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— C’était qui, ça ? frémit Umbo.

— Le vaisseau, le rassura Rigg. Et pour quelle raison ?

— Vous y serez en sécurité, expliqua la voix.

— Dans ce cas je vote pour, décida Rigg.

— Peut-on lui faire confiance ? chercha à s’assurer Olivenko.

— C’est grâce à lui si Vadesh m’obéit, indiqua Rigg. Et le Mur aussi.

— Vadesh a fait croire qu’il était à tes ordres dès le départ, fit remarquer Umbo, et regarde où cela nous a menés.

— En ce qui concerne le vaisseau, nous saurons s’il a menti une fois au Mur, pas avant.

— Comment un vaisseau peut-il parler ? s’étonna Param.

— Ce sont des technologies d’un autre temps, expliqua Olivenko. Ton père avait lu des choses à leur propos. Des machines parlantes mais dénuées d’âme. »

Param laissa errer son regard parmi l’assemblée d’engins réunis autour d’eux, se demandant si l’un d’eux allait soudain prendre la parole.

« Peux-tu nous indiquer l’itinéraire à suivre pour atteindre cet entremur ? s’enquit Rigg.

— Plein est, renifla Umbo, un brin moqueur.

— La route de l’est est barrée par une chaîne de hautes montagnes, l’affranchit Rigg. Partout où se sont écrasés les vaisseaux se dressent désormais des falaises infranchissables. Comme le Surplomb.

— Il n’existe aucune route qui parte dans cette direction, indiqua la voix. Contournez les montagnes par le sud. Ensuite, mettez cap à l’est vers la mer. Le Mur qui la borde est la porte d’entrée vers l’entremur d’Odin.

— Habité par un sacrifiable nommé Odin, présuma Olivenko. Un menteur de la pire espèce, lui aussi ?

— Comme tous les autres, grinça Rigg. Des machines qui savent parler le sont par définition.

— Soit, décida Olivenko. Alors faisons le plein de vivres et mettons-nous en route. Plus tôt nous partirons, plus tôt nous serons renseignés sur les pièges que nous a tendus ce pantin de ferraille. »

Ni Rigg ni le vaisseau ne surent que répondre à cela.

« Et Miche, que fait-on de lui ? s’inquiéta Umbo.

— On l’emmène avec nous, rétorqua Rigg.

— Je peux rester ici avec lui s’il le faut, se proposa Umbo.

— Il décidera de lui-même, trancha Rigg. S’il ne bouge pas, alors reste.

— Mais dans ce cas, on risque de se retrouver coincés ici… » présagea le jeune cordonnier.

Rigg hésita une seconde.

« À deux, vous n’avez pas besoin de moi pour traverser, concéda-t-il enfin.

— Hein ? Depuis quand ? s’étonna Olivenko.

— Depuis que j’en ai donné l’ordre au vaisseau, l’informa Rigg.

— À deux, mais pas seul », releva Umbo.

L’embarras de Rigg n’échappa pas à Param. Sa raideur non plus, au moment de reprendre la parole.

« Non, pas seul. C’est trop dangereux.

— Et si toi, tu veux traverser seul ? » s’enquit Umbo.

Rigg soupira.

« Oui, moi je peux. »

Umbo ne cacha pas sa colère – légitime aux yeux de Param. Rigg imposait ses propres règles, injustes de surcroît : à lui la liberté, aux autres la dépendance.

Olivenko désamorça rapidement la situation.

« Ce ne sont ni mes pierres, ni les vôtres, mais les siennes, argua-t-il. Personnellement, je n’ai aucune intention de traverser le Mur seul, et donc aucune raison d’en vouloir à qui que ce soit de m’empêcher de le faire. Si ça gêne quelqu’un, qu’il lève le doigt. Sinon, allons manger. »

Il se leva.

Param l’imita. Par ce geste, elle appuyait tacitement la décision du garde, mais n’en prit conscience qu’une fois debout.

Mais… quelle décision avait-il prise au juste ? Celle de partir en quête de nourriture, pour commencer. Et ensuite, celle de se plier aux règles de Rigg.

Restait à savoir qui de son frère ou d’Olivenko assurait désormais la conduite de l’expédition.

Chapitre 9

Responsabilités

Rigg vécut ce départ en terre inconnue comme un soulagement, un retour sur son fief : celui des grandes échappées vécues autrefois au quotidien avec Père. Et même s’il s’attendait presque à entendre résonner dans les airs une des sempiternelles questions de son paternel, le silence de ses compagnons ne lui était pas désagréable.

Le confort d’une marche tranquille, sans meute sanguinaire sur les talons, lui convenait aussi parfaitement. Bien sûr, le trajet ne manquait pas d’embûches – à commencer par ces crochefaces tapis à chaque cours d’eau. Mais il avait été simple de les déjouer, en remplissant leurs timbales nouées au bout de branches fines, puis en faisant bouillir l’eau avant de la transvaser dans leurs gourdes. L’opération prenait du temps, mais de cela non plus, ils ne manquaient pas. Aucun prédateur de taille inquiétante ne rôdait alentour ; Rigg aurait senti sa trace. Quant aux plantes vénéneuses et insectes venimeux, il suffisait à chacun d’ouvrir l’œil et le bon, et tout se passerait bien.

Le plus surprenant restait l’absence totale de traces humaines. Plus ils s’éloignaient de la ville de Vadesh, plus rares elles se faisaient. Après quelques heures de marche à peine, même celles datant de dix mille ans avaient disparu. De temps à autre en apparaissait tout au plus une, sans âge, laissée par quelque chasseur des temps anciens, avant que crochefaces et humains ne s’entretuent.

Rigg foulait pour la première fois de sa vie un sol vierge de tout passé humain. Il avait déjà entendu des gens dire « J’avais l’impression d’être le premier à marcher ici », en référence à une forêt ou à une plaine inaccessibles, mais les endroits préservés de l’Homme n’étaient qu’utopies dans l’entremur de Ram, Rigg ne le savait que trop bien.

Pas dans cet entremur-ci. Jamais regard humain ne s’était posé sur ces paysages, jamais pied botté n’avait gravi ces collines, descendu ces vallons, grimpé ces rochers. Rigg se sentait tiraillé entre la fierté de faire connaître à ces lieux leurs premières traces humaines et la honte de souiller leur virginité. Car dans le sillage de leur cortège luisaient désormais cinq traces éclatantes de vie.

Une voix venait parfois rompre le silence, celle d’Olivenko discutant avec Param ou Umbo, ou questionnant Rigg. Celle de la princesse aussi qui, quoique stoïque dans l’effort, finissait toujours par requérir une pause. Ces marches de plusieurs heures par monts et par vaux entrecoupées d’escalade l’épuisaient.

Chaque pause était mise à profit par Rigg pour faire le plein d’eau. La faune indigène semblait avoir cartographié les zones contaminées à éviter à tout prix. Aux sources éprouvées, celles où les animaux semblaient s’abreuver sans crainte depuis longtemps, Rigg osa jouer les goûteurs sans stérilisation préalable. Il y survécut. Lors des pauses un peu plus longues, ou des haltes nocturnes, le jeune trappeur posait des collets à proximité des traces animales, pour agrémenter leurs petits déjeuners d’une ration de protéines. Il sanglait les carcasses sur son dos pour qu’elles se vident pendant la journée, puis laissait à Olivenko et Umbo le soin de les cuisiner le soir, pendant que lui partait piéger de nouvelles bêtes. Il cueillait également des noix, des baies, arrachait des racines comestibles – de quoi égayer un peu le contenu des gamelles. Cinq bouches demandaient un peu plus d’efforts que deux à nourrir, mais guère plus, et Rigg ressentait une certaine fierté de savoir ses compagnons repus sous sa tutelle.

Il s’inquiétait néanmoins pour sa sœur. Param n’avait jamais grimpé plus qu’un escabeau et ses semelles bâillaient déjà au bout de ses souliers. Il mit de côté plusieurs peaux pour lui confectionner une paire de mocassins. Il avait également remarqué sa répugnance à marcher dans son dos – probablement dégoûtée par la vue et la pestilence des cadavres d’animaux jetés en travers de ses épaules. Elle découvrait qu’avant d’être mangées les pauvres bêtes devaient passer par le fil de sa lame, et à quel point une carcasse pouvait ressembler à l’animal vivant, sans la tête ni la peau. Si la vue lui déplaisait, autant lui éviter. La dure réalité du cycle de la vie s’imposerait à elle bien assez tôt.