamme la plus vive. Comment, dans ce cas, imaginer ce métal – si toutefois il s’agissait bien de métal – coulé en diverses pièces mécaniques ?
Et que pouvaient bien produire ces engins ? D’énormes pièces mobiles saillaient çà et là, mais leurs productions restaient invisibles. Umbo aurait aimé assister à la danse de leurs engrenages, voir leurs mécanismes s’animer et en sortir quelque chose.
Les autres avaient pris de l’avance, mais très peu, à l’écho encore clair de leurs pas. Il les rattraperait vite. Mais avant, il lui fallait percer le secret de ces monstres de métal…
Une présence se fit soudain sentir à ses côtés. Il pivota d’un quart de tour et… se retrouva nez à nez avec son double !
Un double en piteux état, sanguinolent, une oreille déchiquetée, un coude en charpie, le visage tordu par la douleur. « Reste là. Ne bouge pas », ordonna la vision avant de disparaître.
« Rigg, Miche, à l’aide ! » hurla Umbo.
Les bruits de pas avaient disparu. Où étaient-ils passés ? L’avaient-ils seulement entendu ? Son double ensanglanté ne lui aurait pas intimé de rester immobile sans raison ! Il devait savoir Miche et Rigg à l’abri… Si Umbo doutait même de son double dans pareille situation, à qui faire confiance ?
En même temps… ne pas bouger… la consigne laissait le champ libre aux interprétations. Était-ce bouger que de rejoindre Olivenko pour le prévenir ? Les prévenir, si Param avait daigné sortir de sa cachette.
Quelques mètres à faire, tout au plus…
Et cette petite voix intérieure qui lui hurlait de rejoindre Rigg et Miche au plus vite, au cas où…
Mais au cas où quoi, exactement ? Le seul en danger, jusqu’à preuve du contraire, c’était lui, Umbo. Reste là, ne bouge pas. Sa version future avait pris la peine de le prévenir, la moindre des choses était de l’écouter.
Umbo resta sagement à sa place. Immobile.
Plusieurs minutes passèrent. Des bruits de pas résonnèrent. Param apparut, suivie d’Olivenko.
« Où sont les autres ? s’étonna la princesse.
— Aucune idée, confessa Umbo.
— Qu’est-ce que tu fais là tout seul ?
— J’attends. Consignes de mon double du futur. Il est revenu exprès pour me prévenir. »
Param marqua un temps d’arrêt. Elle cligna des cils, l’air pensif.
« Il t’a dit pourquoi ?
— Non. Tout ce que je sais, c’est qu’il revient rarement sans raison, répondit Umbo.
— Il a parlé de moi ? s’enquit Param.
— Non plus. Mais le danger est passé. Enfin, je crois…
— Le danger ? s’exclama la princesse.
— Tu crois ? enchérit Olivenko.
— Il n’était pas beau à voir. Un bras cassé, une oreille en moins, du sang partout.
— Et tu n’as prévenu personne ? s’écria Param.
— Je n’ai fait qu’obéir à mon double, se dédouana Umbo. Il a attendu que je sois seul pour surgir.
— Donc son avertissement t’était destiné, conclut Olivenko. Il ne concernait ni Miche ni Rigg.
— Et si ton futur toi n’était qu’un fieffé menteur ? explosa Param.
— Et si tu n’étais qu’une stupide accusatrice ? » riposta Umbo.
Tant pis pour la bonne impression.
« Donc tu vas rester là sans rien faire ? poursuivit Param. Bien au chaud à l’arrière, comme les mauviettes ? »
Cette fois, la princesse dépassait les bornes.
« Parce que se cacher, c’est mieux peut-être ? tempêta Umbo. S’éclipser quand ça chauffe. Merci pour la leçon, mademoiselle Courage.