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Arrivé sur le lieu de leur séparation, il en eut confirmation : les quatre traces repartaient vers le Mur.

Soit. Quelles responsabilités endosser désormais ? Ils n’avaient rien tenté pour le suivre. Il ne faisait plus partie de leurs plans. Leur courir après serait considéré comme une capitulation.

Ne pas le faire, comme une non-assistance à personne en danger.

Quel meneur d’hommes laisserait ses troupes à l’abandon ?

Mais comment se définir comme tel s’il cédait à leurs caprices ?

Il prit la direction du Mur.

Puis il changea d’avis et reprit son ascension dans l’autre sens.

Puis s’arrêta au souvenir de Miche, qui n’avait pas eu le choix, lui. Il redescendit.

Quelque chose se chargea soudain de décider pour lui : une forme brillante, volante, surgie sans prévenir de la crête plus haut. La chose survola rapidement une zone d’arbres et fonça dans sa direction.

Un des véhicules du vaisseau de Vadesh. Pas la carriole du tunnel, mais une technologie similaire, de même culture. Un objet volant. Un vaisseau ? Non, trop petit et de conception trop frêle pour survivre aux épreuves de l’immensité intersidérale que Père lui avait décrite.

Père avait un jour évoqué la notion de « voyage spatial ». Comme cela, en passant. Il avait alors donné l’impression de parler d’une chimère, mais s’était suffisamment attardé sur les détails pour que Rigg en ait gardé des souvenirs intacts. Et cette chose n’était pas un vaisseau. Combien d’autres enseignements de Père s’étaient heurtés au scepticisme de Rigg ?

Tous, finalement. Rigg n’avait jamais mesuré leur portée.

La machine volante finit par se poser dans le champ à côté de lui.

Une porte latérale s’ouvrit et Vadesh en sortit.

« Que faites-vous ici ? l’interrogea Rigg.

— Vos compagnons m’ont appelé.

— Ils ne sont pas ici.

— Je sais, confia Vadesh. Je les ai récupérés.

— Ils sont saufs, très bien. Je peux repartir l’esprit tranquille.

— Vous n’avez aucune raison de continuer à pied, l’arrêta Vadesh. Laissez-moi vous emmener.

— Vous ne m’inspirez aucune confiance, refusa Rigg.

— Cet aéronef obéit au vaisseau, qui vous obéit, tenta de le convaincre Vadesh. Tout comme moi, maintenant.

— Maintenant que vous avez condamné mon ami, rétorqua Rigg.

— Montez à bord, je vous prie, l’invita le sacrifiable. L’entremur d’Odin nous attend.

— C’est vers celui de Ram que se dirigeaient les autres, fit remarquer Rigg. Déposez-les là-bas. Moi, je reste ici.

— Ils ont changé d’avis, soutint Vadesh.

— Qu’ils me le disent eux-mêmes, dans ce cas. Vous êtes leur porte-parole ? »

Vadesh fit volte-face et retourna sans un mot dans la carlingue du véhicule.

Rigg prit conscience de son ridicule. Quel enfant ! Exiger des autres une invitation à les rejoindre en bonne et due forme ! Il ne voulait pas être leur chef, et eux n’en voulaient pas comme chef. Pourquoi empêcher Vadesh de leur rendre service, si tel était leur souhait ?

Rigg traversa le champ en direction de l’est, remontant la sente battue par leurs nombreux passages.

« Rigg ! Attends ! » l’appela soudain Olivenko en se précipitant hors de l’appareil.

Rigg poursuivit sa route en secouant la tête. Il se sentait ridicule. Et rien n’y changerait. Chaque heure passée seul n’avait fait qu’épaissir un peu plus le mur qui le séparait désormais d’eux. Ils le haïssaient. Il faisait de son mieux et ils lui en voulaient pour ça. Ils pouvaient aller se faire voir. Ce mur était très bien à sa place.

Comment, dans ce cas, expliquer les larmes sur ses joues ?

« Attends, s’il te plaît », insista Olivenko.

Rigg l’entendit piétiner les hautes herbes derrière lui.

Olivenko est mon ami, tenta de se convaincre Rigg. Non. Un ami m’aurait appuyé quand la crise a éclaté.

« S’il te plaît, répéta Olivenko. Je comprends ta colère, tu es dans ton bon droit. Mais ce n’est pas une raison pour refuser l’offre de Vadesh. Viens, monte avec nous ! À part Umbo qui a vomi au décollage, on a tous trouvé ça génial. »

Tant mieux pour vous, songea Rigg tout en continuant à marcher.

« Vadesh dit qu’on sera à l’entremur d’Odin bien avant la nuit. À pied, on en a pour trois semaines. Nous, en tout cas. On n’a pas ton rythme. »

Rigg s’arrêta sans vraiment l’avoir décidé. Olivenko se tenait désormais à son côté. Ils avaient atteint le bout du champ. Rigg se retourna pour faire face à l’homme que son vrai père considérait autrefois comme un ami.

« J’aimerais ne pas vous avoir emmenés dans cette galère.

— J’ai le vague souvenir de Miche et moi en train de t’emmener, toi, de ce côté-ci du Mur. Si mes souvenirs sont exacts.

— Tout a commencé par ma ridicule envie de vendre cette pierre à O.

— Tout a commencé par l’arrivée sur cette planète de vaisseaux en provenance d’un monde appelé Terre. Tu n’es pas responsable de ça, si ?

— J’ai multiplié les mauvais choix.

— Arrête de te flageller, tu veux, insista Olivenko. Les sacrifiables sont la cause de tout. Ils ont fait du monde ce qu’il est aujourd’hui.

— L’un d’eux est supposé m’obéir.

— Tout ceci est une farce ! estima Olivenko. Tu ne sais que ce qu’ils veulent bien te dire. Ce sont eux qui commandent à distance. »

Rigg avait tenu ces mêmes propos, à peu de chose près, à l’ordinateur du vaisseau. Il se sentit soulagé d’entendre Olivenko partager son avis.

« Je suis censé diriger les autres mais je tâtonne à l’aveuglette.

— Tu n’as pas été choisi comme chef de groupe pour ta clairvoyance.

— Pour quelle raison, alors ? Pour mes parents, le roi et la reine déchus de l’empire sessamide ? Parce qu’un sacrifiable répondant au nom de Père nous a appris, à Param et à moi, à faire joujou avec le temps ?

— Un peu de chaque, j’imagine, répliqua Olivenko. Et aussi parce que ce père-là t’a initié aux choses de la finance, de la nature humaine, des langues, du pouvoir.

— Il m’a appris à faire le beau, comme un gentil toutou, oui.

— Il a fait de toi un guerrier ! poursuivit Olivenko. Miche et moi, nous avons été entraînés à la dure, nous aussi. Mais regarde comme on est différents. Comme on était différents. Avant que ce foutu parasite lui saute dessus. Lui était un vrai soldat. Moi, ce sont les livres qui m’intéressent. Je ne suis devenu soldat que par nécessité, et parce que j’avais le physique de l’emploi.

— Miche est tavernier, corrigea Rigg.

— Tu es le meneur naturel de notre groupe, c’est ça que j’essaie de te faire comprendre, reprit Olivenko. Ce qu’on t’inculque, voilà ce qui importe, et Ram le savait. Pourquoi toi et pas un autre ? Pourquoi pas Param ou Umbo ? C’était une machine. Il ne t’a pas préparé par amour. »

Non, pas par amour – difficile de le nier. Mais que la vérité était dure à entendre. Père ne m’a jamais aimé car il était incapable d’amour.

Hormis l’amitié d’Umbo et l’affection rugueuse de Nox, bien loin de ma conception de l’amour, personne ne m’a jamais aimé. Dieu que j’aurais voulu, pourtant. J’espérais secrètement de Père un geste de tendresse, une déclaration de son amour paternel. Mais l’aurait-il faite, je sais aujourd’hui qu’elle n’aurait été qu’un stratagème de plus pour parvenir à ses fins.

« Me suivre serait une erreur, confia Rigg. Je suis le pur produit de ces machines. J’en suis une moi-même. Tout n’était qu’illusion, mais je ressens encore aujourd’hui le poids des responsabilités. Le besoin de mener à bien la mission confiée par ces sacrifiables. C’est une raison suffisante pour choisir quelqu’un d’autre.