— Trudi descend dans un quart d’heure, mais je vais le préparer tout de suite, s’empresse l’ogresse.
— Puis-je me joindre à vous ?
— Nature allemande, répond-elle.
Et tu voudras bien lui pardonner cette incorrection de termes, qu’autrement sinon je te compisse l’arête des fesses.
Nous voici dans la vaste cuistance briquée à mort. Mémère se met à manipuler son énorme cafetière comme un conducteur de locomotive ses manettes.
Mézigue, mutin, je m’approche et lui masse la croupe en loucedé. Un corset en comparaison duquel l’armure d’Henri II n’était qu’un tutu de ballerine me meurtrit la pogne. Mais mon geste franchit à bon port la carapace pour lui stimuler le sensoriel.
— Belle comme vous êtes, je romance, vous devez en avoir du succès. Je parie que tous vos pensionnaires masculins vous font la cour ?
Tu suis le lancement du javelot, gars ? Bien parti, l’élan est bon et je mets pas le panard en deçà du cercle.
En quatre échanges et deux caresses à la moulasse je suis en plein vif de mon sujet. J’apprends que le père Otto Werther est un croulant à demi aveugle qui vient à Bärbach depuis des décennies. Auparavant, il séjournait avec sa grognace, mais elle est morte voici deux ans. Il continue sur sa lancée de se reposer dans ce coin de Bavière. Il lit des bouquins à la loupe et ne bouffe que des laitages. Donc, je peux le rayer de ma liste. Freddy Wolks, le représentant, est un gros type gentil qui passe une fois par an. Il reste deux jours dans la région. Frau Magger lui passe des petites commandes de bordeaux ; pas beaucoup car les gens de par ici éclusent surtout des vins blancs du pays. A éliminer itou. J’imagine guère un agent du Shin Beth en illustre Gaudissart de la vinasse. Reste donc la dame « peintre ». C’est la première fois qu’on la voit à l’auberge. Elle l’habite depuis trois semaines. Elle vadrouille dans le bled, en coltinant son chevalet pliable. Elle a déjà peint l’église, et certaines vieilles maisons, mais franchement, Bernard Buffet peut dormir sur les deux oreilles d’Annabelle, c’est pas Virginia Salski qui lui arrachera la vedette.
D’une chose l’autre, le caoua est passé.
Voilà Trudi qui se pointe, encore embrumassée : une grosse rougeaude mal fagotée aux joues saignantes.
Force m’est de boire en compagnie de l’hôtesse le café que j’ai sollicité. Ses pieds capturent les miens. Tu ferais un plan rapproché sous la table, tu devinerais jamais lesquels sont les panards du flic.
Un bruit d’eau vasant à flots. La peintresse (on dit bien une poétesse) fait couler son bain. Elle fredonne une mélopée pleine de nostalgie. Un air des steppes qui fait « lalali nananère », très porte-aux-rêves.
Je pénètre dans sa chambre sans frapper et me mets en devoir d’explorer les lieux. Tu sais mon pif dans les périodes de haute tension ? Je vais tout droit à sa grande boîte de peinture posée près de mon cul, sur la commode (je suis plus mal embouché que les trompettes de la renommée, mais je fais plus de bruit).
Un sixième sens ! A moins que ce ne soit le septième, faudra que je refasse mes calculs à temps perdu.
Pour commencer, je soulève la boîte. Illico son poids me renseigne. Sa conformation également : double fond. J’agis prestement et je dégage du compartiment secret un 11,43 équipé d’un silencieux.
Allez, zou : dans ma ceinture.
Rapide inspection de son matériel. Qui me permet de découvrir qu’un de ses gros tubes de couleurs sur lequel est écrit « blanc de zinc » est en réalité un vaporisateur. J’en renifle l’orifice, et bon, mon siège est fait, comme disait un ébéniste de mes relations : le pulvérisateur contient une substance anesthésiante. Poum : in my pocket.
Sûr de moi et dominateur, je poursuis ma perquise silencieuse. Dans le sac à main en croco pur fruit, je déniche un passeport italien, affirmant comme quoi, malgré son patronyme, la Suzanne Valadon de l’auberge est native de Roma. J’ai rien contre. Après tout, M. Krasucki aussi est né dans le Cantal, non ? S’il fallait s’arrêter à ce genre de considérations, on ferait tous parti du Front National qu’au royaume des aveugles les borgnes sont rois, n’est-ce pas ?
Mon exploration m’enrichit d’un talkie-walkie longue portée. Je l’ouvre et dispose les piles à l’envers de manière à le rendre inopérant.
Fin de mes manœuvres de printemps. J’ai agi avec célérité, lequel est un de mes vieux camarades de lycée. Dieu ayant créé le dimanche et M. Lévitan le fauteuil pour le repos de l’homme, je prends place dans celui de la chambrette et j’attends qu’il soit dimanche.
Dans la salle de bains, Virginia a cessé de fredonner et de se fourbir. M’est avis qu’elle est passée au stade de la coiffure car je perçois un bruit régulier, soyeux.
Il s’écoule vingt superbes minutes avant que la personne ne sorte.
Elle est nue comme un programme électoral. Je la considère avec ambiguïté. Une femme de trente-cinq piges environ, maigre comme une harpe, si tant tellement qu’elle est tout en creux avec juste deux œufs sur le plat. Ses cannes sont tellement écartées que tu pourrais serrer la pogne d’un pote entre ses cuisses. Elle a des cheveux noirs, longs d’un mètre cinquante et, si j’en crois le triangle d’astrakan qui lui gaufre le frifi, c’est une authentique brune. Y a une espèce de décharnance précoce chez cette personne. Quand tu la regardes, tu te dis qu’elle figurerait en bonne place dans un amphithéâtre de la fac de médecine sous le pseudonyme d’Anatole. Seulement, si tu croises son regard, tu constates que, plus vivant qu’elle, tu meurs ! Deux rayons laser, mon chéri. Que je me demande si elle n’est pas déjà en train de me sectionner en deux !
Surtout imagine pas qu’elle rameute la garde ou se perde dans des « qui vous a permis », « que faites-vous là », etc. Non, d’un bloc, elle a appréhendé la situasse et tout pigé. Faut dire qu’elle me connaît. Elle sait que je suis le cicérone de Streiger. Et parce qu’elle l’a compris, elle m’épargne des simagrées superflues. Et aussi autre chose : sa nudité intégrale. Le geste de Phryné, elle, connaît pas. Faut dire qu’elle n’a rien qui eût inspiré Praxitèle, le sculpteur de la lascivité. La gerbe ! Certains corps féminins te filent presque envie d’attraper le sida. La peintresse appartient à cette catégorie des lots à réclamer.
Donc, pour t’en finir, parce qu’une phrase inconclue est pire qu’une branlette interrompue, son à poiltée ne la gêne pas. On l’a exercée tous azimuts et elle ignore ce qu’est la pudeur.
Comme c’est moi qui crée l’incident, elle attend ma suite sans se biler.
On pourrait rester encore cinquante-cinq heures à se défrimer ainsi, mais faudrait se faire monter de la bière et des sandwiches, licebroquer, déféquer, et tout ça pourrait rompre le charme.
Je prends donc l’initiative.
— Où est-il ? je questionné-je.
Au lieu de répondre, elle se gratte les cerceaux et la puissance de mon autosuggestion fait que je crois entendre jouer de la lyre irlandaise. (Mieux cotée que la lire italienne, soit dit en passant.)
Son attitude me renseigne : elle ne parlera pas ; ne se donnera même pas la peine d’échanger des répliques avec moi. Elle a accompli son boulot qui était d’alerter les ravisseurs de Streiger au bon moment et de leur ouvrir la voie. Probablement l’a-t-elle soporifié. Une femme, il se sera moins méfié. Elle a dû pénétrer chez lui, le vaporiser séance tenante, ouvrir la porte-fenêtre et elle a prévenu ses complices. Vite fait sur le gaz, c’est le cas de le dire.
Je gamberge plus vite encore qu’un lapin ne coïte.
Mon écran mental décode du silence les informations suivantes : « Miss Salski restera muette. Alerter la police ne servira de rien qu’à foutre la merde sur ma mission. Je n’ai pas d’autres moyens de pression que la torture ; mais, outre que ça n’est pas mon style, je sais qu’elle n’y céderait pas. » Conclusion, il faut trouver autre chose…