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Il se fit dans le cercle un tumulte qui n’était pas celui d’un acquiescement unanime ; un chef de clan se leva d’un bond.

— Grand Ancien, dit-il, la vérité parle toujours par ta bouche. Mais quand est-elle jamais sortie de celle d’un Hors Venu ? Depuis quand les hommes écoutent-ils les Hors Venus ? Je n’entends rien de ce qu’a dit ce Hors Venu. Qu’importe si sa Cité est détruite par la Sudaison ? Elle n’est pas habitée par des êtres humains ! Qu’ils périssent, et alors nous pourrons, nous les hommes, nous emparer de leur Terre.

Celui qui avait ainsi parlé, un nommé Walmek, était un grand brun, un fort en gueule ; Wold ne l’avait jamais aimé, et son aversion influença sa réponse.

— J’ai entendu, Walmek. Et ce n’est pas la première fois. Les Hors Venus sont-ils des hommes ou non ? Qui sait ? Peut-être sont-ils tombés du ciel comme dit la légende. Peut-être pas. Personne, cette Année, n’est jamais tombé du ciel… Ils ont figure humaine ; ils se battent en hommes. Et leurs femmes sont bien des femmes, ça je vous le garantis. Ils ont une certaine sagesse. Il vaut mieux les écouter !

Dans leur cercle solennel, tous les batteurs avaient souri d’une oreille à l’autre en entendant Wold faire allusion aux femmes des Hors Venus, et il s’en mordit la langue. Comment avait-il eu la bêtise d’évoquer devant eux ce vieux lien qui le rattachait aux étrangers. En tout cas, c’était de mauvais goût… après tout ça avait été son épouse.

Il s’assit tout confus, et l’on comprit qu’il ne parlerait plus.

Certains chefs, pourtant, furent suffisamment impressionnés par le récit du courrier et la mise en garde d’Agat pour s’opposer à ceux qui ne croyaient pas à la nouvelle ou voulaient en réduire la portée. Un des printanés de Wold, un homme qui adorait les raids et les coups de main, prit fait et cause pour la proposition d’Agat – marcher vers la frontière.

— C’est un coup monté pour éloigner nos hommes, les attirer au nord de notre Terre, où ils seront surpris par les premières neiges, tandis que les Hors Venus en profiteront pour nous voler nos troupeaux et nos femmes, et piller nos greniers. Ce ne sont pas des hommes, ce sont des vauriens ! poursuivit Walmek. Pour cet homme enclin à débiter des insanités, c’était un sujet en or.

— Nos femmes, voilà ce qu’ils veulent, comme toujours. Rien d’étonnant à ce qu’ils se fassent rares et s’éteignent, ils ne conçoivent que des monstres. Ils veulent nos femmes pour en avoir des enfants humains et les garder pour eux ! Ainsi parla un jeune chef de famille surexcité. « Aagh ! »

Wold grogna, écœuré par ce méli-mélo de contre-vérités, mais il resta assis et laissa Oumaksuman remettre cet individu à sa place.

— Et si ce Hors Venu disait la vérité ? poursuivit Oumaksuman. S’il est exact que les Gaal traversent notre Terre en masse, par milliers ? Sommes-nous prêts à les combattre ?

— Mais les murs ne sont pas achevés, les portes ne sont pas fermées, la dernière moisson n’est pas engrangée, dit un chef plus âgé. C’était cela le fond du problème, bien plutôt que la méfiance qu’inspiraient les étrangers. Si les hommes valides partaient pour le Nord, pourrait-on compter sur les femmes, les enfants et les vieillards pour terminer avant l’assaut de l’hiver l’aménagement de la Cité d’hiver ? Peut-être oui, peut-être non. La parole d’un Hors Venu valait-elle que l’on prît un pareil risque ?

Wold lui-même n’avait pris aucune décision, il paraissait vouloir se ranger à celle des Anciens. Il avait de la sympathie pour le Hors Venu Agat et inclinait à penser qu’il n’était homme ni à se leurrer ni à leurrer les autres ; mais il n’aurait pu en jurer. En somme, les hommes étaient tous des étrangers les uns pour les autres, et pire que des étrangers parfois. On ne pouvait rien affirmer. Une armée de Gaal était-elle en marche vers Tévar ? C’était possible. Mais ce qui était certain c’est que l’hiver allait arriver. Lequel de ces deux ennemis fallait-il affronter en premier ?

Les Anciens inclinaient à ne rien faire, mais le clan d’Oumaksuman obtint qu’on envoyât des messagers aux deux Terres voisines d’Allakskat et de Pernmek pour en pressentir les habitants sur le projet d’une défense commune. Ce fut la seule décision qui fut prise ; le chaman libéra le hann décharné qu’il tenait en réserve pour le cas où l’on serait convenu de faire la guerre, décision qui ne pouvait être scellée que par la lapidation de cet animal. Puis l’assemblée se sépara.

Wold était assis sous la tente avec des hommes de sa famille autour d’un bon bhan chaud lorsqu’il entendit au-dehors tout un remue-ménage. Oumaksuman sortit, ordonna à tout le monde de déguerpir, et rentra dans la Grand-Tente sur les pas d’Agat, le Hors Venu.

— Sois le bienvenu, Autreterre, dit le vieillard en glissant à ses deux petits-fils un regard malicieux, puis-je t’inviter à notre table ?

Il aimait choquer les gens, cela depuis toujours. D’où ses escapades continuelles chez les Hors Venus au temps de sa jeunesse. Cette invitation le libérait du vague sentiment de honte qu’il avait ressenti d’avoir parlé devant les autres hommes de la Hors Venue qui, en des jours si lointains, avait été sa femme.

Calme et grave comme précédemment, Agat accepta et mangea suffisamment pour montrer qu’il prenait au sérieux ce geste d’hospitalité ; il attendit que tous eussent fini leur repas et que la femme d’Ukwet s’en fût allée en trottinant avec les restes, puis il dit :

— J’écoute, ô Grand Ancien !

— Je n’ai pas grand-chose à te dire, répondit Wold. Il rota. « Des courriers sont en route pour Pernmek et Allakskat. Mais peu d’hommes sont en faveur de la guerre. Le froid gagne tous les jours ; pour nous en abriter, il nous faut des murs, des toits. Nous ne nous promenons pas dans le tempassé comme on fait chez les tiens, mais nous savons ce qu’ont toujours été les usages des hommes et nous y restons attachés.

— Vos usages sont excellents, dit le Hors Venu, et c’est peut-être la raison pour laquelle les Gaal les ont adoptés. Lors des précédents hivers vous étiez plus forts qu’eux parce que vos clans étaient unis contre eux. Aujourd’hui ils ont appris de vous que la force réside dans le nombre.

— Il y a un si : si la nouvelle est vraie », dit Ukwet, qui était un des petits-fils de Wold, mais plus âgé, cependant, que son fils Oumaksuman.

Agat leva les yeux vers lui en silence. Et Ukwet dut fuir son regard droit et sombre.

— Si la nouvelle n’est pas vraie, pourquoi les Gaal sont-ils tellement en retard dans leur marche vers le sud ? dit Oumaksuman. Qu’est-ce qui les retient ? Ont-ils jamais attendu que les récoltes fussent rentrées ?

— Qui sait ? dit Wold. L’année passée ils sont arrivés bien avant l’étoile des Neiges. Je m’en souviens. Mais qui peut se rappeler l’avant-dernier hiver ?

— Peut-être suivent-ils la piste de la montagne et peut-être ne vont-ils jamais traverser l’Askatévar, dit l’autre petit-fils de Wold.

— Le courrier affirme qu’ils ont pris Tlokna, dit Oumaksuman d’un ton coupant, et Tlokna est au nord de Tévar sur la piste côtière. Pourquoi donc refusez-vous de croire à cette nouvelle, qu’attendez-vous pour agir ?

— Parce que faire la guerre en hiver, c’est s’y creuser sa propre tombe, grogna Wold.

— Mais s’ils viennent…