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— Et nous, crois-tu que nous soyons des machines ? questionna Olivenko. Nous aussi, nous t’avons choisi.

— Choisi ? s’étrangla Rigg. Param a fui, sans quoi elle serait tombée sous les coups de Mère et du Général Citoyen. Umbo et Miche ont…

— Fait le choix de te suivre à Aressa Sessamo…

— … Tenté de récupérer la pierre vendue par ma faute.

— Pour essayer de te sauver, si tu veux bien me laisser finir. Et sa vente n’avait rien d’une faute. Ram l’avait calculée, comme la suite. Ton retour inattendu sur le devant de la scène, ta rencontre avec ton vrai destin. Tu es le roi de l’entremur de Ram par héritage.

— C’est Param qui en est la reine.

— Param est une adorable demoiselle, mais que sa mère a volontairement couvée quand Ram t’initiait aux arcanes du pouvoir et de l’intrigue. Elle a passé sa vie dans une douce retraite. Du sang royal coule dans ses veines, certes, mais elle n’a pas l’étoffe d’une reine.

— Elle a les armes pour.

— Encore faut-il savoir en faire usage. Écoute-moi, Rigg. Umbo t’en veut, et deux fois plutôt qu’une. Mais c’est un ami fidèle ; sa rancœur sera bientôt de l’histoire ancienne, fais-moi confiance. Une chose est sûre : personne ne le suivra dans la tempête, pas plus que Param. Et moi, qui suis-je à leurs yeux ?

— Celui qui a eu la mauvaise idée de tendre une main secourable au prisonnier que j’étais. La première personne que j’ai eue envie d’appeler à la rescousse quand les choses ont mal tourné.

— Mais j’étais libre de t’aider ou non, rappela Olivenko. Et je t’ai choisi, comme tous les autres. Quelle obligation avaient Miche et Umbo de t’accompagner à O ?

— C’était ça ou un savon de Flaque.

— Miche est aussi libre que moi. Enfin, était, rectifia Olivenko. Param aurait pu t’échapper indéfiniment. Nous t’avons tous choisi.

— Vous avez également tous choisi de ne pas me suivre dans la pente.

— Param était exténuée, Umbo déprimé, j’ai pris fait et cause pour eux. Ils étaient en rébellion. Tu as continué, à juste titre. Mais Miche n’était pas en état d’aider. Je me devais de les protéger jusqu’à ton retour.

— Tu savais que je reviendrais ?

— Tu as le sens des responsabilités, Rigg, le flatta Olivenko. Tu n’as pas encore compris ? Tu es ainsi fait. C’est pour cela qu’on te suit. Et aujourd’hui, tu as entre les mains l’avenir du Jardin, mais aussi le nôtre. Je savais que tu ne sacrifierais pas l’un pour l’autre. Et donc que tu reviendrais, oui.

— Mais vous n’étiez plus là à mon retour.

— Vadesh était déjà passé.

— Mais pourquoi ne pas avoir essayé de me rattraper ? l’interrogea Rigg. J’aurais pu vous retrouver à vos traces.

— C’était trop tôt. Nous avions faim et rien d’autre à manger que des noix et quelques baies. Nous ne savions même pas à quelle source boire. Umbo persistait à rejeter la faute sur les autres – le garçon est plus fier qu’un coq. Mais Param s’en est rapidement voulu, de sa faiblesse, de son indécision, de ses plaintes qui avaient causé la zizanie dans le groupe. »

Rigg le crut sur parole. Sa sœur cultivait un certain tropisme pour l’autocritique – un de ses points faibles, par ailleurs.

Un des miens également, admit-il en lui-même.

« Tu essaies de me persuader que j’ai tout à gagner en vous suivant à bord, le sonda Rigg.

— C’est l’idée, confia Olivenko. Convaincu ?

— Convaincu de te laisser prendre le groupe en main, oui.

— Impossible.

— C’était impossible tant que Miche était encore lui-même, car il n’aurait jamais suivi un garde. Mais maintenant, arrête de te mentir, Olivenko. Tu es le seul adulte qui reste. Et le seul qui soit venu à ma rencontre pour essayer de sauver le groupe. Ce sont des signes qui ne trompent pas… »

Olivenko haussa les épaules.

« Soit, admettons. Je suis votre nouveau chef. Est-ce que tu nous suis au Mur à bord de ce truc volant ? Ou es-tu trop fier pour rentrer dans le rang et te laisser diriger, comme Umbo ?

— Donc, tu admets…

— J’admets te donner à l’instant même le meilleur conseil qui soit. Et j’admets que si tu le suis, alors oui, et pour cette fois seulement, c’est moi qui commande. Bien stupide le chef qui ne sait se rallier à la cause la plus sage. »

Rigg savait qu’Olivenko avait raison. Sur tout. L’éducation, les prédispositions, l’extraction même de Rigg en avaient fait un meneur. Quant à Olivenko, son bon sens en faisait un précieux suppléant.

Alors pourquoi vivre comme un cuisant échec et une humiliation la simple idée de monter à bord retrouver un groupe dont il avait été banni ? Pourquoi sentir naître en lui une furieuse envie de leur passer le goût de recommencer, de punir leur stupide mutinerie ? De hurler sa frustration et son besoin de solitude ? De fuir à tout jamais. Ils avaient intérêt à admettre leurs torts et à lui demander pardon. Sans pour autant parler de soumission, non. Juste de confiance. D’amitié. Des choses simples, mais qu’on lui avait toujours refusées.

Bref, aujourd’hui, c’était à lui de prendre soin de ces gens qui avaient remis leur vie entre ses mains sur la route d’Aressa Sessamo, puis lors de la traversée du Mur. Que valait l’amertume de ces dernières heures face à leur indéfectible fidélité, et à l’ampleur de la tâche à venir ? Rien. Les humeurs n’étaient que mensonges éphémères. Le plus sage était de les ignorer. Et de se recentrer sur le plus important.

Rigg céda.

« Merci d’avoir su trouver les mots. Je ne sais pas si j’en aurais fait autant », conclut-il en prenant Olivenko par le bras.

Il se dirigea vers l’aéronef, le garde à ses côtés, un peu en retrait.

Il monta, prit place sur un fauteuil et regarda tour à tour Param, Umbo. Et enfin Olivenko, quand ce dernier se fut assis.

« Merci d’être venus me chercher, commença-t-il. Mon comportement est inadmissible. J’ai voulu me racheter, mais un peu tard.

— Tout est pardonné », lui accorda Umbo froidement.

Sa réponse froissa Rigg. Son ami aurait pu s’excuser, plutôt que de lui donner l’absolution.

Param posa sur lui une main affectueuse.

« J’avais besoin de mon frère, pas de repos », murmura-t-elle.

Sa sœur n’aurait pu viser plus juste. Cette parole réconfortante, ce simple geste de tendresse signifiait tout pour lui : Quelqu’un a besoin de moi. Rigg était requinqué. Son destin l’attendait.

« Alors allons-y ! annonça-t-il. Comment va Miche ?

— Statu quo, répliqua Umbo.

— Objection, intervint Vadesh. Il est plus fort, plus affûté et en meilleure santé. Son compagnon s’occupe de le mettre dans les meilleures disposi…

— Silence, le coupa sèchement Rigg. Emmenez-nous au Mur. »

Chapitre 10

Pressentiment

Rigg passa les premières minutes de vol le front collé au hublot, fasciné par le défilé de forêts et de collines en contrebas. L’impénétrable chaos de verdure qui lui avait donné tant de mal dans sa progression se réduisait, vu du ciel, à quelques doux coussins émeraude, moelleux comme des nuages.

La canopée lui révélait enfin le secret de sa vie animale, tissée en une toile de traces multicolores dont une récente, humaine, venait rehausser l’éclat : la sienne. Puis ils passèrent l’endroit atteint avant son demi-tour, et toute trace humaine disparut.