— Qu’espérait le sacrifiable avec cette nouvelle génération ?
— Je ne sais pas. »
Mauvaise formulation.
« En quoi se distingue ce crocheface des souches précédentes ?
— Cela fait désormais huit mille ans que le sacrifiable travaille exclusivement sur la souche Jonah, et trois mille qu’a été développé Jonah 7. Cette génération diffère des autres types rejetés par sa capacité à atteindre l’âge adulte sans hôte, par sa rapidité de liaison et par son aptitude à reconnaître et à s’interfacer avec le cerveau humain, à adapter son métabolisme au sang humain, tous groupes sanguins confondus, et à prendre le contrôle des fonctions supérieures du cerveau humain et du rachis. »
Rigg procéda à un rapide examen de la situation. Vadesh pensait la symbiose entre crochefaces et humains bénéfique, notamment du point de vue de ses vertus civilisatrices.
« 7-B-B-5-5, reprit Rigg. Prévision. Qu’adviendra-t-il de Miche en l’état actuel des choses ?
— Il survivra.
— Mais encore.
— Jonah 7 n’a jamais été testé sur des humains. Aucune donnée n’est disponible.
— Vadesh avait bien une idée derrière la tête, non ?
— Vadesh est mort. »
Rigg se tourna vers le sacrifiable.
« Il ne peut pas mourir. À moins que je ne me trompe ?
— Vous appelez ce sacrifiable Vadesh. Vous avez raison, il ne peut pas mourir.
— De qui parliez-vous, quand vous avez dit “Vadesh est mort” ? »
— Du fondateur de cette colonie. Les sacrifiables prennent le nom de leur entremur. Nous sommes dans celui de Vadesh. Je vous avais mal compris. Non, je ne sais pas quel était le but de Vadesh. Il nous utilisait pour du stockage de données et des analyses de base uniquement. Il n’a jamais discuté ou partagé ses projets avec nous.
— Miche est-il en sécurité ici ?
— Il aura besoin d’être nourri d’ici quelques heures. Désirez-vous que je l’alimente ?
— Oui, confirma Rigg.
— Évacuation des scories ? »
Rigg répondit par l’affirmative. Des bras procédèrent en un éclair à l’intubation de Miche et à la pose expresse de perfusions.
« Pouvez-vous garder ce sacrifiable ici, et immobile ?
— Oui.
— Pendant combien de temps ?
— Pour l’éternité.
— Alors faites, jusqu’à contrordre de ma part.
— Reçu.
— Maintenant, répondez-moi : m’obéissez-vous parce que je connais les codes ou parce que je possède les pierres ?
— Quelles pierres ? » demanda le sacrifiable.
Rigg ouvrit la main. Une lampe vint éclairer les gemmes, une sonde les étudier.
« Il s’agit des pierres du module de commande, énonça la voix. La larme bleu clair commande le vaisseau de l’entremur de Ram. La jaune pâle, celui de Vadesh.
— Mais, au moment où je vous parle, c’est bien à mon langage de commandement que vous obéissez, non ?
— Vous avez prononcé les codes, répliqua la voix. Vous êtes commandant adjoint.
— Adjoint, répéta Rigg. Oui est le commandant en chef ?
— Ram Odin, débita la voix. Le commandant est décédé.
— Donc, en qualité de commandant adjoint, je suis seul maître à bord, exact ?
— À moins qu’une autre personne ne connaisse les codes.
— Vadesh les connaît-il ? Le sacrifiable ?
— Je sais désormais qui répond au nom de Vadesh. Oui, il connaît les codes.
— Peut-il en faire usage pour reprendre le commandement ? »
Une pointe de vexation sembla poindre dans la réponse.
« Les sacrifiables ne nous contrôlent pas. Nous les contrôlons.
— À peu près, observa Rigg.
— Votre jugement est faussé, grésilla la voix. Les sacrifiables sont conçus pour disposer d’une liberté de mouvement et de jugement totale. Ils peuvent exploiter nos données mais nous ne nous ingérons jamais dans leurs décisions, sauf si un humain habilité nous en donne l’ordre.
— Vadesh nous a dit qu’il s’agissait de la salle des commandes, poursuivit Rigg.
— Il a menti.
— Existe-t-il une telle salle ? Un endroit où utiliser ces pierres ?
— Oui.
— Pouvez-vous m’y emmener ? »
Vadesh sortit de sa torpeur, se détourna du mur et prit la direction de la porte par laquelle ils étaient entrés.
« Suivez le sacrifiable », indiqua la voix.
Rigg lança un ultime regard vers Miche, allongé sur la table, perfusé de partout, le visage mangé par le crocheface. Il suivit Vadesh dans le couloir.
Chapitre 7
Prise de contrôle
Ils arrivèrent cette fois dans une vraie salle des commandes – pas dans une salle d’opération présentée comme telle par un sacrifiable peu scrupuleux de la vérité. Au centre de la pièce trônait un fauteuil porté par un bras multidirectionnel. Trois consoles lui faisaient face. Vadesh avait dit vrai sur un point au moins : une était dédiée à la navigation, une aux indicateurs vitaux des passagers et aux organes internes du vaisseau et la dernière à la génération et au contrôle des champs, Mur compris.
Rigg s’installa dans le fauteuil, que chaque commande positionnait devant la console voulue. Il commença par le commencement.
« Que suis-je censé faire avec les pierres ?
— Quel vaisseau désirez-vous contrôler ? s’enquit la voix.
— Celui-ci. »
Se conformant aux instructions du vaisseau, Rigg inséra la pierre jaune pâle dans un logement circulaire, sur un côté de la console de commande des champs. La pierre se mit à luire puis à léviter en rotation sur elle-même.
« Vous êtes confirmé dans vos fonctions de commandant, affirma la voix.
— Confirmé ?
— Votre fonction n’était que provisoire, précisa la voix. Vous pouvez désormais dicter vos ordres depuis n’importe quelle section du vaisseau.
— Et si quelqu’un s’amusait à remplacer ma pierre par celle d’un entremur voisin ? s’enquit Rigg.
— Impossible. Il n’existe qu’une pierre par vaisseau. »
Rigg soupira. Vadesh n’en était pas à son premier mensonge.
« Comment expliquer la présence des dix-neuf pierres dans l’entremur de Ram ?
— Il les a demandées, les sacrifiables les lui ont apportées. »
Même Vadesh ?
« Comment les a-t-il convaincus ? s’enquit Rigg.
— En leur parlant de vous, rétorqua la voix.
— De moi ? Mais à cet âge, j’étais un garçon comme les autres ! Même Umbo maîtrisait mieux son pouvoir que moi, à l’époque.
— Votre formation avait débuté, poursuivit la voix.
— On ne m’a pas formé à commander un vaisseau, en tout cas.
— Exact. Vous avez été formé à préparer le peuple du Jardin pour sa rencontre avec celui de la Terre. »
Rigg frémit, comme si un vent glacial s’était invité dans la cabine.
« Dois-je comprendre qu’ils arrivent ?
— Tout porte à le croire.
— Comment en être sûr ? Avez-vous reçu un signal de leur part ?
— La distance qui nous sépare d’eux est telle que leurs signaux mettraient des années à nous parvenir. En admettant qu’ils nous en adressent.
— Avez-vous repéré un vaisseau en approche ?
— Selon nos hypothèses, les ingénieurs ne reproduiront pas deux fois leurs erreurs de conception. Nos successeurs seront donc capables d’effectuer le saut sans risque de duplication. Sur Terre, cela fait onze ans que notre vaisseau a quitté le système solaire. Nous ignorons encore combien de temps il leur faudra pour corriger leurs erreurs, construire un nouveau vaisseau et traverser l’espace jusqu’à nous mais onze années nous paraissent une durée raisonnable pour une telle entreprise. Ils ne devraient plus tarder.