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— Pour quoi faire ? interrogea Miche. Je n’ai jamais si bien vu. Leurs visages, leurs mains, leurs habits, je distingue tout. Et ils n’ont pas d’armes. Aucun d’eux. Seulement des sourires, de l’intérêt et de l’excitation.

— Tu peux voir ça ? s’étonna Olivenko.

— Aussi bien que toi avec tes yeux de soldat, rétorqua Miche, ce qui constituait certainement le seul compliment du tavernier à l’égard du garde depuis leur rencontre. Le crocheface m’a clarifié les sens. Un peu trop, même, au début. Il essayait de me faire plier. De me manipuler. Mais je me suis rebellé. Je l’ai dompté. Ma vue et mon ouïe n’ont jamais été si perçantes, mon odorat si fin. Le crocheface m’aide à faire le tri. C’est un don du ciel.

— Alors, qu’est-ce que je vous disais ? plastronna Vadesh. Merci qui ?

— Les premiers crochefaces faisaient probablement le même effet à leurs victimes », grinça Umbo.

Il s’éloigna de Miche. Des semaines durant, il avait tenu la main du tavernier, avait été ses yeux et ses oreilles. Il se sentait trahi.

« Nous aurons tout le loisir de nous intéresser au cas de Miche plus tard, les pressa Rigg. Mais dans l’immédiat, parons au plus urgent : ces quelques centaines de personnes en face.

— Ces trois mille deux cent vingt personnes, en comptant les bébés, corrigea Miche.

— Tu les as comptés ?

— Ceux que je vois, confirma Miche. Il y en a d’autres derrière la colline. Plusieurs sont allés et venus dans la foule depuis notre arrivée.

— Une estimation à la louche, supposa Param.

— Un compte exact, persista Miche. Avec celui qui vient de partir, ça nous fait trois mille deux cent dix-neuf.

— En comptant les bébés, plaisanta Olivenko.

— Les nombres qu’inventent les menteurs se terminent rarement par cinq ou zéro, fit remarquer Rigg. Mais dans la réalité, cette probabilité est de vingt pourcents.

— Donc tu le crois, en déduisit Param.

— Je vois des centaines de traces, poursuivit Rigg. Sur et derrière la colline. Je n’ai aucune raison de ne pas le croire. On a tous vu ces combattants dans la bataille. Leur précision, leur agilité. Il ne fait aucun doute que les parasites aiguisent les sens de ceux qui les portent.

— De ceux qu’ils contrôlent, tu veux dire, nuança Umbo.

— Miche prétend ne pas l’être, poursuivit Rigg. Pourquoi remettre sa parole en doute ?

— Donc tu vas te contenter de gober ses histoires en attendant qu’il nous contamine ? s’inquiéta Param.

— Loin de moi cette intention, intervint Miche.

— D’autant qu’ils ne se reproduisent pas ainsi, rappela Vadesh.

— Vous ignorez tout d’eux, asséna Miche. Des milliers d’années d’études, et vous ne savez toujours pas qu’en moins de quinze minutes leurs spores sont prêtes à l’essaimage.

— Pure invention ! se défendit Vadesh. Humains et crochefaces ne communiquent pas, comment le sauriez-vous ?

— Il serait intéressant de vous disséquer, vous, au scalpel, pour vérifier ce que vous savez, le menaça Miche. Quel gâchis, tant d’intelligence dans une simple machine. »

Vadesh encaissa sans broncher.

« Je n’ai aucune envie de traverser maintenant, avec toute cette foule derrière, reprit Rigg.

— Alors ne traverse pas, suggéra Param.

— On est venus pour ça, intervint Umbo.

— Je la refais : ne traverse pas avec cette foule derrière, répéta Param.

— Tu penses qu’ils vont se lasser de nous attendre ? » s’enquit Olivenko.

Param lui jeta un regard ahuri.

« Ce qu’elle veut dire, le secourut Umbo, c’est que nous devrions traverser avant leur arrivée. »

Rigg étudia un instant les différents motifs de traces en face.

« Ils ne sont là que depuis quelques jours.

— Et ? réagit Param. Revenons de dix ans en arrière et le problème sera réglé. »

L’idée plut à Rigg.

« Pourquoi pas ? On ignore tout de l’arrivée des prochains Terriens. Dix années nous suffiront amplement pour explorer les autres entremurs et élaborer une stratégie de défense. »

Vadesh doucha immédiatement leur enthousiasme.

« Les Murs ne vous obéissent que depuis dix-neuf jours. Un retour dans le temps avant cette date vous ferait perdre ce contrôle, ce qui vous contraindrait à rééditer votre traversée de l’entremur de Ram à celui de Vadesh. »

Il n’en fallut pas plus à Rigg pour revivre les affres du désespoir, l’horreur absolue, l’agonie des interminables minutes passées entre les griffes du Mur.

« Cette fois, nous n’aurions pas le Général Citoyen à nos trousses, fit remarquer Param.

— Et vous savez désormais comment quitter le présent et y revenir sans moi, ajouta Umbo.

— Gardons cette idée dans un coin de nos têtes, proposa Rigg. On aura le temps de retarder notre confrontation avec les Terriens plus tard. Mais pour l’instant, traversons le Mur pendant qu’il en est encore temps.

— N’oubliez pas de vous calibrer sur dix-neuf jours, qu’on évite la foule, leur rappela Olivenko.

— Ce n’est pas si simple, fit remarquer Umbo. Je n’ai jamais eu une telle précision, moi.

— Moi non plus, confirma Rigg. Il faudrait qu’une date soit tamponnée sur les traces… »

Mais à peine cette remarque formulée, Rigg imagina une solution possible. Le jour où les traces lui avaient révélé leur vraie nature – celle de créatures du passé en perpétuel mouvement – Rigg jouait les équilibristes au bord d’un précipice, où il venait de rencontrer Umbo. Dans la panique, celui qui n’était encore alors qu’un inconnu avait suspendu le cours du temps et fait émerger des silhouettes des traces. Ne pouvaient-ils simplement reproduire ce miracle en remontant le temps à rebours, trace par trace, d’une journée à la fois ? D’un animal à l’autre, Rigg devrait pouvoir atteindre sa destination. Il ne lui resterait alors plus qu’à s’y ancrer pour amener à lui le groupe entier.

« Tu as une idée, sentit Olivenko.

— Oui, acquiesça Rigg. Prenez-moi la main.

— Pas si vite, les arrêta Vadesh. Montez dans l’aéronef, que je vous accompagne. Le véhicule me sera utile. »

Rigg lui jeta un regard noir.

« Nous n’avons pas besoin de vous. Et je préfère vous savoir dans le présent, après les événements dont vous avez été témoin les jours passés.

— Qu’ai-je vu qui vous effraie tant ?

— La scission de notre groupe, les gens de l’autre côté du Mur, Miche qui a retrouvé l’usage de la parole.

— Que ferais-je de ces informations ? questionna Vadesh. C’est ridicule.

— Plus vous insisterez, plus vos chances de monter à bord seront minces, le menaça Rigg. Votre insistance trahit vos mauvaises intentions. »

Vadesh ne sut que répondre.

Olivenko éclata de rire.

« Alors c’est parti… commença le garde.

— Pour un saut de dix-neuf jours, compléta Rigg.

— Dix-huit », intervint Miche.

Quatre paires d’yeux se tournèrent vers lui.

« J’ai ce masque sur le visage depuis dix-huit jours, ajouta le tavernier. C’est le même jour que tu as pris le contrôle des Murs, non ? »

Les regards convergèrent cette fois vers Vadesh.

« Il ne sait pas ce qu’il dit, se défendit le sacrifiable.

— Vous nous avez menti ! s’emporta Rigg. Vous avez dit dix-neuf jours en espérant qu’on ne verrait rien, tout cela pour reprendre le contrôle des vaisseaux ! »

Vadesh laissa passer l’orage.

« Les sacrifiables… se désola Olivenko. Impossible de leur faire confiance ou même de les détruire.