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Je tire le drap sur la frite à la vieillarde clamsée et vais me défrivoliser coquette.

La môme est encore sous le charme. Te me langoure une pelle mécanique qui me glitouille la luette.

— Quel est ton nom, mon ange ? je me risque, un peu tardivement sans doute, mais il n’y a pas d’heure pour les braves.

— Heidi !

Comme dans les schönen contes de fées germaniques.

— Tu travailles ?

— A la poste.

— Tu as des amoureux ?

Elle rougit. Après ce qui vient de se passer entre nous, c’est vraiment de la confusion mal placée.

— Je n’aime pas les garçons d’ici : ils sont bêtes.

— Que comptes-tu faire, après la mort de grand-maman ?

Elle hoche la tête.

— Je ne sais pas. J’irai peut-être chercher du travail à Munich.

— Tu n’as pas de famille ?

— Mes parents sont morts dans un accident d’avion quand j’étais toute petite.

— Personne, à part eux ?

Elle hésite.

— Non. Je ne pense pas… En tout cas je ne connais personne.

Elle a une poitrine superbe, des yeux candides, la bouche sensuelle ; bref, tout pour réussir dans l’existence.

— Tu as raison d’aller à Munich. Tu pars quand ?

— Quand grand-mère…

Ce serait peut-être le moment de l’affranchir.

— Tu sais, ma chérie, la grand-maman, elle a profité de ce que nous nous aimions pour s’en aller…

Elle ne pige pas tout de suite. Et puis la voilà qui fonce dans la chambre. Ayant rabattu le drap, elle vérifie que je dis vrai.

Elle a des larmes et des plaintes, naturellement, mais ma présence la dope. Je la tiens serrée contre mon flanc, Heidi, d’une main ferme. Lui mordille doucement le lobe.

On traverse une période assez confuse ; et puis les réalités s’imposent.

— Il faut l’habiller ! balbutie-t-elle.

— Quelle idée ? Elle est bien ainsi, dans sa chemise de nuit. Je trouve atroce cette marotte de passer aux morts leurs habits du dimanche. S’habille-t-on pour aller se coucher ?

Je n’ai pas de mal à la persuader. On ne s’en ressent pas à outrance pour jouer à la poupée avec ce vieux cadavre.

— C’est horrible, on faisait « ça » pendant qu’elle mourait, dit la mignonne.

— Quel plus bel hommage pouvais-tu lui rendre, ma jolie ? Tu es devenue femme dans le lit où elle quittait la vie. Si elle te voit, de là-haut, elle doit être heureuse pour toi.

— Vous croyez ?

— J’en suis certain, certifié-je avec une véhémence qui la convainc.

— Je devrais prévenir les voisines ?

— Elles feront quoi ? Des parlotes et des jérémiades autour de son lit. Laisse-les dormir, tu les avertiras sur le matin, ce sera bien assez tôt.

Le plus curieux, c’est que tout ça n’est pas triste.

Cela s’appelle la mort, mais ça manque de solennité. Pas de dramaturgie. Mémé a pris le large sans esbroufe, sans un soupir.

Je lui verrouille la clape pour pas qu’elle ressemble à un gobe-mouches. Ses traits, maintenant, sont détendus.

— Elle paraît enfin apaisée, remarque Heidi.

— Elle a beaucoup souffert ?

— Moralement, oui. Elle a eu un drame dans sa vie. Son fils aîné avait des activités nazies pendant la guerre, et au moment de la défaite, il a disparu. Elle n’a jamais plus eu de ses nouvelles.

Pour lors, c’est moi qui me mets à ouvrir grand le bec, espère ! La stupeur me tire un de ces crochets au plexus qui me prive d’air. Heureusement, elle ne s’en aperçoit pas.

— Moi, je répétais à grand-mère qu’il devait être mort, mais elle s’obstinait à le croire vivant. Elle me disait : « Je le sens. » S’il l’avait été, il aurait donné de ses nouvelles depuis tout ce temps, vous ne croyez pas ?

Je ne réponds pas. Fumier de Streiger ! Il est à trois cents mètres d’ici, en train de roupiller. Sa mère vivait encore, il y a quelques minutes. S’il avait eu pour deux sous de cœur et trois sous de couilles, il aurait pu lui assurer une mort merveilleuse. Elle serait partie dans ses bras. Ah ! le triste salaud ! Le sombre couard !

Je regarde la pauvre morte, si menue au sein de son trépas, et des larmes me montent. On était là, tout près, Streiger et moi. A quelques pas… Elle mourait en l’espérant. Elle « sentait » qu’il existait toujours quelque part, dans un coin du monde. Sa viande de maman la prévenait de la chose… Et lui, le rat malade, terrorisé, restait planqué dans son trou surchauffé.

— Des gens ont dû draguer dans le secteur pour tenter d’avoir de ses nouvelles, au tonton, non ? Les Israéliens sont tenaces…

— Je ne sais pas.

Un peu paumée, Mam’zelle Gretchen quand on débat de choses pareilles. C’est pas le genre de futée qui retapisserait des gens suspects, à moins qu’ils ne fassent exprès de se faire repérer en se déguisant en espions d’opérette, ce qui n’est pas le cas du Shin Seth ou autre organisation de ce genre… La meilleure preuve de sa totale innocence, c’est que, pas un instant, elle n’a été surprise par la soudaineté de nos relations. Un « bel » étranger la console, lui rend visite, déboule dans sa culotte et elle trouve la chose tip-top. No problème ! C’est une nature fastoche, la sœur. Un cœur simple. Note qu’en l’occurrence, je suis entré dans sa petite vie juste pour faire une fleur à Popol, lequel commençait de morfondre un brin, avec les combines du Big Between.

— Ne restons pas ici, ma chérie… Allons dans votre chambre.

Car je ne peux décemment la larguer dans de telles conditions. Un coup de brosse : son premier ! Et je l’abandonnerais en compagnie d’une morte ? Dis, tu le connais, Sana, mon drôle ? Un gentleman ! Chevaleresque jusqu’au bout de la bitoune, l’apôtre !

— Mais, on ne la veille pas ?

— Si, mais depuis une autre pièce.

— Bon.

Elle me fait traverser le couloir. En face, c’est la chambrette minuscule, grande comme deux cabines téléphoniques. Tapissée de cretonne rose. Jolies fleurettes aux pétales délicats. Un lit de cuivre à une place, un placard, une chaise de paille. Sur les murs, la photo d’un couple. Heidi ressemble à la femme ; l’homme du cliché ressemble à Guillaume II sans ses moustaches en cornes de taureau. Il y a encore un diplôme écrit en gothique, et des posters pieux. Ça sent bon l’eau de Cologne à la lavande.

— Prenez la chaise ! propose la jeune fille.

Elle va s’asseoir sur le lit. Elle est un peu dolente. Indécise. Chavirée par la forte tringlée et aussi par le chagrin qui a suivi. C’est dur de perdre simultanément son pucelage et sa grand-mère.

Elle a toujours son costar bavarois, passablement chiffonné, ses bas blancs. De regarder ce tableau champêtre, ça me met des idées de rebelote dans la cage à zob. Tu paries que je lui refais une petite lune de miel express, Heidi ? En prenant son temps. Calmos ! Sans hussarderie. L’embroque discrète. Un coup de lime comme par inadvertance. Excusez, je passais, j’ai vu un cul, je suis entré…

Alors je me lève, m’assieds contre elle, l’enlace.

— Oh ! non ! Oh ! non, fait-elle en pigeant mon dessein, ce ne serait pas bien.

Elle est truffée de préjugés, cette gosse. Faut vraiment la mettre au goût du jour.

Il est quatre plombes quand je regagne l’auberge fleurie. J’ai les cannes en forme de « X ». Ça trembille dans mes fondations.