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Le temps que Rigg fasse le lien, l’ordre était passé. Un petit chariot glissait déjà le long de la piste. Il vint s’amarrer de lui-même à la table.

Miche contempla le fouillis de commandes qui tapissait la console ; ce faisant, il baissa la main contenant les pierres, toujours paume ouverte.

Rigg s’approcha comme pour étudier la console de plus près.

« Ce truc me dit quelque chose », murmura-t-il en pointant innocemment un levier de la main gauche.

Et de la droite, il chipa les pierres dans la paume de Miche.

Tout ce tapage sur la prétendue importance des gemmes n’était peut-être que du vent, mais Rigg préférait les savoir sur lui pendant les incantations de commandement. Quant à Miche, il semblait presque soulagé de ne plus en avoir la charge.

Rigg se lança dans l’incantation du premier mot, le plus important selon Père : « Attention. » Puis : « F-F-1-8-8-zéro-E-B-B-7-4… »

Vadesh se tourna vers Miche et le vit dépossédé des pierres. Il se précipita sur la console et enfonça un bouton sur le côté.

La face supérieure de la console bascula sur elle-même, laissant apparaître une boîte ouverte à la place des commandes.

« 3-3-A-C-D-B-F-F… »

Quelque chose bougeait à l’intérieur. Un crocheface !

Il va nous le balancer à la figure ! comprit Rigg dans la seconde. Contre Vadesh, le jeune trappeur ne faisait pas le poids. Le sacrifiable avait prouvé sa supériorité au corps à corps en étalant Miche d’une pichenette. Il ne lui restait plus qu’à psalmodier son mot jusqu’au bout. Il ne faisait plus aucun doute maintenant que la crainte de Vadesh résidait là, dans les mots et les pierres de Père. Le sacrifiable avait paniqué aux premières lettres ; Rigg n’avait plus qu’à terminer.

Vadesh fit un mouvement de main qui prit Rigg et Miche au dépourvu, mais ne parvint pas à distraire Rigg pour autant.

« 1-0-5. Attention. »

Il n’avait jamais compris si ce dernier mot était une répétition de l’ensemble ou l’ultime maillon de la chaîne, mais il prit soin de le prononcer sans achopper, comme le lui avait appris Père.

Le crocheface bondit hors de la boîte et vint claquer avec un bruit mouillé sur le visage de Miche. Le tavernier se crispa de tout son corps avant de se mettre à trembler.

« Prêt, annonça une voix douce sortie de nulle part et de partout en même temps.

— 4-A-A-3, je suis ton maître, dicta Rigg.

— Vous êtes mon maître », confirma la voix mystérieuse.

Vadesh fondit sur Rigg, renversant Miche au passage.

« Protège-moi du sacrifiable ! » ordonna Rigg.

Vadesh se figea en pleine course.

Miche s’était adossé à un mur, par terre. Le crocheface lui recouvrait déjà le visage du front au menton, et les deux oreilles.

« 2-F-F-2. Information. Dans quelle salle nous trouvons-nous ?

— Dans la chambre de réveil et de soins, répondit la voix.

— À quoi sert-elle ?

— À réveiller les humains de leur stase et à les guérir de toutes sortes de maladies.

— Mon ami Miche peut-il y être guéri ?

— Je ne sais pas. »

Rigg n’avait pas la moindre idée de l’identité de son interlocuteur.

« Qui peut me fournir une réponse ?

— Je ne sais pas. »

Une machine. Une voix de synthèse. Celle d’un ordinateur de bord selon toute vraisemblance. De l’un des dix-neuf du vaisseau. Ou des dix-neuf en même temps. Une voix capable de dicter ses ordres au sacrifiable, toujours figé dans sa position, une main sur le siège, l’autre sur la boîte du crocheface.

« Aide Miche. Trouve une solution.

— Identifiez Miche et autorisez-moi à l’ausculter.

— C’est le seul autre être humain présent dans cette pièce, indiqua Rigg. Auscultation autorisée.

— Rapprochez-le de la table, demanda la voix.

— Je ne peux pas le soulever », signala Rigg.

Vadesh. Vadesh le pouvait sans problème. À condition de le sortir de sa léthargie.

« Qui es-tu ? » s’enquit Rigg.

Pas de réponse.

« 2-F-F-2. À qui appartient la voix qui me répond ?

— Au module composite de commande de l’interface humaine.

— Il y a un sacrifiable entre Miche et la table, et une boîte dessus qui gêne. Que peux-tu faire pour m’aider sans réveiller le sacrifiable ?

— Rien », confessa la voix.

Rigg reconsidéra son ordre. Une reformulation s’imposait.

Il opta pour une nouvelle commande.

« 7-B-B-5-zéro. Analyse. Comment amener Miche sur le lieu de l’auscultation tout en nous tenant, lui et moi, hors de danger du sacrifiable ? »

Pour toute réponse, Vadesh se redressa brusquement et toucha la boîte sans dire un mot. Les rabats se refermèrent l’un après l’autre, la boîte disparut dans le chariot et le chariot derrière la porte au bout de la piste, le tout en une poignée de secondes. Vadesh s’approcha de Miche, le souleva comme une plume et l’allongea sur la table.

« Vous commettez une grave erreur, annonça-t-il d’une voix douce.

— Faites taire le sacrifiable », ordonna Rigg.

Vadesh se tut.

« Faites-le reculer vers le mur. Et qu’il me tourne le dos », ajouta Rigg.

Il préférait le voir sans être vu.

Vadesh s’exécuta.

Impossible de donner des ordres à Vadesh directement, comprenait enfin Rigg. Mais tant que je commanderai aux ordinateurs de bord, il m’obéira.

« Procédez à l’examen de mon ami », ordonna Rigg.

Les bulbes en suspension plongèrent vers Miche. Les bras s’activèrent à une vitesse telle que Rigg eut toutes les peines du monde à les suivre dans leurs manœuvres – de déshabillage pour les uns, de palpation ou d’étude en surface de l’épiderme pour les autres.

Deux des lampes vinrent arroser le crocheface plein feux tandis que les autres poursuivaient l’examen du reste du corps désormais nu du tavernier. Des sondes piochèrent çà et là dans le crocheface pour recueillir quelques échantillons. Le parasite regimba à l’approche des premiers bras puis se rebella au passage des seconds, se courbant vers les importuns dans une vaine manœuvre de harponnage. Les bras rétractaient alors leurs sondes puis contournaient la chose en vue d’un nouvel assaut.

Plusieurs bras tentèrent de soulever les bords du parasite. Miche réagit instantanément, pour la première fois. Il fut pris d’une violente convulsion, comme sous le coup de la surprise. Un cri strident s’échappa de sous le crocheface.

« Peut-il respirer ? s’inquiéta Rigg.

— Les voies respiratoires sont obstruées mais son sang est parfaitement oxygéné, l’informa la voix. Nous avons diagnostiqué la présence irréversible d’un parasite appelé “crocheface”. Ce corps étranger a atteint les couches profondes du cerveau. Son extraction risquerait d’entraîner des lésions graves, voire la mort de votre ami Miche. La fonction d’oxygénation est désormais assurée par le parasite. En l’état, votre ami ne mourra pas. »

Rigg fut tenté d’ordonner « Tuez-les ». Telle serait la dernière volonté de Miche.

Mais la vie du tavernier n’appartenait pas plus à Rigg qu’à Miche lui-même. Flaque aussi avait son mot à dire. Et en de telles circonstances, Rigg doutait que sa décision aurait été de mettre fin aux souffrances de son mari sur-le-champ.

« Si Miche devait mourir, émit Rigg, quelle serait la réaction du crocheface ?

— Un transfert immédiat vers un nouvel hôte viable ou la mort.

— Que savez-vous de ce parasite ? s’enquit Rigg.

— Cent mille générations se sont succédées depuis que le sacrifiable a entrepris leur élevage. Il s’agit d’une souche de type Jonah 7, échantillon 490.