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— Remontez dans votre engin et repartez d’où vous venez ! » ordonna Rigg.

Vadesh s’exécuta sans discuter. À mi-chemin, il marqua une pause.

« Rigg, si seulement vous…

— Au vaisseau, et sans un mot. Partez. »

Le sacrifiable prit place à bord. Quelques secondes plus tard, l’aéronef vrombissait dans le ciel.

« J’ai peur que nous ayons fait une bourde », estima Umbo.

Comme par hasard, rumina Rigg. Le jour où j’aurai raison avec celui-là…

« Et pourquoi, je te prie ? s’enquit-il en masquant mal son impatience et son énervement.

— Parce qu’on ne lui fera jamais cracher le morceau. Sur sa subite apparition, pile poil au moment où on en avait besoin, alors que tu n’étais plus là.

— Il a raison, l’appuya Olivenko. On pensait que tu l’interrogerais à ce sujet.

— Pourquoi ne m’avoir rien dit ?

— On n’y a pas pensé, admit Param.

— C’est notre faute, ajouta Umbo, pas la tienne.

— Il l’aura senti, simplement… hésita Rigg.

— À moins que, dans une autre version de l’histoire, tu n’aies accepté qu’il nous accompagne ? suggéra Olivenko.

— La seule certitude, c’est qu’il existe effectivement différentes versions des faits, contribua Umbo. Sinon je ne me serais pas interdit de vous suivre dans le tunnel.

— Mais tu n’as pu le faire que parce que tu étais sur place, ajouta Rigg en envisageant tous les futurs possibles.

— Ce qui m’amène à penser, poursuivit Umbo, que c’est sur toi que le crocheface a bondi. Ensuite, impossible pour nous de partir parce que… »

Parce que Rigg était le seul capable d’assurer leur survie pendant un long voyage. Parce que sans Rigg, impossible de désactiver les Murs… Et donc impossible, et inutile de fuir. Pour aller où ?

« Tu n’es donc pas revenu te prévenir d’ici, en déduisit Param. Le futur évité grâce à ton avertissement…

— Si je puis me permettre une hypothèse… intervint Olivenko. À mon avis, dans cette version du futur, nous avons attendu que Rigg reprenne le dessus sur le parasite et nous dise que faire.

— Non, réfuta Rigg. Je n’ai jamais repris le dessus, ou vous n’avez pas attendu que je le fasse. Miche vous a conseillé de repartir dans le passé et nous avons modifié notre ordre de passage dans le vaisseau. Il savait que si nous entrions tous les deux en premier, Vadesh le choisirait comme cobaye pour le mettre hors d’état de nuire.

— Du Miche tout craché, approuva Umbo.

— Il se serait sacrifié ? douta Param.

— J’ai bien fait, déclara Miche.

— Tu as fait le pire des choix, oui, estima Umbo.

— Le meilleur possible, renchérit Miche. Je suis béni des dieux.

— Si seulement on pouvait se débarrasser de cette chose aussi facilement que de Vadesh, regretta Rigg.

— Alors je ne vous laisserais pas vous approcher de moi, prévint Miche. Pour redevenir sourd et muet ? Non merci.

— Dit le crocheface, murmura Umbo.

— Dit l’homme qui ne s’est jamais si bien senti, rayonna Miche.

— Il a bien dit “l’homme” ? s’exclama Param.

— L’appeler autrement serait infamant, plaida Rigg. Que dire dans ce cas d’une personne capable de découper le temps ou de se promener dans le passé ?

— En parlant de passé, si on faisait un petit saut de dix-huit jours en arrière ? s’impatienta Olivenko.

— Dix-sept, par précaution », préféra Umbo.

Il fallut quelques minutes à Rigg pour démêler l’entrelacs de traces animales jusqu’à isoler la bonne, généreusement laissée là par un écureuil. À son signal, toutes les mains se joignirent ; une petite queue touffue décampa bientôt sous leurs yeux.

Ils se tournèrent comme un seul homme vers la colline en face : elle était déserte.

Rigg marcha en direction du Mur jusqu’à pénétrer dans sa zone d’influence. Le champ, pourtant palpable, lui parut à des lieues de là, inoffensif. Il ne le ralentit même pas.

« Vous pouvez y aller », lança-t-il à ses compagnons.

Sa première traversée, Umbo l’avait vécue au côté de Param. Il effectua la seconde en compagnie de Miche. Param ne se sentirait pas abandonnée pour autant. Déjà, elle avait attrapé la main d’Olivenko. Incapable de dissimuler des sentiments inédits pour elle, elle s’offrait à lui, aussi naturellement que n’importe quelle jeune femme envahie de désir.

Le garde ne pouvait y rester insensible. Mais alors que le couple se rapprochait main dans la main de Rigg, Olivenko ne trahissait aucun signe extérieur de rejet ou d’encouragement. Était-il à ce point aveugle ? Ou aussi candide que la princesse, ce qui aurait pu expliquer son flegme devant l’envie manifeste de Param de se coller à lui, comme pour mieux ressentir jusqu’au moindre de ses souffles ?

Et moi, pourquoi ces choses me paraissent-elles si évidentes ? s’étonna Rigg.

Parce que Père m’a appris à ouvrir les yeux. À lire à travers les autres.

Nul besoin de crocheface. Père est là, dans un coin de ma tête.

Chapitre 11

Yahous

Le groupe dévala la combe, franchit à gué un petit ruisseau puis remonta le pâturage d’en face. Umbo se concentra tout le trajet sur le promontoire arboré où, dix-sept jours plus tard, se masserait une foule de curieux. Cela lui évitait le spectacle déprimant de Param et d’Olivenko en pleine parade nuptiale.

Il ne repéra rien de suspect ; lire à travers les branchages n’avait jamais été son fort. Pour cela, il aurait fallu le don de Rigg.

« Tu vois quelqu’un ? le questionna-t-il.

— Il n’y a pas foule, indiqua Rigg. Juste quelques traces, certaines dans des galeries souterraines, assez loin d’ici. Ils nous ont vus arriver de loin. Le bouche-à-oreille a fait le reste. Les gens se sont mis à l’abri toutes affaires cessantes. On peut y aller sereinement.

— Une menace ne se déclare jamais au grand jour, déclara Miche.

— Ça, ce n’est pas du crocheface, reconnut Olivenko. À moins qu’il n’affectionne les vieux dictons de l’armée. »

Umbo se prépara à une riposte cinglante du tavernier. Mais il vit à la place un sourire illuminer son visage.

« Qu’il fait bon se sentir aimé. Pas vrai, Olivenko ? répliqua Miche.

— Par la fesse gauche de Silbom, s’étrangla Umbo. Et ça, c’était du crocheface ?

— Non, du Miche, confirma le tavernier. J’ai toujours caché mon côté sympa par timidité.

— Quelqu’un devant, les coupa Rigg en pointant du doigt un grand arbre au tronc massif, trois cents mètres plus loin.

— Il n’approchera pas tant que le Mur est actif, observa Olivenko.

— Tu le vois bouger ? s’enquit Miche.

— Il grimpe dans l’arbre, indiqua Rigg.

— Je l’ai, signala Miche. Il est tout nu. »

Umbo ne voyait personne.

« Tu as remercié le crocheface pour les deux grands trous qu’il t’a laissés pour voir ?

— Ce ne sont pas des trous, rectifia Miche.

— On voit tes pupilles à travers, insista Umbo.

— Il a gagné les plus hautes branches », éluda le tavernier, passé maître depuis belle lurette dans l’art de mépriser les enquiquineurs.

« Allons-y, proposa Rigg. Je ne vois que lui. »

Ils se remirent en route.

« Ce que tu vois, reprit Miche, ce sont des yeux. Pas les miens, certes, mais ils me servent bien quand même.

— Pourquoi te masquer la vue si c’était pour te la redonner ensuite ? s’étonna Param.