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Mais si vite que défilaient les murs du tunnel, quelque chose ne tournait pas rond dans leur folle chevauchée.

Rigg trouva : il n’y avait pas un souffle de vent. À cette vitesse, des bourrasques auraient dû leur cingler le visage. Pourtant, l’air ambiant restait immobile, comme à l’arrêt.

Rigg tendit une main par-dessus le rebord… toujours rien. Il se pencha pour tâtonner plus loin, s’attendant à heurter quelque invisible barrière. Du verre peut-être, translucide et pur.

Sa main se fit soudain souffler vers l’arrière. Il parvint à la ramener à sa hauteur au prix d’efforts intenses, puis finit par la rentrer. Le « vent » disparut.

« C’est un champ, expliqua Vadesh. Une irrégularité, quoique parfaitement géométrique, de l’univers. Une barrière. Les particules atmosphériques ne la traversent que très lentement, si bien que notre mouvement ne perturbe guère la masse d’air qui y est présente. En revanche, l’oxygène y entre et en sort librement. »

L’oxygène ?

« Pour nous permettre de respirer.

— Parfaitement ! Si le champ était totalement imperméable à l’air, nous suffoquerions une fois l’oxygène autour de nous épuisé. Je vois que vous avez bien retenu les leçons de votre professeur. »

Ram n’a jamais parlé de champs. Ni de carrioles capables de se déplacer à une telle vitesse.

« Le Mur aussi est un champ, avez-vous dit, reprit Rigg.

— Oui, mais un champ différent d’une simple barrière physique. Plus proche d’une zone de perturbations. Il affecte l’équilibre mental des animaux, la part instinctive du cerveau qui alerte en cas de tremblement de terre ou d’orage, par exemple. Le Mur l’induit en erreur. Sous son influence, un danger potentiel prend les atours d’une menace imminente. L’animal fuit, pris de panique.

— L’animal peut-être, mais pas nous, démentit Rigg.

— Admettez en avoir eu envie, douta Vadesh. Mais il est vrai que les humains ont développé des mécanismes corporels de défense. Face à une menace, ils ferment les yeux et se bouchent les oreilles. Chez l’homme, les perceptions sont passées au crible de la raison. Mais la raison vous handicape. Car au bout du compte, vous trouvez des raisons à votre déséquilibre au sein du Mur : désespoir, culpabilité, effroi. Les pires ennemis du bon sens.

— Ce qui ne nous a pas empêchés de traverser, fit remarquer Miche.

— Oui, avant même que le Mur ne soit activé, rétorqua Vadesh. Pas beaucoup de mérite.

— Il était activé quand on y est retournés pour sortir Rigg de là, argua Miche.

— Courageux de votre part, bravo. Vous n’avez pénétré le Mur que de cinq pour cent pour réaliser cet exploit. Les cinq pour cent les plus faibles. Non, croyez-moi, le Mur fait très bien son travail.

— Il existe donc plusieurs types de champs ? comprit Rigg.

— Plus que vous ne croyez, jeune homme. Je n’arrive pas à croire votre père dilettante au point d’avoir fait l’impasse sur cette leçon. Un tiers des commandes du vaisseau était dédié à la génération et à la maintenance des champs. Sans champs, les voyages interstellaires n’existeraient pas. Ce sont eux également qui nous ont permis de nous écraser “proprement” ici, en dégageant suffisamment de débris dans l’atmosphère.

— Je préférerais avoir les tympans crevés que d’entendre ça, grommela Miche. Et arrêtez-moi ce machin, bon sang !

— Ce sera bientôt chose faite. Nous arrivons.

— Vous vous êtes écrasés sur cette planète… murmura Rigg.

— Elle n’avait pas de lune. Donc pas de marée et une vitesse de rotation trop rapide, expliqua Vadesh. Et il fallait cacher les vaisseaux. En percutant le Jardin de nos dix-neuf vaisseaux en même temps, avec le bon angle et la bonne vélocité, nous avons pu ralentir sa rotation à une vitesse viable pour les humains.

— Et vous avez tout planifié ? s’enquit Rigg.

— Oh, pas moi, répliqua Vadesh. Ce n’est pas le rôle des sacrifiables. Nous manquons de finesse pour des tâches si… subtiles.

— Oui, dans ce cas ?

— Tout s’est fait automatiquement. Les vaisseaux sont étudiés pour. Il faut bien comprendre qu’une telle collision les aurait réduits en poussière, malgré leur enveloppe de métaldur. Mais les vaisseaux génèrent également des boucliers magnétiques capables d’annihiler tout corps s’opposant à leur passage. Au sens strict, les vaisseaux n’ont jamais heurté quoi que ce soit. Ce sont les champs qui ont percuté le Jardin et fait voler sa croûte planétaire en éclats. Des millions de tonnes pulvérisées dans les airs. Exterminant toute vie à la surface. Mais les vaisseaux n’ont rien senti, pas même une petite surchauffe. »

Rigg repensa aux cours de physique de Père. Et à la brusque accélération qui l’avait envoyé valdinguer sur la banquette arrière quelques minutes plus tôt.

« Un arrêt d’une telle brutalité transformerait en purée tout ce qui se trouve à l’intérieur, observa-t-il.

— Un deuxième bon point pour Ram, le professeur émérite, apprécia Vadesh. Tout le volume intérieur était figé dans une bulle inertielle. L’énergie phénoménale du choc fut dissipée au-dehors. Ce qui explique aussi la quantité de poussière libérée et la fournaise qui s’est ensuivie. Les champs sont la clé de tout, mon garçon. Je m’étonne que votre père, pourtant tellement dévoué, à vous entendre, ne vous en ait jamais touché un mot. Étrange. »

Vadesh ne semblait pas comprendre que chaque pique lancée à l’encontre de Père ne faisait qu’écorner un peu plus sa propre image. Car en quoi différaient ces deux créatures, ces deux machines ? Tout ce qu’il parvenait à prouver, c’était que les sacrifiables mentaient. Mais Rigg n’avait pas attendu sa brillante démonstration pour s’en convaincre.

« Je nous sens ralentir, observa Rigg.

— Que l’oreille droite de Silbom soit louée ! s’exclama Miche.

— Il n’y a aucune raison d’établir une bulle inertielle à l’intérieur d’une carriole – sa vitesse ne le justifie pas, indiqua Vadesh. Ce n’est pas parce qu’on sait faire quelque chose qu’il faut le faire. Perte de temps et d’énergie. »

Le véhicule s’arrêta de lui-même.

Le tunnel, aussi, semblait s’arrêter là. Ils étaient arrivés au bout d’une impasse. Bouchée, de tous les côtés, par des murs de pierre lisse. Aucune porte, aucun panneau, pas même un quai de chargement.

Vadesh bondit à terre.

« Suivez-moi, les amis ! lança-t-il.

— Les amis ? sourcilla Miche.

— Il se sent seul, ironisa Rigg.

— Un vrai pitre, ce Vadesh.

— Il essaie surtout de nous le faire croire, soupçonna Rigg. Mais c’est lui qu’il va finir par perdre, à trop multiplier les rôles. »

Vadesh – qui n’avait rien manqué de leur petit aparté, détail que Rigg gardait toujours précieusement en tête – se tenait debout à l’extrémité du tunnel.

« Dépêchez-vous, la porte se referme. Je vous déconseille de vous faire coincer dedans. »

Rigg et Miche descendirent de la carriole, qui fila aussi sec vers son point de départ.

« Comment on fait pour le retour ? s’inquiéta Miche.

— J’en appellerai une autre, indiqua Vadesh. Et ne vous inquiétez pas : je connais plein de façons de rentrer. »

Vadesh se tourna face au mur et resta là, immobile et silencieux. Que fait-il ? s’interrogea Rigg. Communique-t-il avec le mur par télépathie ?